On annonce leur disparition des savanes africaines d’ici 10 à 15 ans si rien n’est fait. Ils font partie de ces animaux mythiques présents dans les contes et les histoires, et ayant également une place importante dans certaines cultures. Pourtant, les éléphants sont bel et bien entrain de disparaître sous nos yeux, et notre génération pourrait être celle qui assistera à la disparition totale de ces colosses légendaires aussi doux qu’impressionnants … Retour sur une situation critique dans notre dossier.
Voilà quelques années que le ton se durcit autour du trafic d’ivoire, l’année dernière la France a détruit un grand nombre de stocks illégaux pour lancer un signal fort contre le braconnage qui décime les éléphants à vitesse grand V. L’ivoire illégal qui fut détruit provenait de saisies accumulées par les douanes depuis de nombreuses années (cet ivoire avait été jusqu’alors gardé dans en lieux sécurisés et surveillés). De nombreux pays ont déjà procédé de la sorte, comme ce fut le cas du Kenya, de la Chine ou encore des États-Unis qui n’ont pas hésité à détruire de grandes quantités d’ivoire (paradoxalement la Chine et les États-Unis sont les deux premiers pays importateurs d’ivoire au monde). Le Congo a également fait brûler des stocks illégaux au printemps de cette année. L’objectif de ces actions est de désacraliser l’ivoire, d’en faire une matière anodine et sans valeur.
Cependant, malgré ces signaux forts, malgré des campagnes de sensibilisation importantes et malgré l’extrême urgence de la situation, le trafic est loin d’être en baisse, il serait même en expansion. Il s’agirait d’un éléphant tué toutes les 15 min en Afrique selon les ONG présentes sur le terrain. Des organisations non-gouvernementales œuvrent à la protection des espèces mais se sentent impuissantes et seules face à l’ampleur et la complexité de ce trafic meurtrier, autant pour les animaux que pour les humains.
Pourquoi cette recrudescence du braconnage ?
La création de l’interdiction internationale du commerce de l’ivoire, établie en 1989, avait pourtant permis de faire chuter le prix de cette matière prisée, offrant ainsi la possibilité aux éléphants de se reconstituer. Ce fut le cas pendant un temps, le nombre d’éléphants a augmenté, et le braconnage avait presque disparu en Afrique. Selon le documentaire : Trafic d’ivoire, la guerre perdue, c’est un fort lobbying exercé pendant des années qui a fait flancher les décisions de l’ONU. Ce sont en effet, les Nations Unies qui ont autorisé certains pays comme le Japon ou la Chine à acheter à nouveau de l’ivoire à différents états Africains, à partir de 1997. Les réglementations autour du commerce légal « protégerait » ainsi le commerce illégal, le premier fournissant une excellente couverture au second. L’ivoire ayant une place très particulière dans l’art chinois, les ateliers de sculpture ont ainsi pu reprendre leurs activités. Les activistes et les militants déplorent une industrialisation de cette pratique qui accélère la demande et ainsi la disparition des éléphants. En effet, la création de sculptures en ivoire ne se feraient plus sur de longues durées dans la méthode traditionnelle, mais avec des outils et une technologie moderne et mécanisée.
Campagne Tout n’est pas facile à fabriquer et credit image : IFAW
D’après les enquêtes, on sait que dans le braconnage est divisé entre « les gros bonnets » et les petits exécutants. Les gros bonnets, à savoir les têtes de réseaux, gagnent une fortune sans pour autant être inquiétés par la justice. Les petits subalternes, sont ceux qui font le sale boulot et qui sont en première ligne. Ils mènent des vies dangereuses tout en risquant la prison. Malgré les risques importants, le braconnage semble rapporter davantage d’argent qu’une autre activité, notamment et principalement dans les régions sinistrées de certains états africains. Ceci expliquerait donc pourquoi la pratique est en pleine expansion, et ce même si le revenu des braconniers sur le terrain représente un minuscule pourcentage du prix du marché, ou de la part réservée par les grands cadors de ce business.
L’ivoire, mais aussi la corne de rhinocéros, ont une très grande valeur et se vendent à prix d’or sur le marché. Cyniquement, plus une espèce est en danger, plus elle prend de la valeur. L’extinction peut même être profitable pour ceux qui détiennent des stocks. Les enquêteurs de la CITES, dont John Sellar que l’on voit dans le documentaire Trafic d’ivoire : La guerre perdue, estiment que de nombreuses défenses d’éléphants sont ainsi stockées pour être revendues dans les années à venir, au moment où la valeur marchande de l’ivoire aura atteint son apogée : « Les objets en ivoire vendus dans les magasins ne représentent qu’une fraction de la quantité totale d’ivoire brut introduit frauduleusement en Chine, semaine après semaine. » explique le chercheur.
