Les milliardaires ont tous comme point commun de se nourrir du capitalisme et des mécanismes qui peuvent le favoriser. Si certains flirtent avec les idéologies réactionnaires, peu d’individus richissimes ont autant mis leur argent au service d’une extrême droite décomplexée comme le fait Vincent Bolloré. Portrait d’un identitaire et intégriste assumé.
Le natif de Boulogne-Billancourt est sans doute l’une des rares immenses fortunes sur laquelle les médias de masse ne s’extasient pas (mis à part ceux qui lui appartiennent, bien entendu). La raison est simple : il a décidé de soutenir le courant identitaire plutôt que le pouvoir en place.
Un long héritage suivi d’une stratégie néocoloniale
Personne donc pour s’enthousiasmer sur un « self-made man » qui se serait construit tout seul à force de génie et de travail acharné, comme on l’entend habituellement pour toutes les larges fortunes. Il faut dire que, à l’image de tous les autres, Vincent Bolloré a pu compter sur un solide capital de départ. Issue de la grande bourgeoisie bretonne, sa lignée reposait déjà sur un empire du papier à l’aube du XIXe siècle. Cette véritable dynastie lui a, de cette manière, permis d’avoir accès à une prestigieuse éducation en école privée et une situation de naissance plus que confortable. Après avoir débuté par des postes importants chez Rothschild, il a ensuite repris l’affaire familiale avec son frère.
Alors que la vague néolibérale s’abat sur la planète au début des années 80, les pays africains sont poussés par les institutions de Bretton Woods, tels que le FMI ou la banque mondiale, à massivement privatiser leurs infrastructures et leurs terminaux portuaires. Comme l’explique l’Humanité, Vincent Bolloré y voit alors une formidable opportunité et s’engouffre dans la brèche pour poser les jalons d’un empire des transports en Afrique. Étranglés par leurs dettes suite à l’effondrement des prix des matières premières, les États n’hésitent pas à céder leurs biens pour des sommes très abordables pour une grande fortune française.
L’amitié de Bolloré avec plusieurs dirigeants africains permet, de plus, de faciliter les choses. Au total, le groupe est présent dans plus de 40 pays sur le continent. La quasi-totalité du commerce africain s’effectuant par les voies maritimes, le poids de l’entreprise dans les ports lui a conféré une emprise décisive sur les échanges mercantiles locaux. C’est d’ailleurs par ce biais que Vincent Bolloré aura généré l’essentiel de ses revenus.
Une série d’affaires judiciaires
En Afrique, il sera par ailleurs épinglé pour plusieurs affaires judiciaires. Il est ainsi accusé d’avoir violé les droits humains et de ne pas respecter l’environnement. On se doute, de toute façon, que la planète n’est pas la priorité d’un homme qui possède des milliers d’hectares de plantation d’huile de palme. C’est d’ailleurs dans cette activité qu’il est particulièrement visé.
Mais les faits ne s’arrêtent pas là puisqu’il a aussi été mis en cause pour des délits de corruption. Et même s’il a cherché à étouffer le scandale, il a tout de même plaidé coupable afin de pouvoir s’en sortir avec un simple arrangement financier.
Le géant de la communication Havas, dont Bolloré est propriétaire, a ainsi interféré dans deux élections présidentielles au Togo et en Guinée. En sous-facturant ses interventions, le groupe a alors favorisé l’accès de deux de ses amis au pouvoir. En échange, ils lui ont permis de récupérer le contrôle de deux ports importants.
Intégrisme religieux
Cette vision néocoloniale de l’Afrique va, en outre, de pair avec les idées réactionnaires du milliardaire breton. Décrit comme un catholique intégriste, notamment par François Hollande (ce qui n’a pas empêché l’ex-président de favoriser ses affaires en Afrique), la dévotion de l’homme d’affaires le pousse deux fois par semaine jusqu’à la confession auprès d’un prêtre qu’il loge lui-même. Il faut dire qu’il doit avoir beaucoup à se faire pardonner.
Le milliardaire s’exprime rarement directement, mais il a bien fait comprendre ses opinions à travers ses différents canaux de communication. Pour s’opposer à Macron, avec qui il entretient une relation détestable, il a d’ailleurs propulsé la candidature d’Éric Zemmour aux présidentielles de 2022, voyant en lui un parfait relais de ses idées.
Un empire médiatique et réactionnaire
Mais outre cette concrétisation politique par le biais du parti Reconquête, Bolloré peut largement véhiculer ses principes à travers la galaxie médiatique qu’il s’est bâtie. Si auparavant la quasi-intégralité de l’information de masse était acquise au néolibéralisme traditionnel, avec Bolloré, on a maintenant le droit à une flopée de canaux réactionnaires.
Il a, par exemple, mis la main sur le groupe Canal dont font partie CNEWS et C8 qui relaient très régulièrement une parole d’extrême droite, notamment dans les émissions de Cyril Hanouna. Enfin, sa puissance de frappe s’étend aussi à la radio (Europe 1) mais également dans l’édition (Editis, Hachette…) ainsi que par l’intermédiaire de l’entreprise de communication Havas.
Élargir la fenêtre d’Overton
L’objectif de tous ces efforts pour Bolloré est assez simple : tirer la droite française vers l’extrême droite jusqu’à leur fusion. Propulser sur le devant de la scène un extrémiste comme Zemmour permet, de plus, de faire paraître Marine Le Pen plus raisonnable, alors qu’elle est pourtant tout aussi dangereuse.
En popularisant des idées réactionnaires et en les martelant par le biais de ses médias, Bolloré exerce de même une influence sur la droite traditionnelle et libérale. On a ainsi pu le constater chez LR qui a choisi de mettre Éric Ciotti à sa tête. Et il faut bien avouer qu’il est très difficile de voir la différence entre les thèses de ce dernier et celles d’Éric Zemmour.
Du côté d’Emmanuel Macron aussi, s’opère un virage de plus en plus à droite, notamment par l’intermédiaire de Gérald Darmanin qui aurait sans aucun doute sa place au Rassemblement National. Si personne ne se décide à légiférer sur la mainmise de Vincent Bolloré sur les médias, le résultat risque d’être un retour brutal en arrière. D’autant plus que le gouvernement continue de jouer avec le feu en diabolisant la gauche et en offrant une nouvelle respectabilité à l’extrême droite.
– Simon Verdière
Photo de couverture : Table ronde « OSER : l’Ingénieur, créateur et développeur d’entreprises » : Vincent Bolloré, président du groupe Bolloré et Élisabeth Borne (X81), président-directeur général de la RATP. COLLOQUE Jeudi 10 décembre 2015 « IMAGINER, PARTAGER, OSER » LES MULTIPLES FACETTES ET RESPONSABILITÉS SOCIALES DE L’INGÉNIEUR. Ecole polytechnique Université Paris-Saclay. Wikicommons