Réforme du chômage : les plus précaires dans le viseur du gouvernement

    Alors qu’une grande incertitude plane sur l’état de l’économie française au sortir de la crise, le gouvernement entend néanmoins mettre en place sa réforme de l’assurance-chômage dès cet été. Plus de 800 000 chômeurs pourraient voir leurs prestations être amputées de 20 % alors que 900 000 personnes supplémentaires risquent de venir gonfler les statistiques de Pôle emploi d’ici la fin de l’année. Analyse.

    « Sachons sortir des sentiers battus, des idéologies et sachons nous réinventer, moi le premier » déclarait, solennel, le Chef de l’Etat en avril dernier. La France était alors immobile, l’économie à l’arrêt, tandis que la population toute entière demeurait suspendue aux lèvres du Président à chacune de ses prises de parole. Cette phrase, lâchée gravement, lourde de significations, avait fait couler beaucoup d’encre et suscitait un espoir étrange, y compris chez les plus sceptiques d’ordinaire. Sans trop y croire non plus, certains commençaient à espérer en silence : et si la crise du coronavirus était le choc planétaire qu’il fallait pour bousculer, à marche forcée, les paradigmes économiques ? Était-il possible qu’Emmanuel Macron ait intégré à son tour la nécessité de ce changement ?

    Une année plus tard, les plus optimistes eux-mêmes ont depuis ravalé leur candeur. La crise n’a pour l’heure fait bouger aucune ligne, elle agit comme un accélérateur des tendances qui étaient en cours ; et cette réforme de l’assurance-chômage semble confirmer que le monde d’après aura bien comme un air de déjà-vu. En effet, même si le gouvernement a largement creusé sa dette pour financer le chômage partiel et maintenir l’économie sous perfusion, les annonces qui ont émaillé ces derniers mois ne laissent guère de doutes quant aux orientations économiques que la France devrait prendre pour se sortir de la crise. Rembourser la dette au plus vite, refuser d’élargir le RSA aux jeunes, exempter de contributions exceptionnelles les foyers aisés, limiter la stratégie économique au seul levier fiscal, laisser la demande s’ajuster seule : le gouvernement n’a pas révisé sa copie ni revu son vocabulaire, bien au contraire, le discours demeure d’inspiration néolibérale. Les dépenses concédées hier devraient bien servir à justifier l’austérité de demain, renvoyant aux calendes grecques les promesses de réinvention. Avec cette réforme de l’assurance-chômage, le gouvernement fait bien plus qu’achever un travail commencé il y a plus d’un an, il envoie un signal fort et transparent sur ses attentions pour la suite.

    Une réforme retoquée une première fois par le Conseil d’État qui avait obligé le gouvernement de Jean Castex à revoir sa copie, et dont cette version finale, moins sévère que la première mouture, a suscité tout de même une levée de boucliers générale des syndicats, même les plus réformistes. Le gouvernement se défend de frapper sur les plus pauvres, expliquant que cette loi vise au contraire à lutter contre la précarité de l’emploi. Dans les colonnes du Parisien, la ministre du Travail, Élisabeth Borne, expliquait à ce sujet : « Vraiment, à ceux qui nous disent que nous faisons cette réforme pour faire des économies en faisant fi des personnes fragilisées par la crise, je ne peux pas laisser dire ça! » On ne le dira pas donc ; mais au regard du contenu, difficile de ne pas le penser très fort.

    Quelles-sont les principales mesures prévues par le texte et qu’est-ce qui pourrait concrètement changer cet été ? On décrypte pour vous cette réforme de l’assurance-chômage.

    Un nouveau mode de calcul des allocations

    Principale disposition de la réforme, la modification du mode de calcul des allocations devrait entrer en application dès le 1er juillet. Contrairement à ce qui avait cours ces quarante dernières années, le gouvernement entend prendre en compte les mois non-travaillés pour élaborer un salaire moyen, servant de référence dans l’estimation du montant des droits alloués au chômeurs. Avant la réforme, à travers un calcul complexe, les salaires moyens perçus sur une période donnée étaient ensuite divisés par le nombre de jours travaillés pour définir un salaire journalier de référence (SJR), permettant d’estimer le montant de l’allocation. Désormais, même les mois non-travaillés seront pris en compte dans le calcul de ce SJR, tandis que la période de référence, elle, s’allonge d’une année. Effet mécanique oblige, les montants des prestations devraient se réduire comme peau de chagrin, et c’est bien là l’idée de cette réforme.

