L’Amazonie équatorienne est (encore) menacée. Mais cette fois-ci, point de projets pétroliers ou miniers, c’est désormais une énergie présentée comme « verte » qui est responsable de cette situation dramatique. L’exploitation frénétique des forêts primaires, pour abattre du bois destiné à fabriquer les pales de générateurs éoliens, affecte directement les écosystèmes dont dépendent de nombreuses communautés amazoniennes : habitats d’animaux protégés menacés, hausse de l’exploitation illégale, précarisation des travailleurs et division au sein même des communautés indigènes sont devenus monnaie courante dans la province de Pastaza. L’une des zones naturelles les plus riches en biodiversité de l’Amazonie. Une ONG de terrain équatorienne tente d’y faire face : la Fundacion Pachamama. Nous avons rencontré sa présidente et directrice, Belén Paez, afin de mieux comprendre la situation.
L’Amazonie équatorienne est (encore) menacée. Mais cette fois-ci, point de projets pétroliers ou miniers, c’est l’énergie dite « verte » qui est responsable de cette situation dramatique. Oui oui, celle qui provient des éoliennes situées à côté de chez vous. La demande mondiale d’énergie propre est telle que certaines entreprises exploitent l’Amazonie afin d’abattre un type de bois connu comme résistant et de grande qualité pour fabriquer les pales de générateurs éoliens : le balsa. Ces deux dernières années, l’abattage de balsa a explosé. En cause ? Une subvention de l’État équatorien, qui aurait encouragé les investisseurs chinois à investir dans le balsa. Les entreprises chargées d’abattre le bois tentent désormais de pénétrer sur le territoire des Sápara, une nationalité équatorienne déclarée par l’UNESCO comme site du patrimoine mondial (avec une population de seulement 350 personnes).
L’exploitation frénétique des forêts primaires affecte directement les écosystèmes dont dépendent de nombreuses communautés amazoniennes : habitats d’animaux protégés menacés, hausse de l’exploitation illégale, précarisation des travailleurs, division au sein même des communautés indigènes. L’urgence du matériel et le manque de vigilance du gouvernement équatorien en raison des restrictions liées à la pandémie ont contribué au chaos, notamment dans la province de Pastaza, l’une des zones naturelles les plus riches de l’Amazonie, qui abrite des dizaines de milliers d’hectares de cette espèce. La situation est alarmante. Une ONG de terrain équatorienne tente d’y faire face : la Fundación Pachamama. Nous avons rencontré sa fondatrice, Belén Paez, afin de mieux comprendre la situation.
Mr Mondialisation : Dans quelle mesure la pandémie a-t-elle contribué à aggraver la situation ?
Belén : Par le manque de réponse efficace et rapide de la part des autorités locales, du ministère de la Santé publique, des ministères qui s’occupent des besoins des communautés de base. Cette absence d’Etat, d’accompagnement et d’accès aux soins pendant la pandémie a fait que les familles qui souffraient de cette perte de proches ou de ce manque d’accès à la nourriture ou d’accès à la distribution de tests COVID ont dû recourir à la récolte de balsa pour obtenir de l’argent. Les communautés ont reçu de nombreuses offres économiques de la part des intermédiaires du marché du balsa, qui leur ont permis de résoudre leurs besoins de base en termes de santé, de transport, d’éducation. Elles ont vu en cela une solution efficace et rapide … mais ça a vite dégénéré. Alors que le balsa se vendait encore entre 2 et 5 dollars l’arbre sur pied au début de l’année, le plafond se situe actuellement entre 35 et 40 dollars pour le même arbre. Une telle spéculation vient ainsi répondre à l’absence de l’Etat pendant la crise, en apportant un flux d’argent nouveau et indispensable pour les communautés face aux enjeux que posent l‘accès à la santé, au transport et à la mobilité.
Mr Mondialisation : Quelles sont les conséquences de cette exploitation frénétique ?
