Le tofu, ce « fromage de soja » réputé au Japon et en Chine, n’est apparu en Europe qu’à la toute fin du XIXème siècle. S’il est aujourd’hui prisé par les végétariens, il reste encore souvent considéré par beaucoup comme « fade » et peu digne d’intérêt gustatif – une « neutralité » que recherchait justement la tradition chinoise taoïste, au rang de ses premiers consommateurs. Mais sans doute la culture culinaire française n’est-elle pas arrivée au bout des surprises réservées par les mille et unes déclinaisons de l’onctueuse pâte de soja. Un soja que les 35 artisans et associés-salariés de Tossolia ont choisi biologique et français, et qu’ils réinventent depuis 1988 dans leur atelier des Hautes-Alpes. (Re)découverte d’une cuisine végétale aussi savoureuse qu’à l’écoute de l’environnement, au fil de 5 recettes originales.
En 1987, dans un petit village de Hautes-Alpes, Joël et Jean-Marie ont l’idée de créer une activité autour de tofu. Un an plus tard seulement, sans perdre de temps, l’activité prend forme au sein d’une petite ferme de la région. La production familiale y est accueillie chaleureusement et peut rapidement distribuer ses produits locaux dans les magasins biologiques des environs. En 1990, c’est officiel, les jeunes artisans créent l’entreprise « Tofoulie », qui deviendra plus tard « Tossolia ».
Depuis la récolte du soja, jusqu’à la dégustation du tofu, voyage à travers une fabrication éthique, traditionnelle et passionnée de cet aliment encore peu connu des français.
Le soja français bio, à l’opposé des cultures OGM mondiales et de leurs ravages.
A la notion de « soja » est souvent associé, à juste titre, le phénomène galopant et inquiétant de la déforestation. Mais s’agissant de la dimension dévastatrice de ces cultures, sont en réalité uniquement concernées les plantations OGM mondiales, notamment d’Amériques du sud, dont le traitement chimique détruit les sols et dont l’exportation intensive se montre particulièrement polluante.
Ce soja génétiquement modifié, qui s’étend de plus en plus sur les espaces naturels mondiaux (« le soja GM continue en 2019 d’être la culture GM la plus utilisée, occupant 48 % des 190,4 millions d’hectares d’OGM à travers le monde, soit 91,9 millions d’hectares » selon le site gouvernemental d’observation des OGM du Quebec), est consacré à 98% à l’alimentation des animaux d’élevage. Pour cela, le soja est transformé en « tourteau », un sous-produit de la plante, vidée de son eau et huile, qui contient une forte concentration de protéine et d’acides aminés nécessaires aux troupeaux. De cette production dont la demande, indexée sur celle de la viande et des produits laitiers, est croissante, peut simultanément être extraite une huile de soja qui sert, quant à elle, essentiellement à l’industrie agro-alimentaire. La fameuse « huile végétale » des produits de consommation courante peut, par exemple, provenir du soja.
Le soja serait donc délétère du fait de notre consommation de viande comme de notre alimentation générale ? La rentabilité de cette « double » chaîne de production repose en fait, malgré tout, à 73% sur la distribution de tourteau pour animaux, faisant de l’huile végétale un atout secondaire, et du besoin de nourrir les élevages au profit d’une demande élevée de viande un élément moteur de cette agriculture intensive et destructrice, à l’origine des incendies marquants survenus en Amazonie (relire notre article à ce sujet ici).
Quoi qu’il en soit, loin de ce marché délétère, Tossolia a misé sur un soja biologique cultivé en France par une coopérative d’agriculteurs, dans les Alpes de Haute-Provence et la Drôme. Sur le plan agronomique, la petite entreprise assure par ailleurs qu’à cette échelle la culture biologique de soja est « très avantageuse car elle abonde les terres agricoles alentours en azote, élément essentiel à la croissance des cultures« . Quant aux avantages gastronomiques, ils sont indéniables selon la marque, qui s’affaire à créer toujours plus de nouvelles recettes avec soin.
Une fois le soja récolté, et dans un esprit de respect de l’environnement et des savoir-faire, Tossolia a tenu à conserver toutes les étapes de fabrication traditionnelles et artisanales du tofu : trempage des graines de soja, broyage du soja avec de l’eau, cuisson et filtrage afin d’obtenir le tonyu (豆乳, jus de soja), coagulation du tonyu et brassage délicat, moulage et pressage jusqu’à l’obtention de la fermeté désirée, puis découpage et immersion du tofu. Mais il n’y a pas que dans sa conception que les artisans provençaux se sont attachés au respect du vivant…
Un tofu éthique jusque dans l’équipe !
C’est à l’ombre du Mont-Ventoux, dans le village de Revest du Bion, que la petite usine a choisi de se développer en tant que SCOP, société coopérative et participative.
En d’autres termes : « Les salariés sont parties prenantes des décisions et 90 % des CDI sont sociétaires de l’entreprise. Ils ont un pouvoir de décision lors de l’assemblée générale chaque année et élisent le dirigeant« . Une participation que Tossolia favorise davantage en proposant des échanges réguliers chaque mois, ainsi qu’en garantissant à son équipe des primes de participations et d’intéressement.
