La déstabilisation du glacier Thwaites, situé en Antarctique occidental, inquiète fortement les glaciologues. Le dérèglement du fonctionnement des courants aériens et océaniques, exacerbé par les effets du réchauffement climatique, menace de causer la disparition de ce glacier. À lui seul, il aurait la capacité d’élever le niveau global des mers de 65 cm. Cependant, ce scénario catastrophe ne s’arrête pas là. L’effondrement de Thwaites, par effet domino, entraînerait surtout la disparition de l’ensemble des glaciers de l’Antarctique occidental, provoquant une crise environnementale et humanitaire sans précédent sur l’ensemble de notre planète. Petite lueur d’espoir, la diminution drastique de nos émissions de gaz à effet de serre et le respect des objectifs de l’Accord de Paris pourraient éviter de rendre ce scénario, aux conséquences irréversibles, une réalité.
Surnommé « le glacier de l’apocalypse » , Thwaites mesure 120km de large, 600 km de long et 3km de profondeur. Un mastodonte de glace. Ce glacier de l’Antarctique occidental aux dimensions titianesques inquiète le monde scientifique. Bien qu’il contribue déjà à l’élévation du niveau de la mer, en déversant chaque année une grande quantité d’eau et de glace dans la mer d’Amundsen, une plateforme glacière l’empêche actuellement de se détacher du reste du continent. Hélas, cette plateforme glacière semble se déstabiliser à un rythme rapide.
Grâce à des données satellitaires, des radars souterrains et des mesures GPS, Experts et glaciologues ont récemment observé l’apparition de fissures sillonnant la surface de cette plateforme de glace, ainsi que plusieurs points de rupture inquiétants. Selon la climatologue Catherine Ritz, ces observations sont alarmantes et révèlent que la disparition du glacier pourrait intervenir très prochainement, bien plus vite qu’imaginé. Ce scénario de plus en plus probable serait catastrophique pour l’humanité.
« Aujourd’hui, cette partie flottante fragilisée l’empêche encore de tomber. Cependant, l’effondrement de cette plateforme va accélérer le détachement du glacier et sa fonte dans l’océan. La fracturation de sa partie flottante s’accélère et dans quelques années seulement, certaines parties se détacheront complètement. Cela peut rapidement dégénérer. D’ici 4 à 5 ans, les conséquences des fracturations successives pourraient signer la fin du glacier. Sa ligne d’ancrage recule actuellement de 2 kilomètres par an et c’est énorme ! »[1], regrette-t-elle. Nous ne sommes donc plus dans des perspectives de long terme.
Un effondrement en trois étapes
Le réchauffement climatique modifie la circulation des courants aériens situées au-dessus de l’Antarctique, qui provoque ensuite un dérèglement du bon fonctionnement des courants océaniques. En effet, la modification de la circulation de l’air fait remonter beaucoup plus de courants chauds à la surface de l’Océan Austral.
Comme l’explique Atshuiro Muto, professeur associé au département des sciences de la terre et de l’environnement du College of Science and Technology de l’Université Temple à Philadelphie, « ce n’est pas parce que la Terre se réchauffe que de plus en plus de blocs de glace se fissurent. C’est surtout l’air qui se déplace autour de l’Antarctique qui affecte l’océan. Tout est connecté à ce qu’il se passe en dehors de l’Antarctique, le réchauffement climatique de manière globale. Dans les profondeurs océaniques, il y a de l’eau plus chaude qui a toujours été là. Mais le réchauffement climatique modifie la circulation des courants d’air et cela change la circulation des courants océaniques »[2].
L’eau plus chaude qui atteint désormais la surface de l’océan érode les plateaux de glace flottants, provoquant une fonte par le bas qui amincit et affaiblit la glace, accélérant l’apparition de fissures et fractures déjà observées à la surface de la plateforme glacière de Thwaites. Malheureusement, c’est ce phénomène de fracturation qui inquiète particulièrement les glaciologues et pourrait sonner le glas de l’un des plus grands glaciers du monde. « Je le visualise un peu comme cette vitre de voiture où vous avez quelques fissures qui se propagent lentement, puis soudain vous passez sur une bosse, et commence à se briser dans toutes les directions »[3], tente d’imager le professeur Erin Pettit de l’Université d’État de l’Oregon.
Enfin, les modélisations scientifiques révèlent que la fonte du glacier par le bas, sous l’effet de la déstabilisation des courants océaniques, et l’accélération du phénomène de fracturation provoquent une perte d’adhérence du glacier sur sa ligne d’ancrage, le point où le glacier repose sur le socle rocheux de l’Antarctique, exacerbant les risques de son détachement et de son inévitable fonte dans l’océan.
Déstabilisation de la zone polaire australe
Ce glacier de la taille de la Grande-Bretagne déverse chaque année 50 milliards de tonnes de glace dans l’océan, mais son impact sur l’élévation globale des mers et océans reste limité à ce jour. Toutefois, selon un groupe de glaciologues qui s’est récemment réuni à l’occasion d’un colloque en Nouvelle-Orléans, l’effondrement de Thwaites pourrait entraîner des conséquences incontrôlables et désastreuses pour l’avenir du continent de glace et de l’ensemble de notre planète.