    Source : youtube

    Concrètement, avec l’ancien mode de calcul, une personne payée au SMIC, ayant travaillé huit mois sur les deux dernières années, aurait bénéficié d’une allocation de 985 euros pendant huit mois. Avec la nouvelle version de la réforme, cette même personne verra son allocation passer à 667 euros mensuel pendant 14 mois. Une baisse drastique qui pourrait impacter 38 % des allocataires si la mesure était mise en place de manière généralisée, soit 840 000 chômeurs. Une baisse moindre néanmoins que dans la première mouture. Suite à l’intervention du Conseil d’État, le gouvernement a instauré un plafond du nombre de jours non-travaillé pouvant être pris en compte pour le calcul du SJR, le limitant à 13 jours tous les 30 jours. « Ce sont les intérimaires, les saisonniers et les travailleurs en extra dans l’hôtellerie-restauration, c’est-à-dire les précaires, qui vont en pâtir le plus » déclarait Michel Beaugas du syndicat Force Ouvrière.

    Ce sont donc les personnes alternant contrat court et période d’inactivité, soit les travailleurs les plus précaires, qui devraient subir de plein fouet les conséquences de cette mesure. Perdre 20 % d’une allocation-chômage, c’est évidemment s’enfoncer un peu plus dans la pauvreté alors que l’on est déjà vulnérable. Selon le gouvernement, cette mesure devrait contribuer à pousser vers l’emploi des personnes sans activité qui, en fin stratège, calculerait avec précision les heures de travail à fournir pour pouvoir jouir d’allocations mirobolantes. Une sorte « d’optimisation des chômeurs » comme le dénonçait l’ancien président du MEDEF Pierre Gattaz, sans qu’aucune étude ne viennent corroborer son propos. A toutes fins utiles, seuls 200 000 emplois sont à pourvoir en ce moment sur Pôle Emploi pour un total de 6 millions de personnes inscrites, soit trente candidats par offre, sans distinction de compétences.

    « L’immense majorité des demandeurs d’emploi est constituée de chômeurs involontaires au sens de Keynes, qui accepteraient de travailler pour des salaires inférieurs à ceux en vigueur mais que les employeurs n’embauchent pas parce que la demande globale est insuffisante. » expliquait l’économiste Liem Hoang Ngoc dans l’hebdomadaire Marianne.

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    Dans une logique d’équité, le gouvernement a introduit dans son texte une disposition contraignante pour le patronat. Au-delà d’un certain seuil, une entreprise ayant un recours excessif aux contrats courts sera sanctionnée par une hausse des cotisations patronales tandis que celles à la main d’œuvre stable bénéficieront d’une réduction de ces charges. Une mesure cohérente avec les intentions du gouvernement. Seulement, afin de préserver les entreprises échaudées par la crise, cette mesure ne devrait pas s’appliquer avant septembre 2022. Une année durant, dans un contexte économique qui s’annonce agité, les travailleurs auront donc à subir seuls les perturbations du marché du travail, l’instabilité, les bas salaires et les allocations amoindries lors des périodes d’inactivité .

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    Critères d’attributions renforcés et dégressivité des allocations

    Le texte offre un nouveau souffle à une mesure votée en 2019, puis suspendue en raison de la crise : la dégressivité des allocations. Vieux cheval de bataille de la droite conservatrice, l’idée d’instaurer une dégressivité des allocations chômage découle directement de la théorie de  »l’optimisation des chômeurs » chère à Pierre Gattaz. En raison du caractère sulfureux de cette mesure, et pour s’éviter un procès en favoritisme de classe, le gouvernement a jugé bon de ne la cantonner qu’aux hauts revenus dans un premier temps. Ainsi, la dégressivité s’effectuera à partir du septième mois d’inactivité si votre ancien salaire avoisinait les 4 500 euros brut par mois.

    Qu’importe le montant des salaires, une perte d’emploi signifie toujours une baisse de revenus qui fragilise l’équilibre d’un foyer, même les moins modestes. Cette mesure, un peu oubliée par une partie de la gauche, mal à l’aise à l’idée de défendre les droits des cadres, n’en demeure pas moins profondément injuste et problématique. De surcroit, en étant introduite dans la loi, le principe de dégressivité pourra être facilement généralisé à l’ensemble des allocataires lorsque la situation économique nécessitera un nouveau tour de vis budgétaire.

    Concernant les nouveaux chômeurs, le gouvernement a également durcit le ton. En effet, le texte prévoit d’élargir à 6 mois la période de travail à temps plein nécessaire à l’ouverture de droits Pôle emploi. En raison de la pandémie, cette mesure a aussi été repoussée mais pourrait entrer en vigueur avant la fin de l’année en cas d’embellie économique. Selon l’Unédic, la mise en place de cette mesure priverait 9 % des chômeurs de leurs prestations.

