Émissions de gaz à effet de serre, multiplication des risques de maladies, perte de biodiversité et insécurité alimentaire… Derrière le prix de notre alimentation se cache de nombreuses réalités. Afin de comprendre les impacts négatifs de nos régimes alimentaires, des chercheurs ont récemment calculé les coûts cachés de notre alimentation. Sortez le portefeuille !

Pour atteindre les objectifs environnementaux fixés par les Accords de Paris, de nombreux secteurs de la société sont appelés à drastiquement réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). Parmi ceux-ci, la production et la consommation alimentaire jouent un rôle-clef dans la capacité des sociétés humaines à vivre plus durablement. Bien loin des objectifs annoncés, le système alimentaire planétaire représente actuellement près d’un tiers des émissions d’origine humaine.

Les coûts cachés de notre alimentation

« les changements alimentaires ont un potentiel d’atténuation considérable et ne nécessiteraient pas nécessairement de nouvelles technologies ou innovations ».

C’est ce qu’assurent Elysia LucasMiao Guo et Gonzalo Guillén-Gosálbez, chercheurs au King’s College de Londres et à l’École polytechnique fédérale de Zurich, mais aussi auteurs d’une analyse des coûts cachés de notre alimentation. Publiée le 15 mai 2023 dans la revue scientifique Nature Food, cette étude combine les principes de diagnostic du monde vivant et les facteurs de monétarisation afin d’estimer la valeur monétaire des dommages causés à la santé humaine, aux écosystèmes et au climat par la production et la consommation de nourriture dans une centaine de pays du globe.

Ces coûts indirects liés à notre alimentation, aussi appelés externalités, reflètent de nombreuses réalités, passant de l’acidification des sols, à la consommation d’eau douce, à l’utilisation des terres, aux risques d’insécurité alimentaire ou encore des maladies cardio-vasculaires… Prenant en compte une quinzaine de paramètres différents, les auteurs de l’étude espèrent ainsi mettre en évidence ces coûts cachés qui ne sont pas reflétés dans le prix payé par le consommateur, ni compensé par le producteur.

Cadre pour évaluer le coût des externalités de la production alimentaire et étudier les économies potentielles à partir de scénarios hypothétiques potentiels de changement alimentaire. Source : « Low-carbon diets can reduce global ecological and health costs »

Quantifier les externalités pour initier le changement

Pourtant, la société dans son ensemble paie pour ces différents impacts, par le biais de la sécurité sociale ou encore des politiques environnementales compensatrices des dégâts générés. Pour les scientifiques, « la quantification de ces externalités (…) est une étape importante vers une compréhension complète des implications plus larges du changement alimentaire et pourrait fournir des preuves scientifiques supplémentaires pour une élaboration des politiques plus efficace ».

Et pour cause : le coût caché de notre alimentation au niveau mondial est estimé à plus de 14 000 millards de dollars en 2018. Pour chaque dollar ainsi dépensé par les consommateurs, les chercheurs estiment qu’il est nécessaire d’ajouter en moyenne 1,94 dollar pour obtenir le coût total ou « réel » de l’alimentation mondiale, soit le double du prix requis. En détails, les chercheurs estiment que 1,15 dollar serait décompté pour assurer les frais liés aux dégâts sur la santé humaine, alors 0,79 dollars serait accordé à la réhabilitation des écosystèmes.

Image par Frauke Riether de Pixabay

Des disparités importantes entre chaque région du globe

Évidemment, ces coûts cachés varient d’une région à l’autre du monde. Ainsi, « les régimes alimentaires des régions à revenu élevé s’avèrent être les plus coûteux, à la fois en termes d’externalités et de coût pour le consommateur, en raison de la composition du régime alimentaire et de l’apport alimentaire moyen plus élevé, ainsi que des prix des produits alimentaires », détaillent les scientifiques. Pour autant, le fardeau économique des coûts externes de l’alimentation pour les pays à revenu élevé est moins prononcé que pour les pays à faible revenu, « c’est-à-dire que les estimations des coûts externes en pourcentage du PIB total vont de 7 % (3-16 %) pour les pays à revenu élevé à 102 % (43-228 %) pour les pays à faible revenu ».

En termes de distribution régionale, les régimes alimentaires moyens en Amérique du Nord et en Océanie produisent les externalités monétarisées annuelles les plus élevées par habitant (environ 4 200 dollars), tandis que les externalités les plus faibles proviennent des régimes alimentaires d’Asie du Sud et d’Afrique subsaharienne (environ 1 100 dollars par habitant. Les chercheurs constatent ainsi de grandes disparités dans les externalités annuelles par habitant entre les nations, avec une multiplication par cinq de l’Éthiopie aux États-Unis. « Pour les autres régions, nous découvrons des niveaux plus modérés de coûts externes annuels associés à leur régime alimentaire moyen, compris entre 2 500 et 2 800 dollars pour l’Europe, l’Asie centrale, l’Asie de l’Est, l’Amérique latine et les Caraïbes et entre 1 700 et 2 000 dollars pour le Sud-Est de l’Asie, l’Asie de l’Ouest et l’Afrique du Nord ».