Actuellement, Thwaites bloque de nombreux autres glaciers environnants. Sa disparation pourrait dès lors déstabiliser l’entièreté de cette région occidentale de l’Antarctique. En effet, les glaciers de l’Antarctique ont presque tous des bases situées sous le niveau de la mer, et sont donc tous menacés par l’élévation du niveau de la mer. « À terme, l’effondrement de Thwaites se propagera aux autres glaciers, qui s’effondreront à leur tour »[4], averti Catherine Ritz. C’est de la physique élémentaire.
Si l’effondrement de Thwaites et la menace d’une élévation globale du niveau de la mer de 65cm sont déjà suffisamment inquiétants, la disparation de l’ensemble des glaciers de l’Antarctique occidental pourrait entraîner une élévation globale des mers et océans de 3,3 mètres.
Des conséquences environnementales et humanitaires sans précédent
Les décisions que nous prendrons dans les prochaines années sont cruciales pour l’avenir de notre planète et de l’humanité. « Plus le climat mondial se réchauffe, plus l’élévation du niveau de la mer risque de s’accélérer. Si nous pouvions atteindre les objectifs des Accord de Paris, idéalement limiter la hausse des températures globales à 1.5°C, nous pourrions nous attendre à ce que l’élévation du niveau de la mer se stabilise au niveau actuel de 4mm par an. Au-delà de 2°C, on entre dans une zone d’incertitude »[5], explique Ritz. Or, comme s’en inquiètent différentes organisations au lendemain de la COP26, « si le rythme actuel des plus gros pollueurs ne change pas, à la fin du siècle, la planète sera plus chaude de +2,4 à 2,7°C »[6](estimations basses).
Toutefois, la disparition de Thwaites et des autres glaciers environnants risque de chambouler les projections actuelles d’élévation du niveau de la mer. Au-delà de ce risque, la chute des glaciers de l’Antarctique occidental pourrait exacerber davantage le dérèglement des courants aériens et océanique, et conduire à l’accélération de la fonte du Groenland, autre zone polaire essentielle au bon fonctionnement des services écosystémiques de notre planète. Au niveau de la biodiversité, les conséquences pourraient également être dramatiques. Face à un tel scénario, « les simulations montrent que les grandes colonies de manchots empereurs vivant autour de l’Antarctique risquent de disparaitre d’ici 2100 »[7], prévient Yan Ropert Coudert, directeur de recherche en écologie marine au CNRS.
Enfin, l’élévation du niveau des mers et océans de plusieurs mètres conduirait à redessiner l’ensemble des zones côtières et insulaires de la planète. De nombreuses grandes villes, telles que Shangai, New York, Miami, Tokyo ou Mumbai, seraient rayées de la carte. Les nations insulaires de faibles altitudes, telles que Kiribati, Tuvalu et les Maldives, disparaîtraient. Outre l’exacerbation des problèmes environnementaux, tels que les inondations et l’effondrement des réserves d’eau douce, la perte d’habitats s’accompagnerait d’une crise migratoire majeure, et nous plongerait dans une crise humanitaire globale sans précédent.
Afin d’éviter ce scénario aux consonances apocalyptiques, une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre est désormais indispensable et urgente. En effet, nous possédons encore toutes les clés nécessaires au ralentissement des effets irréversibles du changement climatique. Mais « la comète » approche, et le déni collectif continue…
W.D.
[1] Sanmarty, L., « En antarctique, le « glacier de l’Apocalypse » se fissure et menace le continent » in Natura Science, 8 janvier 2022, disponible sur : https://www.natura-sciences.com/environnement/antarctique-glacier-de-lapocalypse.html
[2] Hinry, M., « Thwaites, le « glacier de l’apocalypse » qui inquiète les scientifiques » in National Geographic, 10 janvier 2022, disponible sur : https://www.nationalgeographic.fr/environnement/thwaites-le-glacier-de-lapocalypse-qui-inquiete-les-scientifiques?fbclid=IwAR2Xyyca6GNykQZLU0L-MPzwEuBoe-yVCrBRWnYG2PBf4q5iYDvVWr1vR14
[3] X., « le glacier de l’apocalypse menace de s’effondrer et cela pourrait avoir des répercussions dramatiques sur notre planète » in La Libre, 21 décembre 2021, disponible sur : https://www.lalibre.be/planete/environnement/2021/12/21/le-glacier-de-lapocalypse-menace-de-seffondrer-et-cela-pourrait-avoir-des-repercussions-dramatiques-sur-notre-planete-K3PHGIDSCFEX3CF5SRUXCFEK3Q/
[4] Ibid., https://www.natura-sciences.com/environnement/antarctique-glacier-de-lapocalypse.html
[5] Buitekant, E., « En Antarctique, le glacier Thwaites pourrait « éclater comme un pare-brise de voiture » selon des scientifiques » in GEO, 15 décembre 2021, disponible sur : https://www.geo.fr/environnement/en-antarctique-le-glacier-thwaites-pourrait-eclater-comme-un-pare-brise-de-voiture-selon-des-scientifiques-207501
[6] Ibid., https://www.nationalgeographic.fr/environnement/thwaites-le-glacier-de-lapocalypse-qui-inquiete-les-scientifiques?fbclid=IwAR2Xyyca6GNykQZLU0L-MPzwEuBoe-yVCrBRWnYG2PBf4q5iYDvVWr1vR14
[7] Ibid., https://www.nationalgeographic.fr/environnement/thwaites-le-glacier-de-lapocalypse-qui-inquiete-les-scientifiques?fbclid=IwAR2Xyyca6GNykQZLU0L-MPzwEuBoe-yVCrBRWnYG2PBf4q5iYDvVWr1vR14