Belén : Il y en a plusieurs, dont l’une est écologique. Mais personne ne sait exactement comment l’abattage massif de balsa affecte les écosystèmes amazoniens. Certains affirment que le bois de balsa est un arbre à cycle court, rapide à récolter et facile à cultiver. On le trouve dans des écosystèmes spécifiques tels que les îles ou les rives des rivières amazoniennes. Étant donné qu’il y a une exploitation forestière massive dans ces zones près des rivières, on peut sûrement supposer que les balsas pourraient être une barrière contre les inondations mais aussi un habitat pour de nombreux animaux protégés tels que le jaguar, l’aigle harpie et d’autres petits mammifères qui nichent dans ces endroits car il y a une protection naturelle des balsas. Ce sont des sites de connectivité et des corridors écologiques entre la forêt et la rivière.
Un autre impact est la question économique, car il s’agit d’un important afflux d’argent qui n’avait jamais été observé dans les communautés auparavant. Ces flux d’argent et ces négociations parallèles brisent et affectent le tissu social. Les gens cessent d’avoir cette perspective et cette vision du bien commun, des biens communs et de la gouvernance communautaire des forêts. Ils commencent à développer des schémas d’individualisme, de privatisation et de compétition entre eux en disant que ce sont « mes » arbres, « mon » île… « c’est à toi », « c’est à moi », alors qu’auparavant cela n’était pas observé. Tout s’inscrivait dans une cosmovision et des principes de vie basés sur la communauté et le territoire commun. Cette affectation du tissu social est donc très grave, car elle fragmente les communautés et crée des divisions et des tensions entre les familles et les communautés. A tel point qu’il y a de la violence entre les membres de la famille avec une rupture de la communication et des menaces de conflit et de représailles.
Un troisième point est la question de l’entrée des intermédiaires du marché du balsa et d’autres types de personnes dans les territoires. Nous avons pu constater que d’autres types de personnes associées au commerce illégal, à la criminalité et au trafic d’êtres humains entrent également dans les territoires. Bien qu’il ne soit pas possible d’identifier l’impact exact au niveau social, nous pouvons prévoir que ces nouveaux acteurs qui pénètrent dans les territoires autochtones et qui n’y étaient pas auparavant violent les droits humains des femmes et des enfants. Nous constatons déjà de nombreuses migrations de femmes, de jeunes et d’enfants avec ces personnes qui vont et viennent. Cela peut se transformer en trafic d’êtres humains. Avec la mobilisation de ces personnes associées au marché de la balsa, il y a des preuves d’une augmentation de la construction de bars, de billards et de transport dans les communautés avec plus de livraisons d’alcool. C’est le début des pôles de développement en Amazonie où il y a des possibilités d’augmentation des maladies vénériennes, une plus grande probabilité de prostitution, et d’alcoolisme parce que le transport de l’alcool vers ces communautés avec ces établissements de ces nouveaux bars arrive très facilement. Cela a donc un impact rapide sur les jeunes et les enfants qui observent la croissance de ces nouveaux comportements au sein des communautés, qui seront la norme pour cette nouvelle génération. Le changement culturel est très affaibli et très fragile et il y a un effet qui doit être mesuré immédiatement.
Un autre effet est la question de l’incapacité et de l’absence de l’État dans cette crise de la balsa en Amazonie. L’État n’est pas présent dans ces lieux et on peut confirmer qu’il n’existe aucune collaboration entre les communautés indigènes et l’État pour résoudre ces problèmes. Les seules directives publiées par les institutions sur la récolte et le commerce du bois de balsa sont quelque peu fantaisistes et établissent des exigences administratives qui ne correspondent pas à la réalité sociale, culturelle et écologique de la gestion forestière dans les communautés amazoniennes. En d’autres termes, ils ne favorisent pas l’utilisation durable de cette ressource forestière qu’est le bois de balsa.
Mr Mondialisation : Vous évoquez des populations indigènes divisées ? Pouvez-vous nous en dire plus ?