Carte du monde montrant les externalités monétarisées annuelles estimées associées au régime alimentaire moyen par habitant de chaque pays analysé (101 pays). – Source : « Low-carbon diets can reduce global ecological and health costs », disponible sur www.nature.com/articles/s43016-023-00749-2

Ces résultats s’expliquent facilement : les niveaux élevés de consommation d’aliments d’origine animale tels que la viande, les fruits de mer, les produits laitiers, les œufs ou encore les graisses animales dans les pays à revenu élevé influencent fortement les coûts indirects de l’alimentation. Par ailleurs, « les céréales représentent un autre contributeur majeur aux externalités de tous les groupes de revenus, mais en particulier pour les revenus les plus faibles où les régimes alimentaires dépendent fortement des cultures céréalières de base », détaillent les auteurs de l’étude.

Vers un changement de nos régimes alimentaires ?

Finalement, ces résultats récoltés à travers plus d’une centaine de pays mettent en lumière l’ampleur et les sources actuelles des coûts externes cachés de la production alimentaire sur la santé de la population et des écosystèmes dans le monde, qui pourraient être largement réduits par des changements alimentaires dans les pays développés.

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Car les chercheurs ne s’arrêtent pas là. Convaincus que « les changements alimentaires ont un potentiel d’atténuation considérable », ils étudient les économies réalisées si les populations adoptaient d’autres habitudes alimentaires, tirées de plusieurs régimes recommandés pour préserver notre santé et celle de la planète, comme le végétarisme, le véganisme, le peso-végétarisme, le flexitarisme ou encore la non-consommation de viande rouge.

Rapidement, un constat s’impose à eux : « la réduction de la consommation d’aliments d’origine animale pourrait apporter d’importants avantages climatiques tout en contribuant à la stabilité des ressources en ce qui concerne l’utilisation des terres, les cycles biogéochimiques, la biodiversité et l’utilisation de l’eau ainsi qu’à l’amélioration des résultats de santé publique ».

Par rapport aux aliments d’origine végétale, la production d’aliments d’origine animal émet en effet sensiblement plus de carbone par gramme, en plus de représenter à elle seule la majorité des émissions totales de la production alimentaire.

La viande, première responsable

La suppression de la viande rouge à elle seule réduirait, selon les chercheurs, les externalités et les émissions de GES de l’ordre de 4 000 milliards de dollars (de 1 800 à 9 400 milliards de dollars en fonction des pays) et de 2,3 giga tonnes d’équivalent CO2 (de 2,0 à 2,8 Gt CO2e). En allant encore plus loin, l’exclusion complète d’aliments d’origine animale dans le scénario « vegan » pourrait générer 7,3 billions de dollars d’économie et une réduction d’environ 4,5 Gt CO2e par rapport au régime alimentaire original observé en 2018. De loin, les régions à revenu plus élevé jouent le rôle le plus critique dans la réalisation d’économies potentielles sur les externalités du changement alimentaire, étant donné qu’ils en sont les principaux consommateurs.

Contributions des groupes d’aliments, exprimées en pourcentage du total des externalités monétarisées causées par la production d’aliments consommés dans le monde et dans les PFR (pays à faible revenu), les PRITI (pays à revenu intermédiaire tranche basse), les PRITS (pays à revenu intermédiaire tranche supérieure) et les PRE (pays à revenu élevé) – Source : « Low-carbon diets can reduce global ecological and health costs », disponible sur www.nature.com/articles/s43016-023-00749-2

Grâce à la baisse de la consommation d’eau douce liée à le production de cultures destinées aux animaux d’élevages et à la libération des terres arables, les chercheurs estiment entre autre prévenir la perte de plus d’une centaine de milliers d’espèces animales et végétales, épargnées par la perturbation des sols liée à l’agriculture ou la disparition de leur habitat.

En présentant ces nouveaux résultats, Elysia LucasMiao Guo et Gonzalo Guillén-Gosálbez espèrent inciter à la mise en place d’une transition alimentaire généralisée dans les pays développés « qui semblent actuellement avoir le mode de consommation alimentaire le plus dommageables pour l’environnement », mais aussi la capacité de faire une véritable différence.

– L.A.


Photo de couverture par Steve Buissinne de Pixabay

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