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La « malédiction du cordon bleu », ou l’art de nous faire manger de la mer**

Avec son dernier ouvrage intitulé La malédiction du cordon bleu, Vrob embarque le lecteur dans une aventure haute en couleurs qui retrace la genèse de l’alimentation moderne et de ses dérapages. Des packagings colorés, des logos clinquants et des goûts… addictifs, voilà comment l’industrie de l’agro-alimentaire s’efforce de nous faire avaler ses aliments ultra-transformés pourtant responsables d’une grande partie des maladies et des décès de notre temps.

A l’heure actuelle, la plupart de la population mondiale vit dans des pays où le surpoids et l’obésité tuent plus de personnes que l’insuffisance pondérale. La prévalence de l’obésité a ainsi presque triplé au niveau mondial depuis 1975 selon les derniers chiffres de l’Organisation Mondiale de la Santé.

Si plusieurs facteurs expliquent ce phénomène, l’apparition d’une nourriture bon marché, ultra-transformée et peu variée n’y est pas pour rien. Les conséquences de ce changement de régime sont nombreuses : diabètes, maladies cardio-vasculaires et cancers se multiplient au sein de la population. Ces maladies chroniques, aussi appelées maladies de civilisation, sont désormais responsables de plus de 85 % des décès en Europe.

La consommation d’aliments ultra-transformés contribuent au développement des maladies dites de civilisation. – Pixabay

Quand inverserons-nous la tendance ?

Malgré l’augmentation des connaissances en la matière et la publication de nombreuses études décriant les effets néfastes des aliments ultra-transformés, nos systèmes alimentaires semblent paralysés par le poids des lobbyistes de l’agro-industrie et de la vision réductionniste de nombreux professionnels de santé.

Certains citoyens, notamment les plus précaires d’entre nous sur un plan économique et socio-culturel, manquent également d’informations objectives et vérifiées leur permettant de faire les bons choix alimentaires. En France ou en Belgique, le budget consacré aux soins des personnes atteintes de telles maladies atteint les trois quart des dépenses totales en matière de santé publique. N’est-il pas temps de changer la tendance ?

Une BD-docu pour découvrir la face cachée de nos aliments

Couverture de La malédiction du cordon-bleu de Vrob. – Crédits : Vrob

C’est dans cette optique de sensibilisation que Vrob, auteur et illustrateur de bandes-dessinées (mais aussi ancien pharmacien) s’est lancé dans la création de son dernier ouvrage : La malédiction du cordon-bleu.

Tout commence entre les rayons d’un supermarché où le héros du récit, une incarnation de Vrob lui-même, s’empare d’une boite de cordons bleus du célèbre Papa Ventru®. Surgit alors une petite voix à son oreille : « c’est de la merde ! ». Interloqué, le naïf consommateur fait rapidement la connaissance d’un gigantesque cordon-bleu mutant qui va lui faire découvrir les dessous de l’alimentation moderne.

Sur un ton décalé et ludique, l’auteur remonte ainsi le temps pour parcourir la genèse de l’industrialisation de la nourriture. De la préhistoire à aujourd’hui, Vrob explique, détaille, illustre et développe les transformations subies par nos aliments et leurs effets en matière de santé humaine. Au fil des pages, on découvre un univers coloré et plein d’humour, qui porte pourtant un message alarmant…

Quand l’industrie frappe à la porte de l’alimentation

Tout commence en effet au 19e siècle, quand Nicolas Appaert et Jean-Baptiste Queruel inventent respectivement la boite de conserve et la méthode d’extraction du sucre provenant de la betterave.

Destinés à l’origine à lutter contre la famine, ces deux processus seront bientôt détournés par l’agro-industrie. Alors que les villes se remplissent et que les campagnes se vident, l’objectif devient rapidement de fournir une nourriture abondante, peu couteuse et attractive à la population. 

« L’usine de grande échelle se substitue à la cuisine des foyers », nous explique Vrob. « La praticité du produit, la rapidité de production, le goût et surtout le coût sont devenus les principaux critères » du marché.

Les grandes surfaces dominent aujourd’hui le marché de l’alimentation dans les pays dits développés. – Pixabay

En 1963, le premier supermarché ouvre ses portes et fait place aux débuts de la consommation de masse. Aujourd’hui, 16 millions de m2 contiennent 70% de l’offre alimentaire en France, qui comptait en 2018 près de 13 000 grandes surfaces de distribution.

Les scientifiques de l’époque développent une approche réductionniste de l’alimentation en restreignant les aliments à leur nombre de calories et de nutriments. La chimie prend de plus en plus de place dans le secteur : on isole certains éléments (« mayonnaise allégée en graisse ») et on en ajoute d’autres (« biscottes enrichies en fibres »).

Une visions réductionniste qui persiste

Malheureusement, le potentiel santé d’un aliment ne se limite pas aux nombres de ses calories. L’effet « matrice », soit la synergie des différents composés d’une denrée alimentaire, a tout autant d’importance que sa composition. L’auteur met par exemple en avant la prise en compte de l’index glycérique d’un aliment, sa biodisponibilité ou encore la vitesse de transit propre à chaque personne.

Malgré tout, le cracking voit le jour ! Peu à peu, les aliments bruts laissent place à des denrées décomposées et transformées, contenant une longue liste d’ingrédients et d’additifs : les aliments ultra-transformés (AUT). A coup d’emballages colorés et de slogans attractifs, la Big Food inonde bientôt le marché d’une nourriture trop sucrée, trop salée, trop grasse et vide de tous nutriments.

Dans les pays développés à forte densité urbaine, l’obésité fait des ravages et entraine avec elle le développement des maladies dites de civilisation.

Un cordon-bleu mutant va expliquer au héros les dessous de notre assiette. – Crédits : Vrob

Si les constats posées par la BD de Vrob peuvent laisser pantois le consommateur non aguerri, elle ne laisse cependant pas sans réponse. La moitié de l’ouvrage est en effet consacré aux pistes de solutions, bonnes ou moins bonnes, pour endiguer la propagation de cette épidémie d’un nouveau type.

L’auteur met ainsi en avant une nouvelle classification d’aliments basée sur leur niveau de transformation (NOVA), la consommation d’aliments vrais, variés et en majorité végétaux (3V) et des méthodes d’agriculture durable.

Sensibiliser pour changer de paradigme alimentaire

Pour autant, il identifie également les principaux freins qui persistent à l’instauration d’un système agro-alimentaire plus favorable à la santé humaine et à celle de notre planète.

La malédiction du cordon bleu pose ainsi sans y en avoir l’air la question de l’accessibilité des commerces d’alimentation alternatifs (biologiques, ventes en ligne, magasins de producteur) aux différentes franges de la population, de la régularisation du marketing d’influence, de la publicité, de la pertinence des nouveaux nutri-score, de la création des déchets liés à la consommation d’aliments suremballés, du bien-être animal et des élevages intensifs ou encore des conditions de travail de nos agriculteurs.

En fin de compte, la BD-docu de Vrob parcourt presque l’ensemble des questions liées à nos systèmes agro-alimentaires actuels et permet de découvrir, à tous âges, la face cachée de nos aliments. Il signe ainsi un ouvrage accessible mais très bien documenté, qui s’inscrit parfaitement dans la démarche de sensibilisation des consommateurs nécessaire à un changement de paradigme alimentaire, notamment auprès des nouvelles générations.

L. Aendekerk

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