Le 1e avril, le journal russe indépendant Novaïa Gazeta avait alerté sur l’opération de répression des autorités tchétchènes contre des homosexuels et contre toutes personnes soupçonnées de l’être. L’information selon laquelle une centaine de personnes avaient été arrêtées, torturées et détenues dans des prisons secrètes, a rapidement fait le tour du monde et a été largement relayée par les ONGs et par de nombreux médias. Maxime Grandjean a voulu alerter, lui aussi, mais d’une manière différente. En réalisant dans la foulée son court métrage « Sans un bruit« , il a voulu lutter, refuser, nous appeler à tout faire pour que ce qui se passe en Tchétchénie ne soit pas seulement une information perdue dans le flot d’informations. Et il nous amène à nous poser cette effroyable question: « et si ça nous arrivait? ».
Un film réalisé dans l’urgence de l’actualité
Selon les témoignages recueillis par le journal russe, les détenus auraient été torturés dans le but de connaitre l’identité d’autres LGBT. Une véritable rafle qui laisse sans voix, à même le domicile des intéressés. Inimaginable à notre époque où un minimum de tolérance semblait être acquis. En réponse, le porte-parole du dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov a déclaré : « Vous ne pouvez pas arrêter ou réprimer des gens qui n’existent pas dans la république. L’homosexualité n’existe pas ici « . Entre deux productions, Maxime avait été interpelé par des fans lui demandant de parler de ce qui était en train de se passer en Tchétchénie. Effaré par les témoignages qu’il lisait, il ne parvenait pas à croire en cette nouvelle réalité qui frappait le monde de plein fouet.
« C’est d’autant plus terrifiant quand vous avez grandi avec l’histoire de la France, et que vous vous dites que des évènements comme ceux du Vel’ d’Hiv, les rafles sur la communauté Juive où la communauté LGBT avec les triangles Roses, ne pourrait pas arriver de nouveau. » nous explique-t-il. « Mais si, c’est le cas. On parle à nouveau de camps, de rafles, de dénonciations. Comme si plus de 75 ans après l’occupation, on vous disait « oui, ça recommence. C’est comme ça« . »
Pour lui, l’enjeu a été de rapidement trouver un angle d’attaque qui puisse être pertinent pour un spectateur français alors qu’il voulait raconter quelque chose qui se passait à plus de 4000 km d’ici. Le but était de réellement trouver une façon d’alerter, de sensibiliser, de rapprocher ce drame pour que chacun puisse vraiment prendre la mesure de l’horreur qu’il représente. Avec l’équipe de son précédent court métrage « Nudes », il a écrit en quelques jours trois versions du scénario. Sans perdre de temps, une fois la version du script validée, la recherche des acteurs s’est initiée et le tournage s’est lancé.
Une urgence car, pour l’équipe, le film devait sortir rapidement puisque les évènements étaient en train de se dérouler, tout en exprimant leurs sentiments à chaud. Et, effectivement, tout s’est déroulé très vite, nous dit Maxime: « Nous avons limité les lieux de tournages pour tourner plus rapidement, enchainer deux intrigues le même jour. Vous avez quatre histoires mais en vérité, seulement deux appartements ont été utilisés pour tout faire« . Un réalisateur qui se sent chanceux d’avoir été entouré d’acteurs révoltés par la cause du film et qui se sont rendus réellement disponibles pour le tournage. D’autant plus que le monde du cinéma indépendant est rude et que réaliser une œuvre aussi rapidement dans ces conditions, démontre une réelle motivation et une véritable adhésion au projet.
