Cela fait maintenant plusieurs mois que des militants écologistes occupent le site d’une carrière près du village d’Éclépens, en Suisse. Une première pour le territoire helvétique qui n’avait jusque-là encore jamais abrité de ZAD. En cause, un projet d’agrandissement de cette carrière de calcaire située au nord de la Lausanne, avec pour objectif l’accroissement de la production de ciment. La frénésie industrielle de LafargeHolcim – dans un contexte de crise écologique globale, ne l’oublions pas – a ainsi donné naissance à cette zone à défendre dont les occupants risquent d’être délogés dès le 16 mars 2021.
Depuis 1953, le cimentier Holcim (un des plus grands émetteurs suisses de CO2) s’adonne à l’exploitation d’une partie de la colline du Mormont, qui surplombe le village d’Eclépens et de Sarraz, dans le canton de Vaud. En 2015, le producteur de ciment fusionne avec Lafarge, devenant ainsi le leader mondial des matériaux de construction. LafargeHolcim exploite aujourd’hui près de 3 000 m² de la colline du Mormont, ce qui lui permet de produire chaque année plus de 800 000 tonnes de ciment. Arrivant peu à peu à la limite du périmètre autorisé, l’exploitant privé cherche aujourd’hui à étendre sa zone d’activité pour produire toujours plus et… détruire toujours plus, le tout en dépit du contexte actuel, pour le moins alarmant, et qui demanderait plus que jamais à mettre un coup de frein à l’industrialisation. Si le projet de LafargeHolcim se concrétise, c’est tout le plateau de la Birette qui va disparaître, de même que la biodiversité exceptionnelle que cette zone recèle.
Un des passages majeurs à faune entre les Alpes et le Jura, il s’agit-là également d’un des milieux les plus riches en flore de la région. Une importante part de cette zone est classée à l’Inventaire fédéral des paysages et des sites naturels et de nombreuses espèces menacées y trouvent refuge dont l’orchidée sauvage. C’est également un site archéologique pour le moins précieux avec notamment un sanctuaire celtique unique en Europe. Mais LafargeHolcim ne le voit pas de cet œil là. Pour la multinationale, ce lieu est avant tout une zone d’extraction, avec à la clé plus de 8 millions de mètres cubes de calcaire. Notons ici que la production du ciment (qui s’élève à plus de 8 milliards de tonnes par an dans le monde) représente à elle seule environ 8 % des émissions de CO2 à l’échelle planétaire. Pourtant, des alternatives au béton existent bel et bien et nombre d’entre elles ont une empreinte écologique négligeable.
Lutter contre la destruction du Vivant
Depuis 2013, l’Association pour la Sauvegarde du Mormont (ASM), créée par des habitants locaux, lutte contre l’extension de cette carrière de calcaire destinée à satisfaire un productivisme effréné. Balades, pique-niques et manifestions sont régulièrement organisées afin de sensibiliser les citoyens à ce projet validé en 2016 malgré l’opposition qu’il connaît. Des recours au Tribunal cantonal ont été réalisés par l’ASM avec l’aide d’autres associations de protection de l’environnement telles Pro Natura. Mais une première victoire des ONG en 2018 n’a pas pour autant empêché la validation du projet en janvier 2019. Les recours suivants à l’échelle cantonale ont été rejetés au printemps dernier. Suite à ces échecs, le projet a toutefois été suspendu grâce à un nouveau recours, cette fois-ci au Tribunal fédéral.
Ne souhaitant pas attendre la décision de la « Justice » – particulièrement indolente quand il s’agit d’écologie, surtout lorsque les accusés sont des multinationales – des militants ont décidé de mener à bien un nouveau plan d’action pour protéger ces terres à la biodiversité sans pareil. Dans la nuit du vendredi 16 au samedi 17 octobre, quelques dizaines de zadistes se sont installés sur des terrains appartenant à LafargeHolcim, mettant en place des barricades, des tentes et des cabanes, occupant également une maison abandonnée qui se trouve au centre du plateau de la Birette. Conférences, balades, concerts et ateliers pour enfants animent depuis cette ZAD. Une action de protection du Vivant sans précédent pour le pays.
