« Ce que les touristes photographient d’une main, ils l’empoisonnent de l’autre », dans « Tourisme : Tristes tropismes », la websérie DataGueule ne mâche pas ses mots. Elle nous rappelle que la « mise en tourisme du monde » est en train de littéralement détruire notre planète, surtout les êtres qui y vivent, tout en transformant les cultures locales les plus populaires en spectacles commerciaux sur mesure.
Difficile de le nier, l’industrie du tourisme est florissante d’un point de vue économique. Selon un rapport du Conseil mondial pour le voyage et le tourisme (World Travel and Tourism Council, octobre 2018), 3,2 % du produit intérieur brut mondial est directement généré par le tourisme seul, un chiffre en augmentation constante. Le secteur serait même lié à 1 emploi sur 10 dans le monde.
Et ce n’est pas fini : selon l’Organisation mondiale du tourisme, le tourisme international gagnait 7 % de croissance sur les quatre premiers mois de 2018 par rapport à la même période en 2017. Le tourisme de masse est donc à son apogée. Certains secteurs semblent moins touchés par la crise. Pour certaines villes, le tourisme est devenu un élément essentiel de leur développement et survie économique. Activité humaine basée sur le déplacement et donc l’accessibilité énergétique, le secteur ne bat pas ces records sans conséquences…
À l’image d’une humanité qui ravage tout sur son passage, le tourisme de masse est source de pollutions considérables, responsable, selon les équipes de Datatagueule, de 8 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Il est également le synonyme, dans bien des cas, de plages souillées et de villes défigurées. Par ailleurs le tourisme de masse déraisonné encourage un maximum de choix de consommation low-cost en produits industriels. Ainsi, on cite souvent Venise en exemple qui a vu débarquer de nombreux fast-foods et de magasins de « souvenirs » de types industriels avec leurs produits fabriqués en Asie. Ils sont aujourd’hui à chaque coin de rue. Les artisans locaux ferment peu à peu leurs portes puisqu’ils ne peuvent pas rivaliser avec les petits prix de la concurrence.
Mais, alors, quel est le « sens » d’acheter un masque fabriqué dans une usine à l’autre bout du monde pour exprimer son amour d’une ville dont on ne soutient même pas les artisans locaux ?
Veut-on visiter une ville ou une énième vitrine de la mondialisation ? À ce sujet, DataGueule ajoute : « fruit de l’essor du temps libre, le tourisme entretien l’illusion du loisir sans conséquence. Mais sa machine commerciale digère espaces et cultures, adaptés, packagés, marketés, épuisés ».
Le paradoxe, c’est qu’en dépit des inconvénients évidents liés au tourisme de masse, pays et villes ont tout intérêt à encourager son développement pour soutenir leur croissance à n’importe quel prix et générer de l’emploi. Les « circuits », « expériences », « immersions » plus originaux les uns que les autres fleurissent dans une course à l’innovation sans fin. Faut-il alors s’étonner du succès remporté par le tourisme d’extinction, pratique qui consiste à aller à la rencontre des dernières tribus autonomes ou à intégrer un safari qui a pour objet l’observation d’espèces en voie de disparition ? Que dire encore du tourisme de la catastrophe qui pousse au développement de visites guidées à travers les ruines de Fukushima ou d’autres lieux sinistrés dans le monde. L’humanité semble creuser définitivement sa propre tombe.
Il faudra certainement se rendre à l’évidence, comme le suggère l’invitée de la vidéo, Saskia Cousin, anthropologue et maîtresse de conférences à l’Université Paris Descartes, qui a fait du tourisme son activité de recherche, nous devons changer notre rapport au voyage.
Le phénomène qui « met en marché l’ensemble des rapports humains » est « en tant qu’industrie, en tant que mise en relation entre personne [..] la quintessence de ce que l’on peut appeler capitalisme ».
Et au regard de l’importance des pollutions générées, il faudra également faire évoluer les habitudes : « on peut se raconter tout ce que l’on veut, si on veut adopter des pratiques durables, il faut arrêter de prendre l’avion ».
Ainsi, le tourisme éthique ne doit pas se transformer en une énième façade d’un productivisme qui ne cache que son nom, mais en une pratique réfléchie dont tous les impacts sont pris en considération.
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