Aujourd’hui, et c’est une triste réalité, tout le monde a déjà croisé des déchets abandonnés dans la nature. Mais face à ce spectacle devenu ordinaire, on ne sait pas toujours quoi faire. Pas le temps de s’arrêter, pas le matériel adéquat ou l’impression que de toute façon le problème nous dépasse… Les raisons sont nombreuses qui peuvent nous empêcher d’agir. Et pourtant, ce n’est pas l’envie qui manque. Alors l’application Trash Spotter, fruit de deux ans de réflexion, s’est donnée pour mission de remédier à ce sentiment d’impuissance et de rassembler les différents acteurs de la société autour du nettoyage des espaces naturels. Comment ? Explication.
La mission de Trash Spotter ? Réunir ceux qui repèrent des détritus, et ceux qui peuvent les ramasser, autour d’objectifs communs : (re)prendre soin de la nature, mesurer l’étendue du désastre et briser l’inertie générale, depuis l’habitant jusqu’aux institutions, face à l’urgence environnementale. Son fonctionnement est simple : une personne qui trouve des déchets sauvages les prend en photo et les localise. Elle peut ensuite, soit les ramasser elle-même sur le moment, soit laisser cette étape à d’autres qui cherchent justement un « spot » où se rendre utile.
Plus encore : en mettant en relation signalement des déchets et nettoyage, l’application coopérative permet aussi aux utilisateurs d’enrichir une grande bibliothèque d’archives concernant la gestion de nos déchets et les milieux impactés. Quantité de témoignages collectés qui pourraient s’avérer utiles dans notre rapport local aux détritus, comme dans la recherche globale sur le sujet. D’autant que Trash Spotter n’est pas uniquement destiné aux particuliers. L’outil est également mis à disposition des associations, collectivités, institutions, entreprises, pour cibler des lieux d’action et s’organiser plus facilement autour de leur prise en charge.
Mais si l’application fluidifie l’action – en assurant aux uns le relais de leur découverte, et aux autres des adresses exactes où pouvoir s’investir – est-elle pour autant vraiment utile et efficace face à l’urgence écologique et la gestion des déchets ? Eléments de réponse.
L’état des lieux : des chiffres écrasants.
Sous forme de microparticules, d’emballages, de petits objets du quotidien ou d’encombrants, le plastique est absolument partout : du pôle nord au pôle sud en passant par les monts les plus élevés, jusqu’à nos écosystèmes les plus proches. Nous en avons créé à ce point que la planète entière en est infestée. Cette matière, qui plus est dérivée d’extractions irresponsables et écocides de pétrole, mettra en moyenne entre 100 à 1000 ans à se dégrader. Durant ces siècles de transformation, ses microparticules impropres à la consommation, parasiteront le fonctionnement du vivant et agresseront l’intégrité des écosystèmes. Pourtant, nous continuons à en produire massivement : le marché mondial en a fabriqué 359 millions de tonnes rien qu’en 2018, et ne cesse d’augmenter ses cadences…
Parce que Trash Spotter se veut aussi une plateforme d’information interactive sur le sujet, elle nous rappelle aussi que nous déversons pas moins de 17 tonnes de déchets dans l’océan chaque minute qui passe, de jour comme de nuit. C’est plus spécifiquement 100 millions de tonnes de plastique qui se retrouvent dans l’environnement chaque année. Et ces quantités astronomiques, au-delà d’abîmer la flore marine et terrestre et de polluer les sols et l’eau, ont des conséquences directes sur la faune. Aujourd’hui, les données sont claires et sans appel : plus d’1 million d’oiseaux et 100 000 mammifères meurent chaque année de ce plastique littéralement écoulé dans leurs milieux. Nous-même, nous en ingérons déjà quotidiennement,l’équivalent d’une carte de crédit par jour.