Rappelons qu’en ce début d’année, la Chine a annoncé interdire l’importation d’ivoire ouvragé pendant 1 an (il s’agit donc d’ivoire « travaillé » et non des défenses directement ou ivoire brut). Une mesure jugée timide et inefficace selon les ONG car « La contrebande internationale concerne en effet essentiellement les défenses ou de l’ivoire brut, qui représentent 90 % de saisies, selon une base de données liée à la Cites. » Bref, les instances font du surplace et l’argent semble dicter toutes les décisions (source : lemonde.fr).
Le Documentaire (diffusé sur Arte) : Trafic d’ivoire : La guerre perdue
Réalisateur : Jakob Kneser
Origine : Allemagne
Année : 2015
https://www.youtube.com/watch?v=EwwcJzMEkBM
La législation autour du commerce de l’ivoire
Il existe depuis 1989 un Moratoire sur le commerce international de l’ivoire. Il interdit à la base tout commerce autour de cette matière prisée. C’est l’ONU qui a autorisé certains pays quelques années plus tard à acheter de l’ivoire partiellement. Certaines populations d’éléphants d’Afrique sont passés de l’Annexe I de la CITES (tout commerce interdit internationalement) à l’Annexe II (commerce réglementé), ce qui a permis une réouverture des importations et des ventes. Pour rappel la CITES est la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction. (Voir les ANNEXES de la CITES : www.cites.org)
Selon les critiques de cette procédure, le « commerce légal » permettrait de blanchir le commerce illégal, tout en « démocratisant » l’utilisation et la vente d’ivoire. Les associations et ONG estiment les mesures de « surveillance » de la CITES beaucoup trop insuffisantes face à la gravité de la situation, et demandent l’interdiction totale pure et simple du commerce et des importations d’ivoire. D’autant que pour les observateurs, ce trafic serait l’arbre qui cache la forêt et alimenterait d’autres réseaux tout aussi peu reluisants, comme ceux de groupes terroristes dits « rebelles » (source : future.arte.tv) ou encore ceux du trafic d’armes, mais aussi d’êtres humains (source : natura-sciences.com).
Il apparaît donc étonnant et aberrant que tout commerce autour de l’ivoire ne soit pas totalement interdit de manière internationale, à la vue de l’extrême urgence de la situation. Le trafic d’animaux sauvages et d’espèces protégées est le troisième plus gros trafic illégal au monde juste après celui de la drogue et des armes. Il représente une manne d’argent considérable (source). Il est également beaucoup moins contrôlé que le trafic de drogue, et peu d’agents des douanes sont affectés à ce trafic en particulier. Les associations déplorent un manque de contrôle colossal dans le trafic des animaux sauvages et des espèces menacées. C’est aussi pour ces raisons que les stocks d’ivoire sont désormais détruits par de plus en plus de pays. La pratique, radicale, évite les transactions et les transferts sous le rideau, mais aussi les vols et les corruptions en tout genre (source).
Et la corne de rhinocéros ?
La corne de rhinocéros dont fait mention le documentaire Trafic d’ivoire : La guerre perdue est également un business très lucratif qui est entrain de réduire à néant la probabilité de survie de l’espèce. La corne de rhinocéros est devenue accessible pour des citoyens de classe moyenne notamment grâce aux nouveaux systèmes d’échange et de communication. Transformée en poudre, elle est très appréciée en Asie, notamment au Vietnam ou en Chine. Une légende veut que cette corne porte en elle des vertus anti-cancer, ce qui a été de nombreuses fois réfuté par la science. La corne de rhinocéros n’a en réalité aucune vertu médicinale particulière (sources sciencesetavenir.fr : 1 –2). Il reste pourtant moins de 3000 rhinocéros dans le monde.
Rappelons qu’il existe une interdiction internationale du commerce de la corne et que la majeure partie des populations de rhinocéros est classée à l’Annexe I de la CITES (tout commerce interdit).
