À l’heure où la crise écologique bat son plein, bien des luttes sont délaissées, voire englouties, par le mouvement climat. Ce dernier se focalise sur une décarbonation de l’économie, au point de miser une grande partie de ses espoirs sur le monde industriel qui est pourtant l’une des causes majeures du problème. Mais alors, peut-on sciemment dire que la technologie « utilisée à bon escient » pourrait être salvatrice pour l’humanité comme le prétendent les fervents défenseurs de la croissance « verte » ? Analyse.

La technologie peut-elle nous sauver ? À cette question, les militants du mouvement ATR (Anti-Tech Resistance) répondent non, sans aucune hésitation. Selon eux, chaque étape de production et d’utilisation des technologies est synonyme de destruction de l’environnement et d’exploitation de l’humain. Leur objectif ? Fédérer les luttes et rassembler des militants écologistes pour affronter l’ennemi majeur du monde vivant : le système techno-industriel. Détermination et solidarité sont au cœur de ce mouvement, forte d’une stratégie en béton. Présentation.

« Un mouvement pour mettre fin au règne mortifère des machines »

Anti-Tech Resistance (ATR) est un mouvement international dont l’objectif est de «  démanteler le système technologique pour stopper la dévastation du monde et empêcher l’extinction de l’espèce humaine ». Inspiré par des figures telles que Theodore Kaczynski, mathématicien, militant éco-anarchiste, et auteur de « Révolution anti-tech: Pourquoi et comment ? » (2016), il repose sur 12 principes fondamentaux.

1. « Le système technologique est totalitaire »

L’un des mensonges majeurs de notre ère est celui qui tend à nous faire croire que la technologie rend l’humain libre. Près de deux siècles de son utilisation nous prouvent pourtant tout le contraire, l’exploitation des travailleurs étant au cœur de celle-ci, sans même parler de la destruction des habitats naturels qui lui est inhérente. Les technologies « vertes » reposent, quant à elles, grandement sur une délocalisation de la pollution et l’accaparement des terres dans les pays pauvres. Pourtant, le progrès technique demeure aujourd’hui au centre de toutes les politiques et malheur à celui qui daignerait y opposer un quelconque argument ! Selon ATR, « alors que dans la plupart des sociétés préindustrielles, le progrès technique était systématiquement débattu, voire soumis à des tabous ou des interdits en raison des bouleversements sociétaux qu’il engendrait, ce n’est pratiquement plus le cas aujourd’hui. La mentalité collective vis-à-vis du changement technique semble avoir été modifiée en profondeur depuis la première révolution industrielle. »

« D’autre part, il est frappant de constater que les possibilités de contrôle, de surveillance et de répression par l’État augmentent au fur et à mesure des progrès techniques. » ATR

2. « Notre problème n’a rien à voir avec un mauvais usage de la technologie »

La question est de savoir si un usage avec discernement de la technologie pourrait réparer les dégâts causés par son utilisation « dans de mauvaises mains » et, finalement, être émancipateur pour l’espèce humaine. Encore une fois, les activistes du mouvement ATR s’opposent à ce raisonnement fallacieux, soutenant qu’en aucun cas, la technologie ne peut être qualifiée de « neutre », étant fondamentalement destructrice et asservissante : « La technologie ne pousse pas dans les arbres, car sa production a des implications sociales et écologiques. […] Cette problématique n’a rien à voir avec une question de gouvernance. Qu’un régime politique soit de gauche ou de droite, il faudra toujours 3 000 tonnes de sable et de gravier pour construire un bâtiment des dimensions d’un hôpital, 30 000 tonnes pour un kilomètre d’autoroute et 12 millions de tonnes pour une centrale nucléaire. Remplacer ces matériaux par d’autres ne change fondamentalement rien au problème : le développement et l’entretien des villes et des infrastructures implique d’arracher en continu des quantités phénoménales de matériaux à la croûte terrestre. »

Chantier de l’EPR à Flamanville. 2010. Source : Wikicommons.

3. « Le primate humain est un animal comme un autre »