Belén : Un exemple à citer est le territoire Achuar de 785 000 hectares dans la région de la rivière Pastaza. Le territoire compte plusieurs associations et communautés, et la plupart d’entre elles disposent de la ressource forestière du balsa. Parmi les communautés qui ont décidé de profiter de cette ressource, seules une ou deux ont commencé à rejeter cette offre, provoquant diverses discussions internes dans les communautés sur les raisons pour lesquelles elles ne veulent pas le faire. La raison majeure est la suivante : ils donnent la priorité à l’écotourisme communautaire. Mais cette vision n’est pas partagée par tous. Il y a beaucoup de conflits internes au sein des communautés parce qu’il y a des gens qui veulent opter pour la récolte du balsa comme réponse immédiate et il y a d’autres qui veulent opter pour une vision à plus long terme, avec une pensée différente du développement économique de l’Amazonie équatorienne.
La situation est la même dans le territoire de Sápara où un pourcentage veut profiter de la ressource et d’autres s’y opposent en disant qu’un tel commerce représente un danger certain. La différence avec les Achuar est que les Sápara représentent une petite nationalité avec seulement 350 habitants et un grand territoire de 400 000 hectares. Ils s’y opposent davantage en raison de la menace d’invasion d’autres communautés sur leur territoire qui profiteront des ressources sans être en mesure de contrôler l’ensemble du territoire avec de possibles vols, affectations et violations des droits. Cette nationalité a donc rejeté l’exploitation du balsa sur son territoire, plaçant la santé de ses écosystèmes comme indicateur de son propre bien vivre. Le plan de gestion territoriale de ce peuple interdit l’entrée de cette activité sur son territoire, comme garantie de conservation et de vie en harmonie sur son territoire.
Invasion du territoire, conflits entre communautés auparavant amies, entre des familles au sein même des communautés … à moyen et long terme, tout cela aura pour conséquence de transmettre et perpétuer une vision différente de la protection des écosystèmes de celle qu’avaient nos ancêtres, véritable gardiens de la nature. De plus, l‘essor de cette ressource forestière peut générer des intérêts à extraire d’autres « ressources » naturelles d’Amazonie en grandes quantités, d’autres espèces forestières comme les bois fins qui trouvent actuellement des marchés notamment. C’est le grand défi !
Mr Mondialisation : Pourtant, l’Équateur est le premier et le seul pays au monde à avoir reconnu les droits de la nature dans sa Constitution, en 2008. Si ces activités détruisent manifestement l’Amazonie équatorienne, et que certaines d’entre elles sont illégales, comment se fait-il que le gouvernement équatorien ne fasse rien ?
Belén : Le gouvernement de l’Équateur a conçu une politique publique pour les forêts qu’il est important de reconnaître et qui a été construite au cours de la dernière décennie. Je me réfère au cadre de la politique d’adaptation et d’atténuation du changement climatique. Il existe une politique REDD+ pour la conservation et la réduction de la dégradation des forêts tropicales en Equateur. Il s’agit d’une politique assez bien rédigée en ce qui concerne les garanties environnementales et les projets durables qui doivent être menés à bien. Elle dispose également d’un système d’évaluation et de suivi de haut niveau sur la déforestation en Équateur. Il dispose également d’un système d’investissement avec des composantes intéressantes pour aider les communautés à développer des projets alternatifs à la déforestation liés à la bioéconomie, à l’agriculture durable et à d’autres bio-entreprises.
Malgré cela, cet effort de l’État n’est pas en mesure de répondre à la rapidité avec laquelle ces activités se développent. Cette incapacité de l’État et de ses ministères compétents à disposer d’unités de surveillance des forêts sur place dans la région où cela se produit pose un dilemme. Il existe un fossé entre ce qui est écrit ou ce qui devrait être fait et ce qui se passe. Nous constatons donc une absence manifeste de capacités de surveillance de l’État, de génération d’alertes précoces, de formation locale et de collaboration immédiate avec les systèmes technologiques et de capacité à déterminer où se produit cette déforestation. On constate également qu’il n’existe aucune capacité à diffuser largement les réglementations environnementales, les lois qui s’y appliquent et le code de l’environnement de l’Équateur, qui définit clairement que si les forêts primaires ou de haute conservation (où vivent les peuples amazoniens) sont abattues pour couper des espèces forestières courtes comme le balsa, cela donne lieu à une condamnation pouvant aller jusqu’à 5 ans de prison car c’est illégal. La coupe de la forêt primaire pour planter des monocultures ou pour planter des espèces à cycle de récolte court comme le balsa est punie par la loi. Il existe des lois qui pourraient encourager une meilleure gestion durable du balsa, mais l’État ne propose pas d’actions concrètes pour qu’elles soient appliquées et respectées.