La mise en place de cette première ZAD suisse est d’autant plus cruciale qu’elle a fait son apparition peu de temps après le rejet de l’initiative populaire pour des « multinationales responsables » dont le but était de responsabiliser les grandes entreprises siégeant en Suisse en les astreignant à répondre de leurs actes en cas de non respect des droits humains et/ou des normes environnementales. Situation atypique : l’initiative a été rejetée par les cantons alors que le vote du peuple a été majoritairement positif. Un « échec démocratique » selon certains qui considèrent que la lutte écologique sur le territoire helvétique doit aujourd’hui prendre une nouvelle dimension. Le manque de lois environnementales suffisamment contraignantes et les maintes faveurs accordées aux multinationales pour satisfaire leur soif de productivité, de rentabilité et d’expansion toujours plus mortifères, expliquent la multiplication des ZAD dans de nombreux pays ces dernières années, les voies légales d’un tel système capitaliste ne permettant pas de répondre adéquatement à la crise écologique que nous traversons.
« Orchidées contre béton armé ! »
Afin d’accélérer l’expulsion des militants, la commune de La Sarraz a décidé de retirer le permis d’habiter de la maison abandonnée du plateau à Holcim afin que les militants ne puissent plus l’occuper. Le 30 novembre 2020, les écologistes ont fait un recours au Tribunal cantonais vaudois contre cette décision. Sans grande surprise, l’État et la Justice se sont rangés aux côtés de LafargeHolcim. Le recours contestant l’insalubrité de la maison a essuyé un refus et la plainte d’Holcim pour violation de propriété privée a abouti. Les zadistes pourront être expulsés par la police dès le 16 mars. Pour autant, les militants ne comptent pas se décourager et annoncent qu’ils resteront sur place quoi qu’il arrive : «Nous ne croyons pas en une justice qui soutient un modèle de société insoutenable. Si cette colline leur appartient sous certaines formes juridiques, nous appartenons à la colline depuis plus de 4 mois. Nous sommes ceux qui la peuplent, comme les Celtes avant nous, les orchidées ou toutes les espèces que nous croisons au quotidien, chamois, souris, sangliers… Aujourd’hui, main dans la main, les grandes multinationales, la Justice et l’État de Vaud s’allient pour faire taire des voix alternatives qui osent dénoncer la catastrophe écologique locale et mondiale documentée, et s’y opposer. Cette image de la coalition politico-économicorépressive, nous l’avions déjà en tête depuis longtemps. Nul n’est assez dupe pour encore croire que les gouvernements, ou la justice sont à la hauteur de la catastrophe. » annonce le site de la ZAD de la Colline.
Les zadistes lancent aujourd’hui un appel à solidarité, demandant à toute personne qui souhaite les soutenir de leur apporter de l’eau (et des récipients pour le stockage de celle-ci), de la nourriture (notamment des conserves), des bottes de paille, des tissus, des déguisements et autres. De même, ils demandent de l’aide pour la cuisine et la construction, et appellent les artistes qui le souhaitent à venir symboliser leur amour de la colline mais aussi quiconque à venir filmer, photographier les lieux et réaliser des interviews. Un soutien psychologique peut également être de mise pour « cette période extrêmement dure et stressante ». En somme, toute forme de soutien est la bienvenue pour les zadistes : « Il ne nous reste plus beaucoup de semaines avant que la police ne se présente devant les barricades pour éteindre notre présence. Nous résisterons à leur force, avec notre présence belle et colorée à l’inverse de la Terre grise et inerte qu’ils nous préparent. Votre soutien et votre solidarité sont et seront notre moteur. Nous vivons une période charnière pour l’écologie : la lutte sera longue et hasardeuse mais il est inenvisageable d’abandonner face à la catastrophe sociale et écologique en cours. La colline est la première, notre ZAD sera la Terre entière ! » Les informations pour contacter les zadistes sont disponibles sur le site ZAD de la Colline.
– Elena M.