Depuis des mois, la ferme usine de Lescout, dans le Tarn, est au cœur d’un soulèvement citoyen : odeurs insoutenables, présence d’ammoniac dans l’air, émissions de poussières, non-respect des règlements d’urbanisme, rapports inquiétants,… Des procédures judiciaires ont été lancées contre cet élevage de près de 200 000 poules pondeuses – l’un des plus grands de France – qui produit 60 millions d’œufs industriels chaque année. Toutefois, contre l’avis du maire et d’une grande partie de la population locale, la Préfecture a récemment autorisé que la ferme industrielle démarre un nouveau chantier d’agrandissement… On fait le point sur cette lutte locale aux enjeux sanitaires, écologiques et animalistes. 

Entre les riverains et l’élevage industriel de poules pondeuses de Lescout, le ton monte. Les habitants ne cautionnaient déjà plus les nuisances et émanations de la ferme usine, mais apprennent désormais que la Préfecture a autorisé son agrandissement, passant outre le refus du maire et les préoccupations locales.

« Au nom du principe de précaution, et parce que cette construction multiplie les risques sanitaires et environnementaux, nous demandons l’arrêt du chantier jusqu’à l’aboutissement des procédures administratives et judiciaires en cours » résume la Confédération paysanne.

Quant au Collectif de Lescout, soutenu dans ses démarches par Greenpeace France et L214, il exprime une indignation mêlée d’incompréhension face à la décision de la Préfecture d’autoriser ce nouveau projet d’extension, au mépris de tous les avis locaux : « Malgré les refus répétés de la mairie à octroyer un permis de construire pour des raisons sanitaires, non content de permettre cet agrandissement, la Préfecture a mis tout son poids dans la balance pour imposer cet agrandissement ».

Cet été, les membres du collectif se réunissaient devant la préfecture du Tarn pour faire savoir leurs profondes inquiétudes : 

 

Qu’est-ce qui pose problème exactement ? 

Depuis 2017, les riverains alertent les autorités sur des effluves nauséabondes aux abords de l’élevage intensif  : « On devait rentrer dans la maison tellement c’était insupportable. C’est une odeur très acide, ça ne ressemble pas du tout à une odeur de campagne classique » explique un riverain au Parisien. 

Une école de la commune, située à environ 700 mètres de l’usine, subit également des gènes alarmantes explique un parent d’élève à France 3 Occitanie : « Très souvent, l’odeur est tellement insupportable que l’institutrice préfère ne pas faire sortir les enfants pour la récréation et les garde à l’intérieur ».

La fête à ma poule dans le Tarn contre le projet d’extension de la ferme usine @STOP à la FERME USINE des 200 000 poules

Mais ces émanations sont-elles dangereuses ? C’est tout le propos qui oppose, d’un côté le voisinage soutenu par la mairie et, de l’autre, l’exploitant et la Préfecture. Pourtant, dès le début de l’affaire, un expert est sollicité par la justice pour intervenir dans ce litige. Dans ses notes, il résume clairement la situation :

« Une nuit vers 22h30, nous avons eu un important problème d‘irritation des yeux et de la gorge à la limite du vomissement. Ce qui est surprenant dans ce cas, c’est que nous étions passés sur ce point vers 21h et, à ce moment-là, les odeurs étaient présentes, mais assez faibles (2/5). Lorsque nous sommes revenus au même endroit vers 22h30, les odeurs étaient insupportables. Une très forte odeur d’ammoniaque (NH3) flottait dans l’air, ce qui pourrait expliquer les problèmes d’irritation des yeux et de la gorge et d’envie de vomir. Nous sommes ici devant la salle des fêtes et surtout devant l’école à plus de 650m à vol d’oiseau de l’élevage de poules des Ets Gallès, ce qui nous paraît très préoccupant. »

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Un air chargé en ammoniac, quoique non cancérogène, reste très toxique. Le maire Serge Gavalda, à la lumière de ces données – couplées à l’observation d’un nombre grandissant de personnes malades dans le village -, s’est aussitôt rangé du côté des habitants. Toutefois, l’entreprise Gallès d’élevage de volaille est parvenue à faire valoir la radiation de l’expert pour partialité en faveur des riverains.

En 2018, toutefois, un rapport de Santé Publique France a été rédigé qui reste inquiétant sur la présence des nuisances olfactives. En effet, l’étude menée selon des méthodes strictes devait initialement permettre d’établir un lien entre l’industrie de volaille et les cas croissants de cancers. C’est ce qu’avait demandé les collectifs environnementaux et d’habitants de Lescout qui estimaient que « même si la population a doublé en 30 ans, le nombre de cancers a été multiplié par 5 » et qu’« en 10 ans, la population a augmenté de 20% et le taux de cancers de 100% ». 

Résultats ? Si le rapport de Santé Publique France n’a pas su trouver un lien de cause à effet assez solide entre l’élevage et l’augmentation des cancers, courbe qui selon eux se situe dans la moyenne d’évolution nationale, l’institut est en revanche resté alerte dans ses conclusions quant aux effets des odeurs nauséabondes sur la santé des habitants. Les effluves d’ammoniac et de sulfure d’hydrogène sont suspectes, préviennent-ils : « Les potentielles nuisances olfactives liées aux émissions de produits odorants doivent être considérées comme une préoccupation pour la santé de la population riveraine ».

