Abritant une riche biodiversité, stockant une immense quantité de carbone et influençant fortement les modèles climatiques mondiaux, le destin de la forêt amazonienne est en tout point crucial pour l’avenir de l’humanité et la santé de notre planète. Or, une nouvelle étude révèle que les activités humaines et l’accélération du réchauffement climatique ont considérablement diminué la résilience de la forêt tropicale depuis le début des années 2000. Ce nouveau phénomène alarmant pourrait ainsi transformer cet écosystème vital en savane aride, et libérer par ce fait même des quantités dévastatrices de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, diminuant considérablement nos chances de limiter l’augmentation des températures en deçà des 2°C. Explications.
Alors que les scientifiques tirent la sonnette d’alarme quant aux conséquences du réchauffement climatique et de la déforestation sur l’équilibre de la forêt amazonienne depuis de nombreuses années, une nouvelle étudie publiée dans le journal Nature Climate Change[1] révèle que plus de trois quarts de la forêt ont perdu la capacité de se régénérer au cours des deux dernières décennies.
Selon Chris Boulton, climatologue et coauteur du rapport :
« nous avons constaté une perte prononcée de la résilience de la forêt amazonienne au cours des 20 dernières années. Et quand je dis résilience, je veux dire la capacité de la forêt amazonienne à se restaurer pour retrouver un état stable »[2].
En effet, l’accélération de la déforestation, l’intensification des feux de forêts et l’augmentation des températures liée au réchauffement climatique ont aggravé les épisodes de sécheresse et autres évènements climatiques extrêmes, entrainant une « savanification » de la forêt tropicale.
Ce phénomène est particulièrement observable à proximité des régions de la forêt où les activités humaines sont les plus intenses, à savoir les zones urbaines, les routes et les terres cultivées.
La résilience de la forêt fortement diminuée
Pour évaluer le degré de résilience de la forêt amazonienne, les chercheurs se sont appuyés sur des mesures satellitaires recueillies au cours des 20 dernières années, qui ont permis de cartographier la biomasse et la verdeur de la forêt afin d’observer son évolution face aux fluctuations des conditions climatiques. Ainsi, ils ont pu constater que la forêt restait brune plus longtemps après des épisodes de sécheresses ou des incendies.
Ce phénomène s’explique principalement par l’intensification des activités humaines dans la région, dont la déforestation, qui entraine une diminution de l’évapotranspiration, processus par lequel l’eau passe de la surface de la terre à l’atmosphère, diminuant ainsi le taux de précipitation, et pouvant entrainer des effets en cascade dans tout le bassin amazonien.
Il peut également être expliqué par l’asséchement de l’atmosphère humide de l’Amazonie en raison de l’intensification et la plus grande récurrence des feux de forêts, et de l’accélération des effets néfastes du réchauffement climatique.
Or comme le rappel Niklas Broers, coauteur de l’étude, « la forêt amazonienne abrite une biodiversité unique, influence fortement les précipitations dans toutes l’Amérique du Sud, et stocke d’énorme quantités de carbone qui pourraient être libérées sous forme de gaz à effet de serre dans le cas d’un dépérissement même partiel, contribuant ainsi au réchauffement global de la planète »[3].
Plus alarmant, l’étude révèle que la perte de résilience n’équivaut pas à une perte de la couverture forestière de l’Amazonie, ce qui signifie que la forêt tropicale pourrait être proche d’un point de non-retour sans que des changements clairement identifiables ne se produisent.
Quel avenir pour le poumon vert de la planète ?
Alors que le réchauffement climatique et la déforestation pourraient prochainement faire passer la forêt amazonienne au-delà d’un point de basculement, la perte de résilience de la forêt tropicale pourrait quant à elle annoncer un déclin irréversible des services écosystémiques de l’Amazonie.
Cette perte de résilience, combinée à une saison sèche suffisamment longue qui favorise l’augmentation des incendies naturels réguliers, pourrait entrainer une transition de la forêt tropicale vers une savane permanente. Celle-ci serait alors caractérisée par un écosystème mixte d’arbres et de prairies avec une canopée ouverte qui pourrait davantage assécher les sols, ainsi que diminuer la capacité de stockage du carbone de l’Amazonie[4], deuxième poumon de la planète après l’océan.
Hélas, selon Broers, « bien qu’il ne soit pas possible d’évaluer exactement quand est ce que la transition de la forêt tropicale en savane pourrait se produire, une fois que cela sera évident, il sera trop tard pour l’arrêter ».
Des conséquences climatiques globales
« Il est bon de se rappeler que si l’on arrive à ce point de basculement et que l’on s’engage à perdre la forêt amazonienne, alors nous obtiendrons une rétroaction importante sur le changement climatique global. Nous perdrions 90 milliards de tonnes de dioxyde de carbone actuellement séquestré dans les arbres et le sol de l’Amazonie »[5], averti Timothy M. Lenton, l’un des auteurs de l’étude.
Le franchissement de ce point de bascule rendrait alors la réalisation des objectifs des Accords de Paris et la neutralité carbone extrêmement difficile à atteindre. Au lieu de se positionner en alliée dans la lutte contre le réchauffement climatique, l’état de l’Amazonie l’accélérerait et multiplierait ses conséquences dévastatrices. À cet égard, des études révèlent déjà que certaines parties de la forêt tropicale sont aujourd’hui devenues des émetteurs nets de CO2 plutôt que des puits de carbones[6].
Il est donc plus que jamais essentiel de limiter l’exploitation forestière amazonienne, de remettre en question notre modèle de société destructeur, de son principe même de croissance infinie à sa course à la production, en passant par notre consommation de produits qui participent directement à la destruction de ce régulateur climatique mondial, véritable écosystème riche de vies qui comptent.
Les peuples autochtones d’Amazonie défendent déjà ces territoires avec courage et détermination. Soutenons-les à notre manière.
– W.D.
[1] Boulton, C. A., et al., Pronounced loss of Amazon rainforest resilience since the early 2000s, Nature Climate Change, 7 mars 2022, disponible sur: https://www.nature.com/articles/s41558-022-01287-8
[2] Gustin, G., “Is the Amazon approaching a tipping point? A new study shows the rainforest growing less resilient” in Inside Climate News, 7 mars 2022, disponible sur: https://insideclimatenews.org/news/07032022/amazon-rainforest-tipping-point-resilience/
[3] X., “Amazon rainforest is losing resilience: new evidence from satellite data analysis” in Science Daily, 7 mars 2022, disponible sur: https://www.sciencedaily.com/releases/2022/03/220307113004.htm
[4] Tandon, A., “Declining ‘’resilience’’ pushing Amazon rainforest towards tipping point” in Carbon Brief, 7 mars 2022, disponible sur: https://www.carbonbrief.org/declining-resilience-pushing-amazon-rainforest-towards-tipping-point
[5] Hunt, K., “Amazon near tipping point of shifting from rainforest to savannah, study suggests” in CNN, 8 mars 2022, disponible sur: https://edition.cnn.com/2022/03/07/americas/amazon-tipping-point-climate-scn/index.html?utm_content=2022-03-07T21%3A01%3A12&utm_term=link&utm_source=fbCNN&utm_medium=social
[6] Houy-Delalande, F., « L’Amazonie émettrait plus de gaz à effet de serre qu’elle n’en absorbe » in Reporterre, 27 mars 2021, disponible sur : https://reporterre.net/L-Amazonie-emettrait-plus-de-gaz-a-effet-de-serre-qu-elle-n-en-absorbe