« Financièrement ça à été rude parce que nous sommes des indépendants qui produisent une œuvre de fiction, ce qui n’est jamais facile pour personne. On a économisé sur des dépenses superflues, on a bricolé, on a utilisé le matériel des uns et des autres, tout ça pour obtenir ce résultat. Tout les soldats que vous voyez, ce n’est qu’un seul acteur qui les a tous joué, Anthony Mandot, et on a scotché une lampe torche sur son fusil. La moindre économie était le bienvenue. Le plus compliqué aurait pu être la Post Production mais GCS Production à aidé pour ça, et certaines personnes ont bossé bénévolement pour le projet, ce qui a été un énorme avantage pour sortir rapidement le court métrage. Nicolas Martigne (Sound Design) et Denis Bosque (compositeur) ont fait un travail formidable, ils ont énormément apporté à ce projet. »
Un film gratuit pour appeler à la vigilance
Bien sûr, l’équipe de « Sans un bruit » voulait dénoncer ce qui se passe aujourd’hui en Tchétchénie. Mais pour Maxime, le message va au delà de ça. Le film est une invitation à franchir les barrières physiques, effacer la distance qui nous sépare des évènements pour que cette situation impensable soit la nôtre, également.
« Aujourd’hui, nous sommes informés dans la seconde d’un événement qui peut se passer à des milliers et des milliers de kilomètres de nous. Nous n’avons jamais été aussi près et aussi loin de tout. Nous nous sentons impliqués et très distants à la fois de tout ce qui arrive loin de nous. Si cela arrive ailleurs, nous compatissons. Si cela arrive chez nous, nous avons peur. Nous avons beaucoup plus de sentiments forts lorsque ça se passe dans notre pays, c’est nos amis, nos villes, qui sont touchées… »
Comme la plupart d’entre nous, Maxime se souvient des attentats du 11 septembre. Il avait lu des années plus tard un article du Monde, dans lequel Jean-Marie Colombani avait écrit « Dans ce moment tragique où les mots paraissent si pauvres pour dire le choc que l’on ressent, la première chose qui vient à l’esprit est celle -ci : Nous sommes tous Américains« . Récemment, l’actualité nous a malheureusement donné beaucoup d’occasion de ressentir de la compassion envers les victimes du terrorisme. Pourtant, malgré notre compassion, un sentiment d’impuissance s’installe selon Maxime, qui nous dit à quel point on peut se sentir minuscule et découragé face à des horreurs comme le monde en produit trop souvent. Voilà ce que voulait dire Maxime, la distance n’est rien quand il s’agit de tels évènements, car ils peuvent se produire n’importe où, quand les conditions politiques le permettent.
« La Tchétchénie nous semble loin, mais quand vous regardez, ce n’est que 50 heures en voiture pour s’y rendre. Deux jours. Ce n’est pas loin, c’est juste à côté de nous. Rien n’est fixe politiquement, tout peut changer n’importe où en quelques heures. Rien ne nous dit que ce qui se passe en Tchétchénie mais aussi à Jakarta (où 140 personnes LGBT ont été arrêtées il y a quelques jours) où ailleurs encore, n’arrivera jamais chez nous. »
Un film qui nous invite donc à toujours rester vigilants, car l’homophobie, la Transphobie, le racisme existent toujours et n’attendent qu’une opportunité pour se réveiller. Si ces phénomènes nous paraissent, ici en France, plus lointains ou moins préoccupants, l’homophobie est toujours bien vivace. Parfois même il nous suffit d’allumer la télévision pour en apercevoir une belle démonstration, affligeante de bêtise, à une heure de grande écoute. « On tend à banaliser tout ça, mais il faut refuser, ne pas baisser la garde, rester vigilant. Il le faut, plus que jamais. Des parents jettent encore des adolescents de chez eux, aujourd’hui en France. En Tchétchénie, les parents sont invités à les jeter du haut d’un immeuble ou bien les autorités le feront à leur place. Nous devons tout faire pour que cela n’arrive pas, chez nous comme ailleurs. Ne pas reproduire les mêmes erreurs que les générations passés, avec les étoiles jaunes et les triangles roses ».
On remercie chaleureusement l’équipe du film pour son engagement et parce qu’il nous rappelle que nous devons chaque jour combattre ces injustices, jusqu’en nous, pour refuser que de telles horreurs deviennent habituelles. Le film est disponible gratuitement sur Youtube.
Le film
https://www.youtube.com/watch?v=174bduPY21Q
Huffington Post / HCR / Amnesty International / Le Monde / Courrier International
Propos recueillis par l’équipe de Mr Mondialisation