Chargé de projet au sein d’un centre de soin pour animaux sauvages, Mikel a tout plaqué pour lancer sa production de thé au Pays basque. Location de terres agricoles, gelées tardives, chants des loriots, passion pour le thé et ses histoires, il témoigne. 

« Le thé, c’est comme une recette de cuisine, chacun s’amuse ensuite à ajouter sa petite touche. Certains vont fixer, ou encore rouler, d’autres vont plier… Personnellement, je fais de longs passages au wok et parfois, j’y ajoute des agrumes du terrain, comme du Yuzu ou de la Bergamote », nous raconte Mikel Esckamadon, 35 ans, regard bleu sur le vert intense des rangs de théiers de type Camélia sinensis.

Juché dans le petit village d’Ustaritz, à quelques kilomètres des premiers vallons des Pyrénées et à une vingtaine de minutes du littoral basque, c’est ici que Mikel, a lancé le projet Ilgora, « lune montante » en basque, il y a 4 ans, à quelques centaines de mètres de là où il est né.

©Maureen Damman

Une culture bien accueillie en France

Mikel n’est pourtant pas le précurseur de cette culture sur l’Hexagone, la toute première ayant eu lien en 1999 en Bretagne, et en 2016 au Pays basque. Certaines régions, en effet, sont particulièrement adaptées à la production de thé.

« C’est sûr qu’au vu du réchauffement climatique en cours et à venir qui écarte peu à peu la production de l’Afrique ou de l’Asie, le thé français a de beaux jours devant lui », affirme Mikel, pragmatique.

« Le thé a besoin d’humidité, ce qui ne manque pas chez nous, ni même ailleurs sur l’Hexagone et à la Réunion. Mais surtout, le thé a un faible impact environnemental, s’accoutume de terres pentues donc souvent délaissées par d’autres cultures, et, bien que le plus souvent en monoculture, préserve la biodiversité locale ».

C’est sans doute pour cela que la petite commune rurale d’Ustaritz qui compte près de 7 500 habitants, et la moitié de son territoire en zones naturelles ou de cultures, a laissé sa place au projet novateur du jeune agriculteur : « J’ai été très chanceux que la ville mette à disposition cette zone de culture qui est en fait sortie du PLU constructible pour redevenir une zone agricole et une zone naturelle grâce à la forêt de chênes et de saules environnante », déclare-t-il, reconnaissant.

En location à 90 euros par an, cet hectare lui a permis de tenter un projet original pour l’époque et pour cette région conservatrice qui compte beaucoup de plantations de piments et de zones d’élevages.

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Grâce à cette culture de thé locale bio, récoltée et transformée à la main, tout seul, avec bien sûr l’aide de quelques copains de temps à autre, cela représente une aubaine pour lui comme pour ce territoire mis sous tension par la spéculation immobilière et le grignotage des terres agricoles réduites peu à peu à peau de chagrin.

L’association Alda complète : « On se bat au quotidien pour rendre aux habitants des logements et, a fortiori, rendre autant que faire se peut des terres agricoles pillées par les promoteurs immobiliers, même si c’est encore plus difficile ». L’année dernière, pour ne citer qu’un exemple, la forêt de Juzan avait été menacée par le technopole Arkinova, zone où se trouvait la ferme des plus vieux maraîchers de la Côte basque, Mauricette et Paul-Guy Dulau, risquant alors l’expulsion. Le projet est finalement abandonné par la mairie après des mois de batailles administratives et de luttes sur le terrain.

Le thé, une agriculture rentable

« J’écoule toute ma production au fur et à mesure, et je double la production d’année en année, ce qui porte à croire que ce projet sera rentable sous peu ».

Sur le plan financier, Mikel, là aussi s’estime heureux : « Je ne paie pas de loyers, car j’ai un appartement de famille, je touche le chômage et je vis simplement, avec 700 euros par mois environ pour le moment. » Après trois premières années difficiles et « pleines d’apprentissages », pour cause d’invasions de charançons « écrasées de nuit à la lampe frontale avec des copains », de gelées tardives et de canicules, la chance semble, de nouveau, sourire à Mikel, car la production décolle et les ventes s’envolent tout autant.

