Cela n’aura échappé à personne, ce mois de juillet a été le théâtre de terribles feux de forêts. Plus de 7000 hectares de végétations sont partis en fumée dans le sud-est de la France en quelques semaines. À qui la faute ? Au climat ? La sécheresse ? L’activité humaine ? Des décisions politiques ? Non, aux loups ! du moins si l’on en croit certains élus et éleveurs des régions concernées. Une accusation aberrante qu’il nous a été difficile, au sein de la rédaction, de comprendre sans creuser. Alors, le loup, responsable des feux ? Éléments de réponse auprès de Marion Fargier de l’ASPAS (Association pour la Protection des Animaux Sauvages), membre du collectif CAP Loup.
L’arbre qui cache le feu de forêt
La mise en accusation du loup aura été publique et relayée largement par de très nombreux médias. Particulièrement véhiculée par Gabriel Magne, le maire d’Artigues, cette thèse affirme que la présence des loups empêchait les activités de « débroussaillement » nécessaires pour endiguer la propagation des feux. Il avait d’ailleurs été appuyé par plusieurs éleveurs qui avouaient n’avoir pas pu accéder aux zones à débroussailler à cause, disent-ils, de la présence de ces loups. S’il est vrai que le débroussaillement est l’une des stratégies efficaces pour éviter la propagation des feux, on s’interroge tout de même sur le bien-fondé d’une telle accusation plaçant le loup en tête des responsables. Est-il réellement possible de croire que la présence seule de loups puisse être la cause des feux de forêts que nous observons cet été ? Pour Marion Fargier, la réponse est claire et précise :
« C’est ridicule. Il y a des incendies parce que les gens mettent le feu accidentellement, par inadvertance ou par inconscience. Des incendies, il y en a toujours eu. En Corse, il n’y a pas de loups et pourtant… C’est totalement aberrant. Il y a des catastrophes tous les ans dans le sud depuis toujours. Ils surfent sur l’actualité dramatique des incendies pour pouvoir placer des propos anti loups.«
Il semblerait effectivement que cette polémique soit l’arbre qui cache la forêt et que le retour du loup dans nos contrées soit une problématique complexe qui mérite toute notre attention. Rappelons-le, en France, des quotas de tir sur les loups sont autorisés chaque année. En fait, il s’agît plutôt d’encadrer ces tirs afin de répondre aux attentes des éleveurs qui se sentent menacés par la présence des loups. Marion Fargier nous rappelle les conditions de ces tirs : « Le gouvernement fixe un plafond annuel. Entre le 1e juillet 2017 et le 30 juin 2018, on a le droit de tuer 40 loups. Après, il fixe un protocole qui va déterminer comment on peut les tuer. Il y a tout un panel de dérogations à la protection qui vont être ordonnés par les préfets en fonction des critères fixés par le ministre. Il y a les tirs de défense, ça se sont les éleveurs qui tuent un loup en situation d’attaque du troupeau. Il y a les tirs de défense renforcée, où l’on peut faire venir une dizaine de tireurs pour protéger le troupeau dans un périmètre de pâturage (donc sur plusieurs communes) et où on n’est donc plus loin du cas de la légitime défense. Après il y a les tirs de prélèvement et les tirs de prélèvement renforcés et là ça se passe sur 20, 40 communes, ou même la moitié du département, où on fait venir plusieurs tireurs et où dans ces zones, les chasseurs, quand la chasse est ouverte, sont autorisés à abattre un loup s’ils en croisent un. Le loup devient donc « chassable » dans ces zones.«
Pour autant, Marion Fargier juge ces mesures inadaptées. Pire, elles ne contenteraient en fait personne. Si une partie du monde de l’élevage est donc complètement opposée à la présence des loups, les mesures mises en place par le gouvernement ne semblent pour autant pas être une solution en soi. Et cela relèverait même d’une question de bon sens puisque, si la solution était réellement de tirer sur les loups, pourquoi dans ce cas ne tirer que sur un petit pourcentage d’entre eux ? Si les autres loups ne sont pas empêchés d’aller tuer des moutons, en quoi ces autorisations de tirs pourraient-elles véritablement représenter une solution ? En 2016, une étude avait également montré que la chasse au loup ne servait pas à faire reculer les attaques. Au contraire, en tuant les chasseurs d’une meute, les attaques pouvaient aller en se multipliant (faim). Une mesure qui ne satisfait personne, donc, et surtout pas les éleveurs (et Marion insiste ici sur le fait qu’il s’agit une petite partie du monde de l’élevage) qui se radicalisent et défendent la solution de l’éradication totale.
Le serpent qui se mord la queue
On se rend donc compte que cette problématique du loup en France est une question qui reste entière. Mais, durant notre entretien avec Marion, nous comprenons vite que nous faisons face à une série de conceptions erronées qui méritent d’être rétablies. Le question du coût d’abord. S’il est de notoriété publique que les dégâts causés par les loups sont un gouffre économique pour les éleveurs, Marion nous explique que ce n’est pas si simple que ça.