Aujourd’hui, bien des discours qualifient l’humain de foncièrement néfaste pour son environnement, contrairement aux autres animaux qui vivent en synergie avec celui-ci. Ceci au point que de nombreux occidentaux se réjouissent de la « fin proche » de l’humanité, ne mesurant aucunement les souffrances endurées par des populations qui subissent d’ores et déjà de plein fouet les conséquences de la crise écologique. « La planète ne s’en portera que mieux ! » disent-ils, confortablement assis dans leur canapé, bien loin des flammes de l’enfer capitaliste qui ravage depuis des années de nombreuses régions du monde. Et pourtant, ce n’est pas l’être humain en soi qui est fondamentalement mauvais, des millénaires d’histoire de l’humanité sont là pour en témoigner. C’est finalement notre profonde déconnexion de ce qui nous rend vivants qui nous mène aujourd’hui à notre perte, écrasés sous le poids de la méga-machine qui dévore nos esprits autant que notre environnement naturel : « Que des millions d’humains modernes soient intimement convaincus d’être de la vermine, ce jusqu’à refuser d’enfanter, en dit plus sur leur état de santé mentale que leur consommation astronomique d’antidépresseurs. Cette conception pathologique de la nature humaine semble universelle dans les pays industrialisés, mais absente dans les sociétés traditionnelles de chasseurs-cueilleurs, d’agriculteurs, d’éleveurs ou de pêcheurs de subsistance. »

Occupation de la Direction Départementale des Territoires de la Drôme par la Confédération Paysanne. Source : Wikicommons.

4. « Nous ciblons le système, pas les individus »

Non, faire pipi sous la douche et éteindre la lumière en sortant de chez soi ne sauvera pas la planète. Tandis que le capitalisme ne cesse de propager l’idée de la responsabilisation individuelle pour faire face à la crise écologique, il est aujourd’hui clair que ce ne sont pas des actes isolés qui permettront de la résoudre. Et en fin de compte, nous sommes tous concernés : « Nous pensons que le système technologique menace la perpétuation de l’espèce humaine, c’est-à-dire la survie de chacun des 7,7 milliards d’individus humains sur Terre. Peu importe les dimensions de son compte en banque, sa place dans la hiérarchie ou son origine sociale, aucun humain ne peut survivre sans eau potable, sans nourriture, sans terre fertile, sans atmosphère et température viables – autrement dit, sans une biosphère fonctionnelle. »

5. « Neutraliser l’ennemi est la priorité absolue »

La multiplication des crises ces dernières années nous a d’ores et déjà montré la profonde non-viabilité de ce système qui accélère graduellement l’exploitation des peuples, tout comme la destruction de l’environnement et des cultures. Le développement des low-tech ne peut pas, par définition, faire le poids face aux technologies dévastatrices employées à large échelle. Pour sauver l’humanité il est aujourd’hui urgent de démanteler le système dominant et laisser place à de nouvelles sociétés résilientes. Pour cela, il est essentiel de « défendre les sociétés traditionnelles existantes dans les pays du Sud afin de préserver leur précieux savoir et de repousser au maximum le moment de leur extinction. Sur ce point, l’ONG Survival International ou le World Rainforest Movement font un travail louable. Le travail d’ATR vise également à sauvegarder la diversité culturelle humaine restante, une richesse stratégique pour la survie de l’espèce. »

6. « Nous voulons DÉMANTELER le système technologique, pas le réformer ni le fuir »

Le monopole du système techno-industriel sur notre planète et son développement incessant sont tels que l’on ne peut pas réellement s’en détacher et encore moins le faire évoluer : « Il est impossible de fuir le système technologique en raison à la fois de sa nature totalitaire et de son expansion constante. Le système technologique colonise toutes les activités, tous les aspects de l’existence humaine. »

https://youtu.be/O2FlLUpR308

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7. « Nous rejetons les clivages politiques conventionnels »

S’identifiant davantage à « un groupe d’autodéfense qu’à un mouvement politique », ATR rejette toute éventuelle politisation du mouvement, synonyme de clivages au sein de la population : « La mascarade politique est à la fois une distraction et un poison qui divise le peuple, un leurre qui nous détourne de la menace prioritaire. »

On peut cependant noter que si l’institution politique n’est que faussement démocratique, elle peut être investie par les citoyens de manière stratégique, pour diminuer la portée des politiques fascistes et libérales, mais aussi comme moyen de défaire de l’intérieur les rouages de la machine. Face à une situation aussi critique, diversifier les tactiques est essentiel. C’est pourquoi le mouvement ATR peut être complémentaire avec d’autres luttes socio-environnementales, même si celles-ci ne sont pas apolitiques.

8. « Notre seule éthique est celle de l’efficacité et du résultat »

Selon ATR, si l’effondrement de la civilisation industrielle apportera avec elle des changements radicaux à nos vies que peu encore sont prêts à accepter, il ne faudrait pas pour autant perdre de vue le fait qu’il s’agit d’une étape nécessaire pour stopper l’extermination du vivant sous toutes ses formes.

Notons toutefois ici qu’il est important de faire attention à ne pas reproduire le schéma du système dominant en négligeant la souffrance pouvant être causée pour que le mouvement parvienne à ses fins.

9. « Nous utilisons la technologie pour battre le système technologique »

Bien des détracteurs de ce type de mouvements ont recours à l’argument : « Tu ne peux pas avoir recours à la technologie tout en la critiquant ». Il s’agit-là d’un des plus grands sophismes qui polluent les luttes écologistes.