La situation globale des éléphants en chiffres
♦ Entre 20 000 et 35 000 éléphants sont tués chaque année dans le monde pour leur ivoire, soit 1 toutes les 15 min et 100 par jour;
♦ Les douanes n’interceptent que 10% du trafic;
♦ 1000 Rangers protecteurs des éléphants et rhinocéros ont été tués par les braconniers ces dix dernières années. L’ONG IFAW estime d’ailleurs que le chiffre est sous estimé;
♦ 1500 euros c’est le prix d’un kilo d’ivoire sur le marché;
♦ La corne de rhinocéros se vend 51 000 euros le kilo sur le marché noir;
(sources : 1 – 2 – 3)
Les éléphants d’Afrique souffrent d’un braconnage effréné, tandis que ceux d’Asie souffrent du tourisme de masse et du divertissement cruel, ainsi que d’une perte de leur habitat. (LIRE : Un éléphant tue son dresseur en pleine excursion, fait-divers ou symptôme ?)
« N’en restera t-il que des mots ? »
Credit photo : IFAW
Méthodes de protection renforcées et travail des ONG
La protection autour des réserves a été renforcée, et les gardes qui protègent les espèces menacées comme les éléphants ou encore les rhinocéros sont appelés Rangers. Ces derniers sont nombreux, armés, et tombent parfois sous les balles des braconniers. Nous savons aussi que dans certaines régions d’Afrique, certains rangers sont épaulés par des anciens militaires américains par le biais de l’ONG Four Paws (LIRE : Kinessa Johnson, la « chasseuse » de braconniers) sans qu’on sache en détail les actions de ceux-ci. Malheureusement la corruption existe au cœur même des réserves « protégées » et il arrive que certains rangers soient corrompus et marchandent avec les trafiquants. Ceci explique pourquoi certaines régions protégées continuent d’être braconnées.
Les associations ont mis en place des zones protégées par les populations locales en échange de rémunération. Les populations locales préviennent ainsi les agents de protection en cas d’arrivée de braconniers ou tout agissement inhabituel. Les Associations et ONG veulent intégrer les locaux dans la protection des espèces menacées, tout en leur permettant de mieux vivre. Mieux vivre avec une rémunération, mais aussi en faisant chuter la criminalité et instaurer davantage de stabilité. Il faut savoir que les populations locales souffrent des groupes terroristes et de la mafia environnante au quotidien.
Le métier de ranger séduit également un certain nombre d’africains, malgré les dangers. D’anciens braconniers deviennent ainsi rangers, ce qui représente une lueur d’espoir. Par ailleurs, des missions d’écovolontariat existent pour venir en aide aux éléphants.
Les éléphants, des mammifères sensibles et intelligents reconnus par l’éthologie
Les éléphants sont reconnus comme des mammifères d’une très grande intelligence et possédant de nombreuses capacités. Ils savent notamment compter, et vivent en grands groupes familiaux soudés où l’entraide semble centrale. Des observations et études sur le terrain ont mis en évidence la centralité de la vie en communauté pour les éléphants. La structure de vie des pachydermes repose sur une société matriarcale où chacun semble tenir un rôle précis. Les matriarches recueillent parfois des petits qui ne sont pas les leurs, les incluant dans leur groupe. Les éléphants, à l’instar des cétacés, pourraient même utiliser une forme de langage par le biais d’un répertoire de sons complexes. Des « rites funéraires » ont également été observés chez les éléphants, qui pourraient avoir ce que l’on appelle, une conscience de soi. Ils seraient aussi capables de se reconnaître dans un miroir (source).
Pour toutes ces raisons, l’association Nonhuman rights project souhaite donner le statut de « personne non humaine » à certaines espèces comme les éléphants, les cétacés ou encore les grands singes. Mais face à la folie humaine, va-t-on pouvoir les sauver à temps ? Qu’adviendra t-il des éléphants ? N’existeront-il plus que dans nos mémoires et nos cahiers d’histoire ? Il semble évident que les ONG, seules, ne sont pas assez puissantes pour contrer le trafic. Ces dernières veulent l’interdiction totale du commerce de l’ivoire et la destruction des stocks existants, des décisions qui pourront peut être apporter une solution. Et il semble également extrêmement important d’inclure les populations locales dans la préservation de leur patrimoine national naturel. Notre patrimoine à tous, la diversité.
« Il faut que l’on rendre l’achat et la possession d’ivoire socialement inacceptable. »
Sources : arte.tv / lemonde.fr : 1 – 2 / undp.org / ifaw.org / mrmondialisation.org : 1 – 2
Image à la une : collegiateoutdoors.com