C’est un peu comme si, demain, les Français étaient priés de voter à propos de la fin des soutiens publics accordés aux chaînes de France télévision ainsi qu’au groupe Radio France. En Suisse, le 4 mars, les Suisses seront appelés à s’exprimer via une votation populaire à propos du futur de la redevance audio-visuelle qui permet de financer les médias publics du pays. Alors que l’initiative s’inscrit dans un contexte de méfiance croissante à l’égard des médias, les opposants à l’initiative craignent qu’un vote favorable sonne le glas du modèle d’information publique en Suisse.
« Voulez-vous ou non continuer à payer une redevance pour votre radio et télévision publique ? »
Le 4 mars, c’est un véritable tremblement de terre auquel pourrait assister la Suisse, si l’initiative « No Billag » contre la redevance publique audiovisuelle devait trouver une majorité de votes favorables. C’est en répondant à la questions suivante, « Voulez-vous ou non continuer à payer une redevance pour votre radio et télévision publique ? », qu’ils trancheront. Une question diablement simpliste qui cache pourtant des conséquences importantes sur le paysage médiatique du pays.
En Suisse, l’article 93 de la Constitution fédérale qui porte sur la Radio et la Télévision permet de prélever une redevance auprès des ménages afin d’assurer le fonctionnement régulier des médias publics, libres (en principe) des logiques marchandes. La réforme proposée par les auteurs de « No Billag » supprime tout bonnement les missions qui ont été définies pour ces médias – formation, développement culturel, libre formation de l’opinion et divertissement – et, avec elles, les aides accordées à ce titre. Si la votation devait trouver une majorité de soutiens, les dispositions entreraient en vigueur dès janvier prochain, provoquant un véritable bouleversement du paysage médiatique suisse. Selon les opposants, l’entrée en vigueur signerait tout simplement la mort des 19 Radios et chaînes TV publiques en Suisse Romande.
Ils veulent la peau des médias publics
Les initiateurs se fondent sur trois idées principales. D’une part, le fin de la redevance – qui s’élève aujourd’hui à 451 CHF – permettrait selon eux de « libérer » le pouvoir d’achat des ménages. D’autre part, ils en appellent à la liberté de choisir, c’est à dire la possibilité de chacun de soutenir les médias (privés, donc) selon ses propres sensibilités. Enfin, ils suggèrent que la redevance est une atteinte à la pluralité des médias au profit de l’État. Selon leurs propos, si l’initiative devait trouver une majorité de votes favorables, les médias publiques seront amenés à se restructurer et à se réorganiser dans un processus d’évolution positif pour le débat démocratique.
À trois semaines du vote, difficile de prédire l’issue du scrutin, bien que tout laisse penser que les votants vont naturellement vouloir se libérer d’une taxe. Pourtant, alors que les premiers sondages donnaient « No Billag » gagnant, la tendance semble s’être inversée ces derniers jours en faveur des opposants. Néanmoins, les débats montrent que les thèses défendues par « No Billag » trouvent un véritable écho au sein de la population. Ainsi, les auteurs de l’initiative se nourrissent de la méfiance grandissante vis à vis des médias mais aussi de thèses libérales jugeant que la présence étatique est par définition néfaste.
Les médias publics craignent de mettre la clé sous la porte
Les arguments peinent à convaincre chez les critiques, selon qui l’entrée en vigueur de « No Billag » signerait tout bonnement la fin des médias publics. Selon eux, les médias de la radio-télévision se finançant jusqu’à 75 % par l’intermédiaire de cette redevance, il serait illusoire de penser qu’ils puissent rebondir en se tournant vers les abonnements payants ainsi qu’une multiplication des publicités. Par ailleurs, ils insistent sur les obligations spécifiques auxquelles sont soumis ces médias publics – formation, développement culturel, libre formation de l’opinion et divertissement – et les conséquences qui en découlent : assurer la représentation des différentes langues officielles et la juste représentation des diversités d’opinion, notamment politiques. Enfin, contrairement aux arguments de défenseurs du « oui », ils insistent à propos de l’indépendance des chaînes publiques, dont les budgets sont reconduits en des termes similaires d’année en année (et donc indépendamment du contenu de diffusion).
En tout état de cause, même si les médias, encore publics aujourd’hui, devaient trouver un nouveau modèle économique, leur mode de fonctionnement (et donc l’information diffusée) changerait radicalement. En effet, grâce aux aides, ils peuvent s’attarder sur des sujets moins populaires et ne sont pas obligés de capter l’audience via des contenus types télé-réalité ou autres jeux, au profit d’émissions consacrées à la culture, la recherche ainsi que des thématiques moins populaires, comme l’environnement. C’est un tel système qui permet en France, par exemple, de produire des enquêtes critiques de qualité sur certaines multinationales ou des scandales industriels.
Le référendum qui s’annonce reste symptomatique d’un monde médiatique en crise, à la fois pour des raisons économiques, mais également parce que la confiance des citoyens et des citoyennes dégringole envers eux (sans toujours faire la nuance entre un média privé et public). Si un débat à propos du rôle des médias et l’avenir du journalisme semble légitime en Suisse comme ailleurs, les auteurs ne se sont-ils pas pris aux mauvaises cibles en visant spécifiquement les chaines radios et télévisions publiques ? En d’autres termes, un paysage médiatique dominé par des acteurs privés (et donc des industriels), serait-il vraiment plus libre et apte à présenter une information de qualité, sans influence extérieure ?
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