Il existe bien sûr tout un monde de pollution invisible qui concurrence les déchets visibles dans la grande course à la détérioration de notre écosystème – comme les décharges à ciel ouvert où finissent la majorité de nos poubelles, même triées, ou bien comme les millions de tonnes de déversements industriels légaux et illégaux par an, ou encore comme les émissions de gaz à effet de serre. Mais les détritus qui s’échouent sur les plages ou qui finissent dans les forêts sont particulièrement symboliques. Ils illustrent, matérialisent et métaphorisent le débordement. Et, en cela, parlent à tous : ce sont nos responsabilités qui nous rattrapent, les conséquences de nos modes de vie qui refont partout surface et nous reviennent, juste sous nos fenêtres. Mais alors, que faire ?
Les opérations de nettoyage sont-elles utiles ?
Les chiffres sur le plastique sont accablants. Le plus frappant étant peut-être la prévision que d’ici 2050, il y aura définitivement plus de plastique que de poissons dans l’océan. Face à de telles nouvelles, la partie visible de l’iceberg, c’est-à-dire les détritus que l’on croise au compte goutte durant nos promenades, fait pâle figure : venir à bout de l’ensemble du désastre à coups de sacs poubelles semble invraisemblable.
Et loin de n’être qu’une impression, c’est effectivement le cas : uniquement ramasser nos déchets ne nous sauvera pas. Mais la vocation de Trash Spotter et des opérations de nettoyages qu’elle permet d’organiser n’est pas de remédier au problème environnemental à elle-seule. C’est, en complément à d’autres actions, d’empêcher la banalisation et l’acceptation d’un tel décor, de redécouvrir notre espace, de faire naître des engagements et, pourquoi pas aussi, de provoquer des rencontres et échanges autour de valeurs de solidarité, d’écologie et d’investissement citoyen.
Si les opérations de nettoyages sont insuffisantes à régler le problème écologique de notre siècle, elles restent toutefois un élément de réponse parmi d’autres au sentiment de paralysie partagée.
Aussi, pour répondre à une demande nouvelle et croissante des citoyens de s’engager à leur échelle dans des actions locales pour lesquelles leur génération n’avait pas été formée, Trash Spotter met-elle à disposition un moyen de relais communautaire autour des opérations de nettoyage. S’il est tout à fait possible pour ceux qui en ont l’habitude, ou disposent d’associations à proximité, de collecter les déchets en groupe sans outil numérique, d’autres qui y sont moins familiers pourront peut-être y trouver l’occasion ludique de se lancer.
Nettoyer : le premier pas, d’une longue marche.
Nettoyer ce qui se voit ne saurait être utile à grande échelle qu’en complément d’une déconstruction plus profonde de ce qui ne se voit pas, à savoir notre modèle productiviste qui, en amont, ne cesse de produire du jetable. Le geste, aussi louable soit-il, reviendrait sinon à apaiser quelques maux ici et là, sans envisager de réelle guérison. Mais ces actions sont loin d’être inutiles pour autant. Au-delà d’être au moins inoffensives, si ce n’est bénéfiques localement, elles permettent a minima d’éveiller par le constat et de renouer avec nos milieux proches, d’inviter à l’action citoyenne et, à n’en pas douter, d’initier par la suite de nouvelles vocations de terrain et des démarches à grandes échelles. Nettoyer peut s’avérer pour beaucoup une porte d’entrée idéale vers un activisme écologique plus global, une première expérience concrète des enjeux contemporains et un rapprochement direct avec la réalité que vit notre planète.
– Sharon H.
Le site de Trash Spotter : https://www.trash-spotter.green/#menu1
Télécharger l’application : https://www.trash-spotter.green/#screenshots
Pour aller plus loin sur le plastique : mrmondialisation.org/des-micro-aux-nanoplastiques-le-boomerang-dune-civilisation-nous-revient-en-pleine-tete/
Chiffres sur le plastique : https://www.environnement-magazine.fr/recyclage/article/2020/03/04/128178/atlas-plastique-dresse-etat-des-lieux-mondial