Mr Mondialisation : Concrètement, quelles sont les solutions et que faites-vous avec la Fondation Pachamama pour mettre fin à cette situation ?
Belén : Sur le plan juridique, il faut examiner les politiques, règlements, lois qui existent déjà et commencer à prendre des mesures de précaution qui suscitent l’attention sur ce qui pourrait se passer ensuite si rien n’est fait. Ensuite, il est indispensable de faire appliquer ces normes existantes et de diffuser l’information sur ce qui ne peut pas être fait – en termes d’exploitation – dans les forêts amazoniennes ainsi que sur les sanctions encourues (de l’amende à l’emprisonnement). Il faut agir avec force contre l’illégal. En parallèle, il faut faire évoluer la législation existante en consultant les communautés autochtones concernées, notamment en faisant avancer ce que l’on appelle les « plans de gestion et d’utilisation » pour cette espèce à cycle court qu’est le balsa. L’Amazonie pourrait devenir une plateforme d’exportation de balsa avec un sceau ou une garantie qu’il n’y a pas de déforestation de la forêt tropicale et qu’il existe un bon plan de gestion durable de la ressource dans les territoires. C’est-à-dire très bien zoné et où il est assuré que ces activités sont favorables aux communautés, en termes d’offre économique notamment.
Le défi à moyen et long terme pour des centaines de communautés en Amazonie est donc le suivant : transformer cette mauvaise utilisation de la balsa en un plan qui peut avoir un système efficace de culture, de gestion, de récolte, d’exportation, un modèle de gouvernance et de participation locale qui est efficace, qui répond aux garanties et aux droits de la nature ainsi qu’aux droits de l’homme. Ce projet pourrait devenir une étape importante dans la région en Équateur et servir de modèle au Pérou ou à d’autres endroits.
Quant à la fondation, nous agissons de deux manières :
- La première est de soutenir la Nationalité Achuar, à sa demande, dans la conception et l’élaboration d’un plan pour la gestion et l’utilisation du balsa durable dans le territoire Achuar en incluant les principes de durabilité et de commerce équitable.
- La seconde consiste à soutenir les Sápara, qui ont choisi de ne pas répondre à l’échange du balsa comme une incitation économique rapide. Nous recherchons un outil de compensation financière à long terme, autrement dit une solution qui engage cette nationalité à prendre un virage vers cette vision holistique qu’elle a de l’environnement et plus particulièrement des forêts. Nous les aidons également à communiquer au monde à propos de ce qu’il se passe sur leur territoire avec le balsa et autres menaces, pour alerter leurs voisins ainsi que la communauté internationale sur le sujet. L’objectif ? Que la décision qu’ils ont prise de ne pas exploiter le balsa soit respectée et que les autorités protègent cette nationalité si vulnérable.
Mr Mondialisation : Un dernier mot pour nos lecteurs ?
Belén : Bien que les forêts tropicales soient largement menacées par le boom du balsa et que la déforestation dans la région risque de se poursuivre à l’avenir, il existe de nombreuses possibilités de ralentir et de créer de nouveaux partenariats et collaborations entre divers acteurs tels que le secteur privé, les gouvernements locaux, le ministère de l’environnement, les communautés locales et les institutions indigènes. Afin de réfléchir à un modèle économique durable pour les communautés dans leurs forêts.
Il y a une opportunité pour les communautés de générer un accès aux ressources pour l’éducation, la santé, le transport … c’est très important. La communauté internationale devrait soutenir cet effort : la solvabilité des alternatives économiques pour les communautés qui sont les gardiens des forêts tropicales du monde. Ils ont donc besoin de ce type de soutien, mais aussi de compréhension et de solidarité sur la question de la protection de leurs forêts et de l’exploitation illégale du bois fin en général, et du bois balsa en ce moment.
Propos recueillis par Camille Bouko-levy