Chaque détenteur d’un compte facebook se voit régulièrement, si ce n’est plusieurs fois par jour, proposer à sa vue des contenus de pages aux titres évocateurs. « C’est OUF », « TopiBuzz », « La vie est trau belle » ou autres « J’encaisse, j’observe, je ne dis rien mais fais GAFFE j’ai une très bonne MÉMOIRE » (si, ça existe vraiment), autant de pages qui apparaissent comme du divertissement bon-enfant mais qui occupent aujourd’hui une grande place dans nos actualités. Mais en réalité, les stratégies marketing que déploient souvent ces pages Facebook sans véritable contenu font de l’internaute un simple produit dont il faut accaparer un maximum de TCD : votre temps de cerveau disponible.

La vente, fusion et acquisition de pages Facebook

Le piège peut prendre de très nombreuses formes. Petites phrases pseudo-philosophiques sur fond arc-en-ciel, image de personne cancéreuse réclamant une prière, texte qui vous encouragent vivement à identifier vos amis sur un clip trop drôle, mais le plus souvent : une vidéo à très fort potentiel de buzz grossièrement copiée-collée depuis Youtube sans source… Tout ceci fait maintenant partie de notre quotidien sur Facebook. Ce qu’on sait moins, en revanche, c’est que la plupart des pages à l’origine de ces posts sont loin d’être gérées par des utilisateurs lambda qui voudraient nous amuser par passion. Il s’agit désormais d’un véritable business organisé qui permet de créer des petites fortunes à partir de nos likes, et ce, sans devoir créer aucun contenu original, sans investissement personnel ni réel travail.

Le média Fier-Panda nous explique en détails, dans un coup de gueule contre Facebook, comment ce juteux business détruit peu à peu nos actualités avec cette conclusion parlante : « Facebook ne s’adapte plus, il nous adapte. » Mais pourquoi vouloir capitaliser du « like » sur des pages qui ne vendent rien et ne créent rien ? C’est simple : il existe du trading de page facebook, donc un marché avec des vendeurs et des acheteurs de pages avec leurs fans. En effet, il est depuis un certain temps possible de fusionner des pages, et donc de capitaliser les utilisateurs d’autres pages. Ainsi, des marques vont vouloir gonfler fictivement leurs fans en rachetant des pages, ces fameuses pages aux contenus racoleurs qui nous élèvent comme du bétail. Car ces likes ont une valeur toute particulière, car contrairement aux faux comptes Facebook qui servent fictivement à gonfler le nombre de fan, il s’agit ici de vraies personnes, de potentiels consommateurs pour les marques. Une fois le troupeau assez important, la page est revendue au plus offrant.

La stratégie de rachat de pages Facebook est très simple : grâce à des contenus creux, images de chatons et autres vidéos de buzz volés un peu partout sur le web, l’entreprise capitalise des milliers (millions ?) de fans sur une page au nom « cool et sympa ». Puis cette page « coquille vide » est revendue à prix d’or sur des sites de trading spécialisés. Un client rachète la page, la fusionne avec son entreprise et capitalise les fans. Parfois, c’est un même média qui pratiquera la technique multipliant les pages quasi similaires pour les fusionner ensuite. Ainsi, un utilisateur lambda peut soudainement se retrouver à suivre la page d’une entreprise dont il n’a jamais entendu parler avant. Et voilà comment en quelques clics, avec un peu d’argent, une marque peut gagner 50 000 ou 100 000 fans de plus et se prétendre une des plus grosses communautés de France. Reste ensuite à faire du placement de produits pour faire fructifier son business sur le dos des utilisateurs floués sans jamais avoir créé de richesse physique ou intellectuelle de son existence.

La marchandisation de tout et de tous

Cette pratique, loin de toute éthique élémentaire, banalise un nouvel état de fait : l’utilisateur du réseau social se transforme en simple marchandise qui s’échange et se vend. Pire encore, les personnes les plus enclines à « liker » des contenus « funs et légers » se voient catégorisées dans les consommateurs potentiels idéaux et soumises à des stratégies marketing de plus en élaborées. Par opposition, une personne ayant du recul critique sur ce qu’il soutient sur Internet, en évitant par exemple de liker ces contenus creux, aura éventuellement plus de retenue en matière d’incitations à la consommation, ce qui n’en fait pas un très bon client (sauf si son « besoin » spécifique est ciblé à travers la capture d’informations privées, ce qui est encore un autre problème). Ceci renvoie vraiment une piètre image d’un Internet et du monde moderne en général qui ne cesse d’être chaque jour un peu plus englobé dans les logiques marchandes où les contenus « vrais » et sincères se font rares et où l’Humain n’est plus qu’une variable commerciale.