A ce sujet et sur la dimension éthique de leur fonctionnement général, la petite entreprise se veut transparente : « Le bien-être au travail fait toujours partie de nos axes de progression. Une ergonome est venue cette année pour analyser les postes de travail. Nous allons passer au crible des solutions pour alléger la manutention et le portage des salariés. Un ostéopathe intervient dans le temps de travail chaque année pour améliorer durablement notre entreprise ! » certifie l’artisan.
Quant au choix de la région, il est également motivé par un engagement social fort : « Décider de nous implanter en milieu rural n’est pas anodin, puisqu’il s’agit d’amener de l’activité économique dans une zone à faible densité. C’est un engagement que nous avons souhaité mettre en œuvre dès le départ ».
Enfin, Tossolia n’oublie pas non plus de se montrer attentif au coût énergétique de son secteur : « Sur l’axe environnemental, comme nous utilisons beaucoup d’eau chaude pour la production, nous avons investi dans une chaudière bois qui chauffe également le bâtiment. Cela permet de réduire l’empreinte carbone de notre activité. Ce choix permet de couvrir un tiers de nos besoins et de réduire notre émission de CO2 de 87,5 tonnes par an par rapport au choix d’une énergie fossile ».
Des exigences éthiques qui servent autant la qualité gustative du produit que l’expérience culinaire, en renouant avec une reconnaissance sincère de la nature, de ses richesses et de son rythme, tout comme avec celle du travail agricole et artisanal local. Mais qu’en est-il du goût ? La petite équipe s’est justement laissée la liberté de réunir plusieurs recettes originales, du poke bowl au plat asiatique en passant par des tartinades estivales, qui mettent la texture du tofu et ses arômes à l’honneur, loin des préjugés.
Pourquoi le tofu ? 5 recettes entre saveurs subtiles et nutriments.
A travers des combinaisons d’ingrédients végétaux, de légumineuses et d’épices,Tossolia s’est donné pour mission de redorer le blason du tofu. Mais les 33 gammes proposées par l’atelier, via des recettes authentiques comme des métissages atypiques, se veulent également nutritives. En effet : « naturellement sans cholestérol, sans gluten et sans lactose, le tofu est riche en protéines (12 à 15%) présentant un très bon équilibre en acides aminés essentiels et pauvre en calories (125 kcal pour 100g). Le Tofu bénéficie également d’une bonne teneur en acides gras essentiels (oméga 3 et oméga 6) utiles au bon fonctionnement cardiovasculaire » explique l’entreprise.
Alors comment le cuisiner sans s’en lasser ? Mariné, agrémenté, parfumé, le tofu peut se révéler un atout quotidien et une alternative végétale surprenante. Catz, la créatrice culinaire de Tossolia, rappelle notamment « qu’on pointe souvent sa monotonie, alors qu’il est au contraire une formidable source d’inspiration ». Et pour preuve, les nombreuses recettes inventives, d’hiver et d’été, mises à disposition des internautes par le site de l’atelier.
Seule ombre au tableau pour le moment : les emballages en plastique. Mais l’entreprise n’est pas non plus en reste de ce côté là et a déjà réduit de moitié la quantité de plastique de ses sachets début 2021. Elle s’est notamment fixée des objectifs clairs pour les prochaines années, le temps d’opérer une transition qui ne mette pas en péril la fraîcheur des tofus, fabriqués sans conservateurs et nécessitant une protection totalement imperméable à l’air. Une première tentative de vente en vrac a également été testée, mais sans grand succès regrette l’entreprise. Le temps d’habituer les palais français à la richesse du tofu bio, un emballage indiquant des idées recettes, la provenance et les bienfaits du produit semble pour l’instant déterminant, en a conclu la direction.
En somme, et tout de même, dans un paysage débordant de produits industriels préjudiciables à notre santé et définitivement polluants, homogénéisés par les ajouts de sucre et de sel, et vidés de tout lien avec la nature, Tossolia réussit le pari honorable d’un produit végétal riche, local, artisanal, biologique et social. A l’heure où les chiffres sont formels sur les conséquences déplorables de la consommation de viande mondiale, que ce soit au niveau sanitaire, environnemental ou éthique, pouvoir redécouvrir une alternative protéinée éthique grâce à des artisans chefs engagés ouvre de véritables horizons alimentaires à nos papilles et à notre planète.
Si le tofu vous a inspiré, Tossolia distribue principalement ses produits en BIOCOP, mais bénéficie également de plusieurs autres adresses de relais à travers la France. Et pour préalablement découvrir leurs gammes, rendez-vous sur leur site internet ou sur leur page Facebook.
Pour des dizaines d’autres recettes appétissantes : par ici.
Et pour aller plus loin sur l’histoire DES tofus, rendez-vous sur l’article complet et gourmand de Mr Japanization.
– S.H
Sources :
Culture du soja : quel impact sur l’environnement ? – Futura Planète
Le soja est-il cultivé pour l’alimentation humaine ou pour l’alimentation animale ? – YouMatter
Les animaux d’élevage français gavés de soja OGM importé. – L’Express
Amazonie en feu Peut-on éviter le soja brésilien ? – QueChoisir
La guerre du soja entre Chine et Etats-Unis accroit la déforestation de l’Amazonie – Reporterre