Malgré plusieurs décennies de mobilisation citoyenne et après une décision maintes fois différée, la nouvelle tombait finalement en janvier dernier. Le gouvernement confirmait alors que 42 000 tonnes d’arsenic, d’amiante, de chrome, de cadmium et d’autres métaux lourds seront maintenues sous terre. Enfouis dans les anciennes mines de potasse du site de Wittelsheim, ces déchets toxiques risquent pourtant de contaminer la nappe phréatique d’Alsace à proximité, première réserve d’eau potable d’Europe. Une décision qui suscite la colère des citoyens, des associations et des élus locaux, dénonçant une bombe à retardement écologique.
C’est à la fin du vingtième siècle que StocaMine, l’une des filiales de la société des Mines de potasse d’Alsace, voit le jour. Suite à près de 100 ans d’exploitation, l’une des mines de sel, celle du site de Wittelsheim, est transformée en un centre d’enfouissement de déchets industriels de « classe 1 » (dangereux) et « classe 0 » (hautement toxiques). Ouverte en 1999, cette installation, présentée comme étant à la pointe de la protection de l’environnement, était destinée à réceptionner 320 000 tonnes de déchets. Mais le 10 septembre 2002, les substances toxiques, enfouies à 550 mètres sous le niveau du sol, prennent feu. Il faudra onze jours pour finalement maîtriser cet incendie, qui marque la fin des activités du site.
La plus grande nappe phréatique européenne
Près de 20 ans plus tard, les 42 000 tonnes de déchets industriels stockés avant l’incendie sont toujours là. Les galeries de l’ancienne mine se resserrent inexorablement, et des travaux de confinement sont nécessaires pour garantir la sécurité du site. Car celui-ci est situé juste au-dessus de la nappe phréatique rhénane, la plus importante du continent européen. C’est pour cette raison que la solution de remonter les déchets, prévue à l’origine, demeure privilégiée par de nombreux acteurs locaux. Ces substances sont en effet particulièrement toxiques : aux côtés des métaux lourds comme l’arsenic, le mercure et le cadmium, on retrouve dans certains sites des résidus de lindane, un pesticide aujourd’hui interdit qui a déjà pollué les réserves d’eau de la ville de Colmar.
Si le précédent ministre de la transition écologique François de Rugy avait déjà souhaité que les 42 000 tonnes de déchets restent enfouies, la décision finale appartient à sa successeuse Barbara Pompili, ancienne coprésidente du groupe EELV à l’Assemblée Nationale. Le lundi 18 janvier, la ministre a confirmé la décision de pas remonter les déchets toxiques, assortissant ce verdict d’un plan de protection de la nappe phréatique d’Alsace, financé à hauteur de 50 millions d’euros. Chapeauté par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), ce programme est considéré comme trop peu ambitieux par les collectivités locales, qui estiment le coût de l’opération de dépollution à plusieurs centaines de millions d’euros.
Un désastre écologique annoncé
Le jeudi 21 janvier dernier, c’était au tour du Conseil régional Grand Est de marquer son opposition en adoptant une motion contre l’enfouissement définitif des déchets du site StocaMine à Wittelsheim. Pour les élus de la majorité régionale, « il est inconcevable que la gestion catastrophique du dossier StocaMine qui dure depuis des années puisse se conclure par une solution aussi minimaliste de la part du gouvernement ». Une indignation partagée par de nombreux acteurs locaux opposés aux projets, qui ne décolèrent pas. Lors de la visite de Barbara Pompili sur le site de Wittelsheim début de l’année, ils avaient fait valoir les risques importants de contamination pour la plus grande réserve d’eau potable d’Europe.
Si leur discours n’a pas convaincu la ministre, ils ont tenu à exprimer leur désapprobation auprès du Premier ministre Jean Castex, qui s’est récemment rendu dans la région pour un autre motif. C’est ainsi qu’un collectif de plusieurs dizaines de personnalités alsaciennes a cosigné une tribune au titre éloquent : « StocaMine, chronique d’un désastre écologique annoncé ». Parmi les signataires, on retrouve de nombreux élus locaux et parlementaires, unis dans une opposition qui semble dépasser les clivages politiques, ainsi que des militants et représentants d’associations.
Le premier écocide européen ?
« Comment imaginer qu’il serait moins dangereux de laisser 42 000 tonnes de déchets toxiques sous la plus grande source d’eau potable d’Europe plutôt que d’aller les sortir ? », s’interrogent-ils, rappelant qu’à l’origine, ce stockage devait être provisoire et réversible, avec une durée maximale de 30 ans. Pointant le caractère extrêmement dangereux des déchets entreposés dans les entrailles du territoire, une pétition a également été lancée pour interpeller le chef du gouvernement. Les signataires s’inquiètent de l’impact considérable sur les écosystèmes et les habitants de cette zone parfois surnommé la poubelle de l’Alsace.
« Ce cocktail polluant dont personne ne peut scientifiquement estimer l’importance tant les variables sont incontrôlables, polluera inexorablement la nappe. Cela sera une catastrophe écologique sans précédent pour l’environnement, la faune, la flore et les 4 millions de personnes en Alsace et en Allemagne qui vivent grâce à cette source naturelle de 35 milliards de mètres cubes d’eau. » Tous exigent donc aujourd’hui que le Premier ministre revienne sur cette décision : « Nous refusons que l’État prenne le risque de voir l’Alsace subir le premier écocide européen. » Alors que, dans un contexte de dérèglement climatique, l’accès aux ressources en eau risque bien de devenir un enjeu stratégique dans les décennies à venir, ce genre de politiques court-termistes est regrettable, en particulier pour les générations futures qui ne manqueront pas d’en faire les frais.
Raphaël D.