Et d’ajouter que l’étude consistant à surveiller le lien entre industrie de volaille et cancers devra être reconduite et mise à jour fréquemment à la lumière des avancées de la littérature scientifique sur le sujet. Mais en attendant, quelles perspectives pour les Lescoutois ?


Un cul-de-sac sanitaire, et pas que…

« Nous demandons l’arrêt immédiat des travaux d’agrandissement de la ferme-usine des 200 000 poules et la régularisation de tous les manquements de l’industriel et de la Préfecture » – Collectif de Lescout.

Les habitants sont plus que jamais indignés par la décision de la Préfecture et l’ont fait savoir via un communiqué public : « La ligne rouge a donc été franchie en toute connaissance de cause par la Préfecture, faisant fi de l’inquiétude de la population, de l’avis défavorable de l’ARS et de l’avis souverain d’un maire en matière de salubrité publique ». 

De fait, l’opposition est d’abord et avant tout d’ordre sanitaire : les odeurs d’ammoniac peuvent causer des symptômes chroniques invivables pour le voisinage comme « des nausées, des maux de têtes, des somnolences et des problèmes respiratoires » rappelait le rapport de Santé Publique France, à partir de données comparatives prélevées sur un élevage porcin et une usine d’engrais.

Mais la contestation sanitaire s’accompagne inévitablement d’une réflexion écologique : que sommes-nous en train d’imposer à nos sols, notre air et nos corps à travers l’industrialisation frénétique des sociétés ?

Notre santé est intrinsèquement liée à notre environnement, notre écosystème et notre manière de l’habiter, de le transformer, comme trop souvent de le dénaturer. Des odeurs insoutenables peuvent ainsi faire office de déclencheur direct et particulièrement intime d’une prise de conscience que ces structures intensives sont, en fait, néfastes par nature pour le Vivant à long-terme. Aussi la contestation évoque-t-elle l’inadéquation du modèle intensif porté par cet élevage avec les enjeux écologiques contemporains.

@L214 en 2018 soutenant le Collectif Lescout contre l’extension de la ferme usine. Une pétition est encore en cours.

D’aucuns s’expriment ainsi également sur les conditions d’exploitation des animaux, sur le plan éthique et juridique. En effet, le Collectif Lescout ajoute à ses remarques que : « La réglementation impose des superficies pour les parcours des poules en élevage « plein air ». Or, le passage du bâtiment P1 en plein air utilise déjà toute la superficie disponible à cet effet. Il ne reste donc plus d’espace pour les parcours des poules du bâtiment en cours de construction ».

En plus d’être illégale, au regard du Collectif, l’autorisation par la Préfecture de l’extension du poulailler industriel ouvrirait la voie à une augmentation du nombre de poules sans pouvoir garantir des conditions de traitement suffisantes selon la réglementation, sans parler du respect de la sensibilité animale incompatible avec la vision industrielle.

élevage de poules en cages 2018 @Wikicommons/L214

Si l’éleveur se défend de vouloir ajouter de nouvelles poules pondeuses, précisant que l’agrandissement de son bâtiment n’impliquera pas d’animaux supplémentaires, les habitants se considèrent en droit de s’inquiéter étant donné la tournure qu’a pris l’évolution du lieu en quelques décennies. En 1970, le poulailler qui accueillait quelques individus passe soudainement – avec, déjà autrefois, l’aval de la Préfecture – à 14 000 poules. En 1990, dans la ferveur de l’industrialisation, elle se met à échelle intensive avec 60 000 poules, puis 100 000, pour atteindre près de 200 000 animaux actuellement. 

Partout, des communes, villages, régions, doivent faire face aux abus d’une ère industrielle toute permise et valorisée par le paradigme de la croissance économique, ses injonctions à la productivité et les préceptes de la mondialisation commerciale. Parmi les cas emblématiques de mépris des effets sur l’environnement et la santé par les modes de production industriels, figure le scandale des algues vertes de Bretagne mettant en cause les nombreux élevages porcins de la région, autrefois également considérés comme inoffensifs…

Manque d’études, de données, de prélèvements, ou de conclusions courageuses en faveur du principe fondamental de précaution exposent ces riverains à  la mise en danger de leur santé. « Mieux vaut prévenir que guérir » se refuse à entendre la Préfecture qui, pensant porter le projet d’une entreprise autrefois familiale, protège et alimente en réalité, indirectement, un modèle d’élevage proprement délétère. 

– S.H


Sources :

Le Collectif de Lescout regroupe deux organisations locales (le collectif des habitants de Lescout et L’ASSESA), une association départementale de protection de l’environnement (l’UPNET FNE81), un syndicat agricole (la Confédération Paysanne du Tarn). Son action est soutenue par les groupes locaux de LFI 81 et EELV, ATTAC, Respirons 81, les Coquelicots du Vaurais, Confluences, Tarn Alternatives et Autogestion, La Demeure Historique, Citoyens pour le Climat Castres, InPACT Occitanie.

 

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