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L’investissement de départ s’élevait à 40 000 euros, somme quelque peu allégée par la Dotation Jeunes Agriculteurs (DJA), à laquelle les moins de 40 ans peuvent prétendre.

Le cultivateur de thé met en garde : « Demander une subvention, c’est se mettre la corde au cou, car c’est dépendre d’un système qui vous subventionne, quand et comme il veut, et à la hauteur de la taille de votre exploitation », faisant référence à la PAC et aux récentes manifestations paysannes, virulentes et puissantes dans cette région agricole.

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Aujourd’hui, le thé Ilgora est à 15 euros les 12 grammes, ce qui peut paraître élevé par rapport aux prix du marché capitaliste. Mikel aimerait faire baisser les prix même si « ce prix est la vraie valeur des choses, du fait à la main, sans engrais chimique, avec des semis qui viennent presque tous du Tarn dans le cadre d’une petite production respectueuse du vivant ».


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Il a tout de même des demandes plus industrielles pour, par exemple, des thés glacés, mais il a besoin de réfléchir à l’envergure du projet. « J’ai un potentiel de 150 kg à l’hectare, mais humainement et écologiquement, je n’ai pas envie. Je préfère produire 50 kg et de qualité supérieure avec des variétés de thé choisies comme le trévarez, le Cui Lü, Kemper, Longjing 43, Longjing Jukeng, ou encore le Kolkhida, un cultivar géorgien à l’époque des soviétiques, qui voulaient être autonomes », nous raconte le passionné.

Avec ses quelques pommiers, il espère alterner avec la production de jus de pommes et peut-être de cidre basque d’ici quatre ans. « L’avantage avec le thé, c’est qu’il se sème tout seul, donc le gros du travail s’effectue dans les premières années ».

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Labellisé agriculture biologique, un label qui coûte 500 euros par an, mais qui en rapporte 4000, Mikel veut dénoncer : « plutôt que des mesures incitatives, je préfèrerais des mesures qui pénalisent ceux qui ne suivent pas le cahier des charges du bio ».

Attaché à son territoire, il fait également partie du réseau Idoki, un label, on ne peut plus stricte sur le plan écologique, basé sur le territoire basque. Difficile de faire plus respectueux de vivant que Mikel, qui vit à son rythme et à celui de ses plants.

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Des zones agricoles à défendre

En parallèle, Mikel, avec Fier’thé, porte un projet scientifique collaboratif, afin de tester des cultures et proposer un livret de culture du thé en France. Subventionné à hauteur de 40 % pour les 500 arbres plantés, « cela permet aussi une mise en réseau pour échanger les bons procédés et se soutenir parce que sinon, on ressent vite la solitude dans ce métier et dans mes configurations, où, même si je fais appel de temps en temps à des saisonniers, je reste majoritairement seul ».

Pourtant, selon les projections du ministère de l’Agriculture, environ la moitié des exploitants agricoles actuels partiront à la retraite d’ici 2030, soit environ 200 000 à 250 000 exploitants. Le Plan de relance de l’agriculture souhaite encourager l’installation de jeunes agriculteurs et vise environ 20 000 installations par an pour compenser les départs à la retraite et répondre aux besoins de renouvellement des exploitants.

©Maureen Damman

Autour de lui, une dizaine d’hectares restent à disposition pour qui veut lancer oser le pari fou d’un projet agricole, avec pour comparses une chevrière et lui-même dans un cadre magnifique.

« C’est l’image du Pays basque actuelle, on se retrouve à avoir des terres agricoles au pied des hameaux : une belle biodiversité, un rossignol du Japon, un leiothrix pour être exact, que j’ai vu pour la première fois ce matin, des pics, une flopée de rapaces comme des chouettes et des éperviers, et un « trouple » de loriots, qui chantent presque trop » décrit, amusé, l’agriculteur sur ses terres autour d’un thé fumant.

– Maureen Damman


Photo de couverture : ©Maureen Damman

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