Il y a quelques jours, des milliers de Maassaï ont été violemment sommés de quitter leurs villages et leurs terres. Le but de l’opération ? Délimiter une nouvelle zone de chasse destinée au tourisme de luxe en Tanzanie. Les populations indigènes n’auront quant à elles plus le droit d’y faire pâturer leurs troupeaux, et encore moins d’y vivre. Plusieurs organisations internationales s’indignent et exigent la fin de ces expulsions illégales qui illustre encore une fois les dérives dangereuses du colonialisme vert.
Tout commence le 8 juin dernier, lorsque des dizaines de véhicules de police débarquent sans prévenir à Loliondo, dans la région d’Arusha situé au nord du pays. Les 700 agents déployés n’ont qu’une mission : prélever une zone de 1500 km² de ces terres habitées depuis des siècles par la population Maassaï pour en faire une nouvelle réserve de chasse. Dès le jour suivant, les forces armées s’installent à cinq endroits différents de la région et y déposent des marqueurs destinés à délimiter la zone. Alors qu’ils quittent le site la nuit tombée, les locaux interviennent pour s’opposer au projet : ils enlèvent les délimitations posées plus tôt et se relayent toute la nuit pour garder leurs terres.
Expulsés à coups d’armes à feu et de machettes
À l’aube, les agents ne reviennent pas seuls : à coups d’armes à feu, de machette et de gaz lacrymogène, ils tentent violemment de déloger la population. Au moins 18 hommes et 13 femmes ont été la cible de coups de feu, rapporte le groupe de réflexion Oakland Institute, tandis que 13 autres individus ont été blessés à coups de machette. Le décès d’un policier a également été confirmé.
Ces expulsions violentes sont intervenues suite à la décision inattendue du gouvernement du commissaire régional d’Arusha : transformer 1 500 km2 de terres villageoises en une réserve de chasse où aucune habitation ni aucun pâturage ne sera autorisés. Au total, le changement d’affectation de la zone impliquerait l’expulsion des villageois d’Oolosokwan, de Oloirien, de Kirtalo et d’Arash, soit jusqu’à 70 000 Maasai indigènes ! Du jamais vu dans l’histoire de ce peuple. Le tout dans un objectif commercial et touristique : répandre la mort dans cet environnement peuplé de nombreux animaux sauvages.
Une procédure totalement illégale
Cette décision est intervenue malgré une injonction de non-agir datant de 2018 de la Cour de justice de l’Afrique de l’Est. Appelée à statuer sur la légalité d’une expulsion des Maassaï de leurs terres ancestrales, la juridiction prononcera son verdict le 22 juin prochain. « Alors qu’une décision finale de l’EACJ est attendue fin juin, le gouvernement est prêt à défier l’injonction du tribunal, à s’emparer de la terre ancestrale des Maasai et à la remettre à la famille royale des Émirats arabes unis pour leurs plaisirs de chasse, indiquant son mépris impitoyable pour ses citoyens, le droit international et une procédure régulière », a regretté Anuradha Mittal, la directrice exécutive de l’Oakland Institute.
Selon le groupe de réflexion, l’action bénéficierait en effet à la société Otterlo Business Company (OBC) basée aux Émirats arabes unis. Spécialisée dans l’organisation d’excursions de chasse pour la famille royale du pays et leurs invités, elle « contrôlerait la chasse commerciale dans la région malgré l’implication passée de l’entreprise dans plusieurs expulsions violentes de Maasai, l’incendie de maisons et le massacre de milliers d’animaux rares dans la région », explique l’institut. En plus du district de Loliondo, le lac Natron, Lokisale, Longido, Mto wa mbu et Kilombero n’autoriseraient bientôt plus les résidents permanents et le pâturage du bétail.
En attendant, « des milliers de Maassaï ont (déjà) fui leurs maisons et se sont enfuis dans la brousse suite à une brutale répression policière », déplore l’ONG Survival International qui travaille en partenariat avec les peuples autochtones pour faire valoir leurs droits territoriaux. Amnesty International se joint à l’appel et dénonce une « expulsion forcée illégale », « choquante par son ampleur et sa brutalité ». Dans son communiqué, l’ONG désignent les autorités tanzaniennes, qui « n’auraient jamais dû attribuer cette zone à une entreprise privée sans consulter au préalable la communauté Maasai, dont les moyens de subsistance dépendent de leur terre ancestrale ».
Un consentement libre, éclairé et informé
En effet, le droit international exige un consentement libre, éclairé et informé des populations autochtones lorsque leurs terres sont réaffectées. Dans un communiqué de presse publié le 15 juin, les experts des droits de l’homme des Nations Unies ont exprimé « de graves préoccupations » concernant l’empiétement continu sur les terres et les logements traditionnels des Maassaï, se disant « profondément alarmés par les informations faisant état d’utilisation de balles réelles et de gaz lacrymogènes par les forces de sécurité tanzaniennes ».
Cette agression policière au service du capital « pourrait mettre en péril la survie physique et culturelle des Maassaï au nom de la « conservation de la nature », du tourisme de safari et de la chasse aux trophées, ignorant la relation que les Maassaï ont traditionnellement entretenue avec leurs terres, territoires et ressources et leur rôle de gérance dans la protection de la biodiversité », concluent-ils avant d’appeler les autorités à cesser les plans de relocalisation et à entamer des discussions pacifiques avec les populations locales.
Colonialisme vert : une menace pour les peuples autochtones
Alors que 80 % de la biodiversité terrestre habite des territoires autochtones, nombreux sont ceux qui souhaitent déloger les populations locales sous couvert de la protection de la Nature. Les aires soit-disant protégées se multiplient, justifiant l’éloignement des peuples autochtones, tout en favorisant un tourisme de luxe à coups de safari et de chasse sportive. Des entreprises surpuissantes travestissent ainsi ainsi les valeurs de l’écologique, la vidant de sa substance sociale, pour faire valider des grands projets commerciaux meurtriers.
Pourtant, Victoria Tauli-Corpuz, Rapporteuse spéciale des Nations Unies, assure que l’intendance et la protection des animaux sauvages du monde sont déjà entre de bonnes mains : « ils (les populations locales) obtiennent des résultats de conservation de la nature au moins équivalents avec seulement une fraction du budget utilisé pour les aires protégées, ce qui fait de l’investissement dans les peuples autochtones eux-mêmes le moyen le plus efficace (…) ».
L’ONG Survival International, qui dénonce les conséquences graves du « colonialisme vert » depuis plusieurs années, appelle à considérer les Maassaï et les autres populations indigènes comme des experts de la biodiversité locale et des partenaires clés dans le domaine de la conservation de la nature.
L. Aendekerk