« Économiquement, le loup n’est pas le seul problème du pastoralisme en France. Si on regarde les chiffres, le pastoralisme est en déclin partout en France, mais l’est moins dans les zones à loups. C’est dans ces zones là qu’il se porte le mieux sur le territoire français. Le loup ne représente même qu’1% de la mortalité dans les zones à loups, ça veut dire que pour un mouton qui meurt à cause du loup, il y en a 99 qui meurent d’autres choses. Donc ce n’est pas une perte économique substantielle. » défend Marion Fargier.
De plus, le gouvernement a mis en place un plan d’aide à destination des éleveurs afin de subventionner des mesures de protection. Ce qui veut dire concrètement qu’en fonction de la taille de leurs troupeaux, ils auront le droit de se voir subventionner un certain nombre d’aides. En fait, l’État finance à 80% toutes les dépenses de protection, du salaire des aides berger aux croquettes des chiens de berger. Mais surtout, l’État indemnise toutes les victimes pour lesquelles il n’a pas été possible d’exclure la responsabilité du loup. Ce qui veut dire qu’en pratique, dès lors qu’un animal est retrouvé mort dans une zone à loups et qu’il y a eu prédation, la perte va être attribuée par défaut aux loups. L’éleveur se verra donc indemnisé des brebis perdues à leur valeur marchande. Ce qui est particulièrement intéressant de noter ici, c’est que cette indemnisation est due même si les troupeaux n’étaient pas protégés. Comme le remarque Marion, cela vient quelque peu contrecarrer les incitations à protéger les troupeaux. Voilà donc une première incohérence dans l’approche gouvernementale de cette problématique de la présence des loups dans les zones pastorales.
La deuxième ? La réponse apportée par l’État face à la colère des éleveurs semble même empirer la situation. Il faut savoir qu’on parle aujourd’hui d’environ 360 loups. Une population qui, nous rappelle Marion, n’est pas viable génétiquement. Et pour cause, il est possible qualifier une espèce de « génétiquement viable » lorsqu’elle compte au minimum 5000 individus. Nous parlons donc ici d’une espèce qui est classée dans les espèces menacées d’extinction. Selon le Muséum National d’Histoire Naturelle, ce genre de mesures d’abattage aveugles n’ont pas d’effets positifs démontrés sur les élevages et des études à l’étranger ont même montré que c’était plutôt déstabilisant sur les meutes. Une meute déstabilisée serait moins efficace pour aller prédater des espèces sauvages. Affaiblie, elle serait alors guidée vers le plus facile même si c’est le plus dangereux. « Elle va aller sur du mouton quitte à se prendre une balle, parce que c’est ça ou mourir de faim parce qu’elle est pas en capacité d’attraper un cerf. Les chiffres parlent, les attaques ne baissent pas. », nous rappelle Marion.
Nous comprenons donc qu’aucune solution viable n’a encore été envisagée dans cette crise du loup en France, qui est pour Marion un véritable problème social qui dépasse la question de la cause animale mais touche aussi la domination de l’économie sur notre rapport à la vie elle même. « Pour eux c’est un retour en arrière. Les anciens avaient éradiqué le grand méchant loup et pourtant il revient… Pour eux, ce sont les écolos qui sont la cause de ce retour mais en fait, ils reviennent d’Italie ou d’ailleurs, naturellement. Ils ont l’impression qu’on leur impose des contraintes mais c’est comme le vent en fait, ce n’est pas la faute de quelqu’un. La grêle c’est très pénible pour les producteurs d’abricot, mais au mieux on peut mettre un filet anti-grêle, on va pas demander au gouvernement d’arrêter la grêle on ne peut pas. Et bien pour le loup c’est pareil. »
Car si le loup est une donnée qui complique la tâche du berger, il fait partie des « contraintes » environnementales inéluctables face à une activité humaine qui baigne dans l’illusion de contrôle total de la nature. Rappelons que vouloir supprimer une donnée environnementale parce qu’elle est contraignante est tout l’inverse d’une agriculture raisonnée et durable. Rappelons également que, excepté la foudre, selon toutes les connaissances scientifiques acquises, la quasi-totalité des feux est due à l’activité humaine, soit de manière involontaire, soit de manière volontaire (pyromanie, vengeance ou stratégie politique ou administrative).* Tout indique que tenir le loup en responsable est une stratégie politique de communication visant à orienter la responsabilité sur un bouc émissaire idéal, visiblement difficile à abattre.
Libération / Le Figaro / Le Dauphiné / Cap Loup / ASPAS / radio-canada.ca
*Daniau A.L (2008) Variabilité des incendies en Europe de l’Ouest au cours du dernier cycle climatique: relations avec le climat et les populations paléolithiques. Étude des microcharbons préservés dans les carottes marines (Doctoral dissertation, Universite Bordeaux1; Université Sciences et Technologies-Bordeaux I).
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