Alors que la fortune des 5 hommes les plus riches du monde a plus que doublé depuis 2020, la richesse cumulée de 5 millards de personne a baissé. C’est le nouveau rapport d’Oxfam, paru ce 15 janvier 2024, qui révèle un enrichissement sans précédent des plus riches à travers le monde, tandis que les classes moyennes et populaires subissent de plein fouet l’inflation, la perte de pouvoir d’achat et la dégradation des services publics.
En seulement 3 ans, le monde a connu une crise sanitaire mondiale, le déclenchement du conflit russo-ukrainien, une inflation majeure, l’accélération de la crise climatique et la prolifération du fascisme. À leur échelle respective, chacun de ces bouleversements a contribué à creuser le fossé entre les ultra-riches milliardaires et la vaste majorité de la population.
Un fossé qui se creuse
Pour Oxfam, organisation internationale de lutte contre la pauvreté et les inégalités, le constat est clair : « la montée en flèche des richesses extrêmes s’est consolidée ces trois dernières années tandis que le niveau de pauvreté dans le monde est toujours le même qu’avant la pandémie ».
Dans un rapport paru ce 15 janvier, l’association révèle que la fortune des milliardaires a augmenté de 3 300 milliards de dollars depuis 2020, à une vitesse 3 fois plus rapide que celle de la montée générale des prix.
En France particulièrement, les 4 premiers milliardaires du pays (Bernard Arnault et sa famille, Françoise Bettencourt Meyers et sa famille ainsi que Gérard et Alain Wertheimer) ont vu leur fortune augmenter de 87% depuis 2020. Sur la même période, les 42 milliardaires français ont gagné 230 milliards d’euros, « soit un chèque de 3 400 euros pour chaque Français », compare l’organisation.
Le pays de l’égalité et de la fraternité n’est pas épargné par les inégalités
Dans le même temps, la richesse cumulée de 90 % des Français a ainsi baissé de 3,9 % entre 2019 et 2022, baissant même de plus de 15 % pour le groupe des 30 % les plus pauvres de la population. « Les Français les plus précaires subissent l’inflation de plein fouet et de plus en plus de Français des classes moyennes éprouvent un sentiment de déclassement accentué par la perte de pouvoir d’achat et des services publics dégradés et saturés », expliquent les auteurs du rapport.
Pour Alexandre Poidatz, responsable de la campagne Climat et inégalités chez Oxfam, « il faut impérativement qu’Emmanuel Macron change de logiciel. Les étudiants font la queue dans les banques alimentaires et n’arrivent pas à se loger, les Restos du Coeur refusent des bénéficiaires pour la première fois cet hiver mais les milliardaires, eux, prospèrent ».
À l’échelle du monde, les inégalités économiques s’accentuent également. D’après les données de Wealth X, qui fournit une analyse approfondie de la situation des personnes les plus fortunées à travers le globe, le fossé entre l’hémisphère Nord et Sud du globe se creuse. Les pays occidentaux détiennent ainsi 69 % des richesses mondiales et accueillent 74 % des richesses des milliardaires alors qu’ils n’abritent que 21 % de la population mondiale.
« Au rythme actuel, il faudrait plus de deux siècles pour mettre fin à la pauvreté, mais dans à peine 10 ans nous pourrions voir pour la première fois la fortune d’un multimilliardaire franchir le cap des 1 000 milliards de dollars. Avoir 1 000 milliards, c’est comme gagner plus d’un million d’euros par jour depuis la naissance de Jésus-Christ », souligne amèrement l’organisation.
Milliardaires et multinationales : une alliance indéfectible
Pour cette dernière, ces inégalités ne sont pas le fruit du hasard : « les milliardaires veillent à ce que les multinationales contribuent avant tout à leur propre enrichissement, au détriment du reste de la population ». Oxfam insiste sur les liens intrinsèques entre l’accroissement de la fortune des milliardaires et les superprofits des multinationales, définit comme ceux qui dépassent de plus de 20 % les bénéfices moyens générés entre 2018 et 2021.
Selon les données du rapport, les superprofits restent très majoritairement utilisés pour rémunérer les actionnaires, aux dépens des travailleurs et de la planète. « 148 des plus grandes entreprises ont réalisé 1 800 milliards de dollars de bénéfices cumulés, ce qui représente une hausse de 52 % par rapport aux bénéfices moyens des trois dernières années. Elles ont redistribué des bénéfices records à leurs riches actionnaires, alors que des centaines de millions de personnes sont confrontées à une baisse de leur salaire réel », défend l’association.
L’actionnariat semble effectivement particulièrement avantageux pour les plus riches : « dans les pays du Moyen-Orient, 1 % les plus riches détiennent 72 % du patrimoine financier de la région. Cette part est de 58 % en Asie et de 56 % en Europe », détaille l’organisation ». Toujours d’après le rapport, pour chaque tranche de 100 dollars de bénéfices générés par 96 grandes entreprises à travers le monde entre juillet 2022 et juin 2023, 82 dollars seraient reversés aux riches actionnaires.
Une influence multiple
L’organisation dénonce finalement l’influence de ces même ultra-riches dans les sphères politiques et médiatiques, qui n’hésitent pas à utiliser leur patrimoine pour défendre un statu quo économique. Pour Alexandre Poidatz, « quand les milliardaires commencent à étendre leur influence en rachetant des médias – c’est notamment le cas de Vincent Bolloré, Bernard Arnault, Rodolphe Saadé – ils achètent aussi un pouvoir qui fragilise nos démocraties. Aucune entreprise ni individu ne devrait avoir autant de pouvoir sur nos économies et nos vies ».
Sans surprise, l’ONG plaide pour une réduction urgente du fossé économique entre les ultra-riches et le reste de la société. Elle appelle les gouvernements à adopter une posture plus protectrice et à mieux redistribuer les richesses à travers deux mesures principales, passant obligatoirement par un revitalisation de l’État.
D’abord, augmenter les impôts sur la fortune pour les multimillionnaires et les milliardaires. À l’échelle du globe, cette mesure pourrait rapporter 2 500 milliards de dollars par an selon les auteurs du rapport. Oxfam France envisage une série de mesure spécifique, dont un impôt climatique sur la fortune qui permettrait de taxer, d’une part, le niveau de patrimoine des individus concernés, et d’autre part, la quantité de CO2 qu’il contient, soit son impact sur le climat.
Revitaliser l’État pour venir à bout des inégalités
Ensuite, l’organisation appelle à davantage de régulation des activités des multinationales, en encadrant par exemple la part des bénéfices versés aux actionnaires, en conditionnant les aides publiques aux entreprises aux investissements dans la transition ou encore en imposant un écart de rémunération de 1 à 20 entre le salaire du dirigeant et le salaire médian de l’entreprise.
À travers ces mesures, l’ONG espère amener les Etats à se recentrer leur action sur la perspective d’un monde juste et plus égalitaire. « Ce rapport expose le choix fondamental qui s’offre à nous entre une nouvelle ère de suprématie des milliardaires, contrôlée par les monopoles et les financiers, et un pouvoir public transformateur fondé sur l’égalité et la dignité », concluent les auteurs de la publication.
– L.A.
Photo de couverture : Montage Mr Mondialisation x Wikimedia