Ainsi, on citera par exemple la page FRAICHES, sous-page du réseau Minutebuzz, qui cumulait plus d’1,6 millions de fans en quelques jours de lancement, avec trois publications… Naturellement, la page propose également une boutique de produits de beauté à vendre. Pas folle la guêpe ! Et voilà comment lancer un « média » immédiatement trend et tendance, suivit par des millions de personnes, souvent jeunes, qui n’ont pourtant jamais aimé cette entreprise de leur plein gré. Ensuite, il reste à surfer sur ce capital de likes pour faire fonctionner ses affaires comme si de rien n’était. « L’intérêt principal de cette pratique étant de se soustraire à une contrainte terrible pour Minutebuzz : celle de proposer du contenu suffisamment intéressant pour aspirer du like. Smart. Et facile quand on a suffisamment d’argent. » explique sans détour Fier-Panda. Pendant ce temps, des journaux « mainstream » comme LeMonde louaient le modèle de Minutebuzz en leur consacrant des articles flatteurs. Le culte du nombre et de la croissance dans toute sa splendeur.

« Fermez la porte au capitalisme, il entre par la fenêtre. Comme notre intérieur ne lui plaît pas, il change le papier peint et il nous envoie la facture. »

Une bulle de vide et d’insignifiance

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Certains diront volontiers qu’il n’y a pas de problème à ce type de manipulation, que nous sommes responsables de nos « likes » et qu’il faut donc assumer de se faire manipuler. Cette logique de l’individualisation des responsabilités, plaçant l’individu seul face au marché, est exactement la même qui jettent aujourd’hui des millions de travailleurs dans la précarité. Et pourtant, c’est le sens même du mot « réseau social » qui est gravement malade. Car l’exemple de Minutebuzz n’est qu’un symbole connu. Partout, des entreprises flairent le filon et répliquent la technique. Tout ceci prend rapidement une échelle industrielle. Même le secteur du militantisme est touché par cet accaparement commercial à l’image du réseau « La Vraie Démocratie » dont 99% du contenu est volé à d’autres pages dans l’indifférence de leurs lecteurs. Capitaliser des millions de fans sur des coquilles vide de pages Facebook n’a jamais été aussi facile. Il suffit d’avoir de savoir utiliser le copier/coller de son clavier.

Au final, l’utilisateur se voit accaparé, à petites doses, une part de son précieux temps de vie. Ces entreprises possèdent soudainement une extrême visibilité, et donc un pouvoir d’accaparement du temps de cerveau disponible, notamment pour nous vendre des produits plus ou moins discrètement. Et comme chacun le sait, le temps est limité et il existe une véritable guerre de l’information pour toucher nos cerveaux, que ce soit pour nous informer correctement (ce qui reste plutôt rare), nous amuser et nous vendre des produits.

Cerveau DisponibleC’est par ce mécanisme (et d’autres) que le fil d’actualité Facebook, consulté par des millions de personnes chaque jour en France, est lentement vidé de sa substance, devenant une nouvelle vitrine de la société de consommation. Premièrement, l’idée même du réseau SOCIAL disparait peu à peu pour devenir un réseau économique classique où les contenus les plus débilisants génèrent statistiquement davantage de profits. Ensuite, ce sont les pages « sincères » qui en payent le prix fort avec un recul de leur visibilité sous le poids écrasant des buzz. Ainsi, le travail de fond, la créativité, l’art ou l’intelligence ne sont pas récompensés mais punis. À l’inverse, la copie et la manipulation génèrent toujours plus de visibilité et donc d’argent. Comme un goût de déjà-vu à la télé ?

Comme l’affirme le blogueur : « Fermez la porte au capitalisme, il entre par la fenêtre. Comme notre intérieur ne lui plaît pas, il change le papier peint et il nous envoie la facture. » Notre génération offre une large part de son temps de vie à son smartphone. Plus que jamais, activons nos neurones et apprenons à pouvoir dire No pasarán à ceux qui profitent de notre naïveté avant de finir, à notre tour, en simple produit de consommation.


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