Après avoir franchement lancé les hostilités le 25 mars 2023 à Sainte-Soline, le gouvernement a achevé de déclarer la guerre au vivant, aux écologistes qui le défend, à sa population – notamment précaire et paysanne – ou encore aux jeunes générations privées d’avenir. À l’aube de l’été 2023, le pouvoir a entrepris une vaste opération d’intimidation par deux vagues d’arrestations en lien avec les Soulèvements de la Terre et la dissolution du mouvement. Si cette bascule autoritaire acte une fin progressive de nos libertés, n’est-ce pas aussi la naissance d’un mouvement de résistance de grande ampleur ?
La lutte écologiste est désormais clandestine
Selon Julien Talpin, sociologue interrogé par Reporterre, « c’est la première fois qu’une procédure de dissolution est engagée contre une organisation écologiste ». Cette annonce n’est cependant que la continuité d’une dynamique de censure de la parole contestataire, notamment celle de la lutte contre le racisme et l’islamophobie, à travers les récentes dissolutions du CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France), du GALE (Groupe Antifa de Lyon et Alentours), du Bloc Lorrain (Groupe antifasciste de Meuse) de BarakaCity (association humanitaire internationale musulmane) ou encore la demande de dissolution du média Nantes Révoltée (aujourd’hui Contre Attaque).
La démocratie n’est plus seulement en danger, elle est déjà malmenée, alors que lutter pour défendre le vivant est devenu acte de clandestinité. En effet, les Soulèvements de la Terre enregistrent aujourd’hui plus de 140 000 signataires (individus revendiquant leur appartenance au mouvement) et regroupent en leur sein une multitude d’organisations tels qu’Extinction Rebellion, Youth for Climate, ATTAC, Confédération paysanne ou encore Alternatiba, parmi tant d’autres. La stratégie de communication des Soulèvements de la Terre repose d’ailleurs sur sa force de coalition et l’impossibilité donc de dissoudre un mouvement dont les pratiques et les contestations sont bien trop ancrées dans la société et font consensus parmi les principales organisations écologistes : « ce qui repousse partout ne peut être dissous ». Le ton est donné : cette dissolution n’arrêtera pas la lutte écologiste, loin de là.
Le pouvoir tremble
Pour QE, groupe d’activistes anonyme ayant rédigé dernièrement un appel d’union des luttes sociale, écologique, féministe, antiraciste, anticapitaliste, entre autres ; cette dissolution représente « une énième déclaration de guerre, un coup de couteau dans l’idéal démocratique et humain déjà bien violenté par ce gouvernement ».
De plus, les militant·es assurent que cette privation d’un cadre légal poussera les membres des Soulèvements de la Terre à s’aguerrir dans « l’illégalité, la clandestinité et la marginalité ».
Iels annoncent que le mouvement pourrait même se renforcer : dans sa radicalité comme dans sa popularité au vue de l’indignation générale face à l’escalade anti-démocratique et écocidaire du gouvernement. Preuve en est, Emmanuel Macron a été hué sur fond de « Macron démission » lors du concert pour la planète le 22 juin 2023. L’actrice Diane Kruger s’est même adressé au président de la République devant la foule : « président Macron nous nous adressons en premier à vous pour que vous souteniez cette taxe internationale » visant à réduire les émissions carbone sur le transport maritime.
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En effet, pouvons-nous être surpris de l’escalade autoritaire des pourfendeurs du néolibéralisme ? Chaque fois, la tension entre un système devenu obsolète et la contestation des citoyen·nes toujours plus inquiets pour l’avenir de l’humanité, se veut de plus en plus tendue. La montée en radicalité des écologistes et le renforcement autoritaire du gouvernement sont semble-t-il inéluctables.
De fait, le point de non-retour d’un conflit entre le pouvoir et les écologistes a été atteint au vu de l’urgence sociale et climatique ; quant aux dirigeants, il ne leur reste que la répression pour pallier leur impopularité et contenir – par la menace – la colère populaire.
Là aussi, QE se veut optimiste : l’abandon du contrôle des Soulèvements de la Terre dans le cadre légal est un aveu de faiblesse ; aux yeux des militant·es QE, cela « participe encore plus à l’affranchissement et à une libération de la coalition [ndlr : des écologistes et des mouvements contestataires], déculpabilisant certains modes d’actions ». Ceux-ci sont régulièrement condamnés pour une soi-disant violence des manifestant·es (bien que déclenchée par la répression policière).
Or, la violence juridique et le déni démocratique du pouvoir justifient de plus en plus la radicalisation des mouvements écologistes. Surtout, cette procédure de dissolution est un indicateur de la réussite d’un mouvement qui dérange. D’ailleurs, au soir même de l’annonce de la procédure de dissolution, ce sont des dizaines de milliers de personnes qui ont manifesté leur soutien au mouvement dans plus de 150 communes partout en France. Si l’escalade répressive n’est jamais une bonne nouvelle au vu des traumatismes physiques et psychiques vécues par les manifestant·es, nous devons réaliser que le pouvoir tremble dans la soi-disant patrie des droits humains.
À l’aube d’un grand mouvement de résistance ?
Le leitmotiv est donc le suivant : le combat mené par les écologistes n’appartient pas aux Soulèvements de la Terre, il continuera d’exister quelque soit l’issue de la procédure de dissolution. La lutte écologiste est implantée à travers de nombreuses organisations et mobilisations sociales de résistance, notamment contre les projets inutiles. Leur dernier communiqué invite à multiplier « les actions, les surprises, les surgissements pour défendre la terre et l’eau comme bien communs », et suggère que malgré les risques encourues, les militant·es seront moins collectivement réprimables, à condition d’être plus « nombreuses et nombreux, solidaires et déterminé·es à agir ».
Les Soulèvements de la Terre ont surtout lancé un appel invitant à rejoindre un grand mouvement de résistance, devenu interdit mais « collectivement inarrêtable » car ancré « ancré dans les territoires, présent dans les lieux de travail et d’études, les granges et arrière-salles, jusqu’au sein même des administrations ». Le mouvement projette d’occuper au maximum l’espace public, cœur de l’influence de l’opinion : « devant les bistrots et centres sociaux, à la pause café, par des réunions ouvertes, des antennes internationales, des inscriptions sur les murs, des fanions et des fêtes, des désarmements et des pieds de nez. »
De plus, divers médias indépendants ont annoncé leur soutien et proposeront des espaces d’information sur la suite à donner du mouvement, parmi lesquelles basta!, Cerveaux Non Disponibles, la Relève et la peste, Contre-attaque, Le Média, Partager c’est sympa, Lundi Matin, Fakir, entre autres.
Même son de cloche du côté de QE qui constate que les Soulèvements de la Terre se sont « inscrits dans l’ADN militant » et que leur dissolution n’entamera pas la détermination des résistants écologistes.
Par la résistance, les militant·es QE entendent l’armement : de toutes armes disponibles – notamment de courage – pour combattre la répression, mais aussi pour lutter et pour construire. Tout en laissant planer le doute sur le sens propre ou figuré donné aux « armes », le vocabulaire se veut très claire sur la détermination des militant·es à poursuivre la lutte, la radicaliser, à désobéir et à combattre sur tous les fronts un système néolibéral dont l’anéantissement constitue la condition sine qua none de la protection du vivant.
– Benjamin Remtoula, avec l’appui de la déclaration de soutien de QE.
Photo de couverture de Ehimetalor Akhere Unuabona sur Unsplash