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    Enfin, concernant la recharge des droits, ce seront désormais quatre mois de travail à temps plein qui seront nécessaires à une prolongation des prestations contre 150 heures seulement auparavant. On est bien loin du deal win-win vanté par l’exécutif lors des concertations avec les partenaires sociaux.

    Une mesure à contre-temps de la réalité actuelle

    Vous l’aurez compris, cette modification de l’assurance-chômage dessine la stratégie gouvernementale pour ces prochains mois. Au-delà de l’aspect budgétaire de la réforme, qui pourrait rapporter 1 milliard d’euros à l’État, l’idée est bien de mobiliser toute la force de travail française vers la reconstruction du pays. L’espoir d’un retour rapide à la situation post-pandémie transparaît en filigrane, et interroge.

    De l’aveu même d’un des principaux artisans de cette réforme, Antoine Foucher, c’est un pari périlleux que fait le Gouvernement : « Cela s’apparente à un coup de dés, car je le répète : personne ne sait à quoi ressemblera le marché du travail après l’épidémie de Covid-19. » déclarait-il dans une interview au journal Le Monde, avant de poursuivre : « Tous nos instruments de mesure sont brouillés par les aides exceptionnelles en cours : activité partielle, prêts garantis par L’État, fonds de solidarité » . En effet, sous perfusion d’argent public, l’économie française manque de lisibilité. Peut-être que le pari s’avérera payant grâce à une reprise rapide et une croissance soutenue, mais rien n’est moins sûr.

    Il est tout aussi probable que beaucoup  »d’entreprises zombies » mettent la clé sous la porte à l’heure de reprendre une activité normale, entraînant un effet domino dévastateur sur l’ensemble du système productif français et perturbant in fine le marché de l’emploi. En baissant les allocations chômage, le gouvernement ne risque-t-il pas de freiner encore un peu plus le pouvoir d’achat d’une partie des français ? Un pari incertain donc, qui fait peser le poids du risque sur une population fragile : « Ce qui est certain en revanche, c’est que les demandeurs d’emploi concernés vont avoir un lourd sentiment d’injustice : dans les efforts légitimes à demander à la France dans le monde post-Covid-19, pourquoi commencer par les chômeurs ? » s’insurgeait l’ancien directeur de cabinet de la ministre du Travail dans les colonnes du Monde.

    « Les États-Unis ont pris le contre-pied de la stratégie hexagonale en tablant sur la réduction des inégalités pour stimuler l’économie »

    Outre Atlantique, dans le pays du capitalisme décomplexé, le nouveau Président Joe Biden a élaboré un vaste plan de relance de 1 900 milliards d’euros dont une large part est consacrée à la lutte contre la pauvreté. Une aide de 1 400 dollars a été déployée en direction des ménages gagnant moins de 75 000 dollars par an ainsi qu’une prolongation de l’aide exceptionnelle aux chômeurs de 300 dollars. Les États-Unis ont pris le contre-pied de la stratégie hexagonale en tablant sur la réduction des inégalités pour stimuler l’économie, comme le préconisent d’ailleurs les plus grandes instances économiques mondiales, Fond Monétaire International en tête.

    Sont-ce seulement les perspectives économiques qui ont précipité la mise en application de cette réforme controversée ? Tout porte à croire que dans ce cas précis, les considérations politiques ont pris le pas sur l’analyse réfléchie. Avec cette loi, Emmanuel Macron soigne son statut de réformateur résolu et affermit sa crédibilité, après une année marquée par une mise à l’arrêt de son calendrier des réformes et à quelques mois d’échéances électorales décisives. En s’en prenant aux chômeurs, le chef de l’État continue de chasser sur les terres de la droite conservatrice en faisant sienne l’une de ses marottes fétiches : la guerre contre « l’assistanat ».

    Après la loi séparatisme, le débat sur l’islamo-gauchisme, la critique des universitaires ; cette mesure s’inscrit avec cohérence dans la partition du pouvoir actuel. Une mélodie raisonne doucement et donne le ton pour les prochaines élections présidentielles où le régalien devrait prendre le pas sur toutes les autres considérations. Le glissement à droite suit son cours.

    Si réinvention il y a eu ; ce n’est pas franchement celle-là qui était espérée.

    – T.B.

    Sources : le Parisien / Le Monde / Marianne / Mediapart / L’internaute / Assemblée Nationale /


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