Souvent stigmatisées, jugées et pointées du doigt, les personnes réfugiées, ou exilées, ont fait la une médiatique pendant ces dernières années. Si les causes qui les ont poussés à quitter leur pays pour se rendre en Europe ont été exposées par différents médias, ce n’est que très rarement que leur parole à été écoutée. Pour en finir avec les préjugés qui résultent de l’accaparement de la parole, Sébastien, jeune homme de 29 ans vivant à Montpellier, à crée le réseau et page Facebook « Humains en France : paroles d’exilés », sur laquelle il retranscrit, sans filtre, des propos recueillis par lui même ou des associations et collectifs spécialisés dans l’accueil et l’accompagnement de ces publics auprès des exilés.
« Après quelques heures, quand ils ont enfin répondu, ils m’ont dit de rappeler dans une heure. Ce que j’ai fait, et j’ai demandé une fois de plus : où sont ma femme et mes enfants ?. Ils m’ont dit qu’ils avaient été arrêtés à la frontière par la police iranienne et qu’ils avaient été renvoyé en Afghanistan. » Sulaiman – 29 ans – Afghanistan
Beaucoup de choses ont été dites à propos des individus, femmes, hommes, enfants qui sont arrivés ces dernières années en Europe que ce soit pour fuir la guerre, la faim, les persécutions ou les crises économiques. En France, comme ailleurs, les demandes d’asile ont nettement augmenté. En 2015, la France a accueilli 256.500 immigrants permanents sur son territoire, un chiffre relativement modeste comparé aux États-Unis (plus d’un million) et l’Allemagne (686.000).
Une page facebook pour donner la voix aux exilé.e.s…
Si les chiffres permettent de relativiser nettement la situation – pendant que certains partis politiques parlent de « raz-de-marée » ou de « grand remplacement de population » – ils ont le défaut de rendre anonyme les individualités. Les chiffres ne racontent pas les histoires de vie des PERSONNES concernées, ils les effacent. C’est contre ce phénomène qui fait oublier que lorsqu’on parle de « migrants » ou de « réfugiés » on évoque avant tout des femmes et des hommes aux parcours et personnalités singulières que Sébastien a créé une page pour leur permettre d’évoquer leur vécu et leurs sentiments. Lui préfère d’ailleurs parler « d’exilé.es ». Le terme « réfugiés » « est très restreint », alors que « migrants » est trop large, confus, souvent galvaudé. Le terme d’exilé « renvoie à la situation de ces personnes », sans a priori et sans jugement
L’idée de donner des couleurs à ces histoires de vie est venue au jeune homme alors qu’il s’engageait depuis un an auprès du Secours catholique dans un centre d’accueil et d’orientation au sein duquel il donnait des cours de Français. Le contact avec les déplacés ouvre nécessairement l’esprit sur les particularités de chacun. Ce ne sont plus des numéros, des mots ou des statistiques, mais des personnes à part entière. S’il a désormais quitté l’institution, il continue de se mobiliser auprès des personnes qu’il a rencontré à cette occasion, notamment en les accompagnant bénévolement dans leurs démarches administratives.
…et raconter une autre histoire
« Ce qui m’a frappé au contact de ces publics, nous raconte-t-il, c’est le très grand décalage dans les perceptions entre ce qu’ils me racontaient et ce qui ressortait des discussions que j’avais avec mes proches« . Pour cause, la parole n’est presque jamais donnée à ces personnes exilées. Leur vécu, tel qu’il nous est présenté, est majoritairement issu du commentaire médiatique et politique et des déductions à la volée qu’on peut en faire, le tout saupoudré de peurs et de généralités. « L’image véhiculées est souvent misérabiliste, ils sont uniquement présentés de manière négative, comme des victimes ou des menaces », regrette encore Sébastien. Pourtant, « il faudrait beaucoup plus de nuance » car chacun d’entre eux « a une histoire différente à raconter ».
« Inspiré de la page Facebook Humans of New-York, dont le format est vachement accrocheur notamment parce que les personnes à qui on donne la parole racontent à la première personnes, j’ai voulu exposer la réalité des exilé.e.s sous un autre angle, le leur » le tout en français, poursuit-il. Avec « Humains en France : paroles d’exilés », Sébastien entend relayer les propos tels qu’il le reçoit, sans y toucher, afin de « susciter de l’intérêt pour ces personnes ». « Il ne s’agit pas de provoquer des émotions », mais d’afficher une autre réalité, de donner la parole à ceux qui ne l’ont jamais.
Retranscription du témoignage d’Ahmad – 27 ans – Afghanistan
« Je viens d’Afghanistan, j’ai 27 ans, et je n’ai jamais connu la paix ni la liberté. J’ai toujours vécu avec la peur des Talibans, Daesh, et surtout la crainte qu’ils puissent prendre le contrôle d’une province puis de toutes, et du gouvernement.
Là-bas, sortir de sa maison, c’est comme aller affronter la jungle. On sort, mais avec le sentiment qu’un animal sauvage peut toujours être à l’affût, et peut vous tuer à tout moment. Et puis il n’y a plus de règles, plus de lois, la police se permet tout, c’est comme la Mafia.
Les filles ne sont pas autorisées à aller à l’école, alors il faut beaucoup de courage pour franchir le pas. Ma sœur est institutrice, elle aurait aimé poursuivre ses études à l’université, mais c’est trop dangereux, il n’y a aucune sécurité. Et cela tient aussi au manque d’éducation, cela empêche la population de trop penser, de s’ouvrir au monde extérieur, alors les filles qui étudient sont très souvent mal perçues.
On manque aussi de médecins, de spécialistes, d’hôpitaux, et les attentats sont quasiment quotidiens. Alors chaque jour, on appelle la famille pour savoir s’ils sont en vie. En Afghanistan, il n’y a pas une seule famille qui soit épargnée par la perte d’un ou plusieurs proches. Après un attentat plus meurtrier que d’autres, on ne peut pratiquement plus dormir pendant au moins un mois, par le stress. On sait que cela peut arriver n’importe où, n’importe quand. »
Une chose est certaine, ces témoignages exposent un fait vital : la peur du terrorisme, l’envie de vive en paix, le besoin de sécurité, ces thèmes sont largement partagés par la population française, y compris par ceux qui, paradoxalement, ne veulent pas les aider. À ce jour, Sébastien gère lui même l’essentiel du développement de la page et recueille les témoignages. Associations et collectifs sont cependant invités à apporter leur contribution en faisant remonter les propos des personnes qu’ils accompagnent en restant fidèle aux mots et en respectant l’anonymat.
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