On en revient à la responsabilisation individuelle au sein d’un système qui resserre chaque jour un peu plus les chaînes sur nos vies, ne laissant aucune place à la liberté d’agir avec des manières de procéder autres que celles qui lui sont propres. Pour mieux comprendre ces profondes incohérences, nous vous invitons à (re)lire l’édifiant article de Romuald Fadeau « Poncif n°1 : « Tu critiques la technologie, pourtant tu l’utilises ! » ».

10. « Notre organisation est non-violente »

Bien loin des bains de sangs que l’on peut imaginer en parlant de révolution, ATR prône avant tout des tactiques non-violentes, sans pour autant rejeter les autres formes de lutte qui peuvent être complémentaires entre elles. La clé réside dans la diversification des stratégies.

Lutte et résistance @Truthout.org/Flickr

11. « Notre organisation est hiérarchique et anti-autoritaire »

Il est essentiel de ne pas confondre hiérarchie et autoritarisme qui sont deux concepts très différents. Pourquoi ATR est-elle une organisation hiérarchique ? Plusieurs raisons à cela :

« – Éviter que des individus malintentionnés cherchent à dévier notre organisation de son objectif prioritaire : stopper et démanteler le système technologique
– Après avoir atteint une certaine taille, une organisation ne peut plus fonctionner efficacement sans un minimum de hiérarchie
– Organiser la transmission des connaissances et du savoir-faire des membres expérimentés aux membres les moins expérimentés
– Organiser des campagnes pour sensibiliser le public aux menaces technologiques »

12. « Nos cadres se dévouent pleinement à la cause »

L’organisation est la clé de la réussite d’un mouvement de grande envergure : « D’après l’histoire révolutionnaire, les sociétés ne changent pas en profondeur à la suite de révoltes populaires spontanées. […] Dans nos rangs, nous voulons des combattants motivés, autodisciplinés, autonomes et travailleurs. Trop souvent, les mouvements politiques sont infiltrés par des passagers clandestins, des rêveurs, des ramollis ou des frustrés qui passent leur temps à compenser leurs névroses en agressant leurs collègues (la fameuse « hostilité horizontale »). C’est pour éviter au maximum (le risque zéro n’existe pas) d’intégrer des éléments toxiques que nous procédons à une sélection rigoureuse à l’entrée. »

On peut toutefois noter ici qu’il faut faire attention à ne pas dénigrer les personnes ayant  différents tempéraments, tout autant légitimes que d’autres à exister. En outre, promouvoir une logique productiviste pourrait, à terme, se révéler contre-productif et être source de violence, de souffrance et de burn-out.

Se focaliser sur la technologie comme principal levier de lutte

Si les différents combats écologistes peuvent être complémentaires, ATR choisit de ne pas se disperser, apportant un objectif unique, et pas des moindres, pour fédérer les luttes. Le démantèlement du système techno-industriel constitue ainsi l’enjeu majeur du mouvement étant donné que la technologie est actuellement, selon les membres, la principale menace pour la survie de toutes les espèces qui peuplent cette planète, y compris la nôtre. Selon Anti-Tech Resistance, tant que ce système n’est pas démantelé, des sociétés durables ne pourront pas réellement se construire étant donné que la civilisation industrielle réduit systématiquement à néant toutes les alternatives.

Le mouvement se base avant tout sur le rassemblement et la formation de personnes partageant les mêmes idées, la participation aux luttes contre des technologies spécifiques et aux futurs mouvements sociaux visant à déstabiliser l’économie ou qui s’opposeraient à la technopolice, le lancement de campagnes destinées à stopper des infrastructures énergétiques-clefs (grèves ou blocages par exemple), la diffusion à large échelle des idées portées par le mouvement (dont le désir d’autonomie qui peut être un réel moteur du changement) et le développement de réseaux d’entraide et de solidarité afin de se préparer aux chocs à venir.

Manifestation pour le climat et grève des étudiants à Genève le vendredi 27 septembre 2019. Trois personnes manœuvrent un drone de surveillance. Véhicule de l’armée suisse utilisé par la police cantonale genevoise, avec un générateur électrique, le policier est aux commandes du drone. Source : Wikicommons

Pour lutter efficacement contre le système techno-industriel, le mouvement Anti-Tech Resistance recherche particulièrement des « profils scientifiques et techniques spécialisés dans les domaines suivants : Big Data, intelligence artificielle, robotique, drone, technologies NBIC. Nous cherchons aussi des personnes expertes en développement web, graphisme, vidéo, animation, rédaction web ou SEO. »

– Elena M.


Photo de couverture de ThisisEngineering RAEng sur Unsplash

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