On a souvent dénoncé les aspects antidémocratiques de nos institutions qui concentrent l’essentiel du pouvoir sur le président de la République. On parle en revanche assez peu des préfets qui détiennent pourtant une autorité immense et qui n’ont, de plus, aucune légitimité populaire.

De nombreux manifestants ont pu constater la grande capacité de nuisance des préfets pour bloquer des mouvements de protestations à l’échelle locale. Mais ce fut aussi le cas lors de la crise sanitaire où des décisions parfois ubuesques étaient prises par les préfectures sans aucune concertation avec les populations.

Des agents de la préfecture de police de Paris en tenue de cérémonie surveillent la cérémonie du jour de la Victoire en Europe le 8 mai 2015 à Paris. Les officiers en tenue de cérémonie portent la fourragère rouge de la préfecture de police de Paris. Wikicommons.

Un héritage napoléonien

À l’origine, les préfets sont mis en place par Napoléon Bonaparte en 1800. À l’époque, il s’agit de rompre avec la République révolutionnaire, qui ne reconnaissait que le peuple comme souverain, et renouer avec la politique centralisée de la monarchie. En maillant le territoire de fonctionnaires aux ordres, l’empereur peut ainsi plus facilement lever les impôts et mater les révoltes au niveau local.

Le système est même bien plus avantageux que sous l’ancien régime, puisque le chef de l’État n’est plus encombré par les multitudes de nobles et de bourgeois qui empiétaient sur le pouvoir du roi, mais il a en plus la main sur l’intégralité du pays grâce aux fidèles préfets.

Le système arrange tellement les régimes successifs qu’il ne sera pas remis en cause avant près de deux cents ans. Le XIXe siècle connaîtra pourtant bon nombre de bouleversement politique : restauration, révolution, empire, république… Aucun ne supprimera la fonction de préfet. Et même s’ils perdent un peu de leur pouvoir avec la chute de Napoléon III, il faudra attendre le quinquennat de François Mitterrand et 1982 pour voir une véritable décentralisation.

Le relais du pouvoir

Malgré cette dose de décentralisation qui redonne un peu des pouvoirs aux élus, les préfets restent encore aujourd’hui un symbole de l’administration française et de son manque de démocratie. C’est d’abord leur mode de désignation qui pose question, puisqu’ils sont choisis, non pas par les citoyens, mais par le gouvernement.

Les préfets de départements sont même révocables à tout instant par le président, ce qui a pour conséquence de les soumettre entièrement à l’État. C’est bien ce qui est arrivé récemment à une préfète qui déplaisait à l’Élysée. L’existence de ces fonctionnaires n’a de toute façon pas d’autres buts : ils sont un relais du pouvoir et ne doivent pas dévier un seul instant de la ligne gouvernementale. Ils n’ont d’ailleurs ni droit de grève ni la possibilité de se syndiquer.

Pour se consoler, il faut dire que les préfets bénéficient d’une rémunération plus que confortable. En moyenne, ils perçoivent ainsi 8000 € par mois. À cela, on peut sans doute ajouter des bonus au rendement. En 2010, Le Parisien annonçait que ces primes pouvaient grimper jusqu’à 66 000 € par an. De quoi motiver à être bien obéissant…

Un pouvoir considérable

Pour autant, ils disposent malgré tout de compétences assez considérables à l’échelle locale. Ils sont chargés de la mise en œuvre de la loi et de l’organisation des élections. C’est par leur biais que s’appliquent les décrets du gouvernement. Des mesures qui ne sont donc votées par personne, mais qui entrent tout de même en vigueur grâce aux arrêtés préfectoraux.

Par ailleurs, certaines décisions semblent être prises de manière plus arbitraire. On a vu par exemple récemment le préfet de Côte-d’Or interdire une manifestation avec casseroles à Dijon. Même chose dans l’Hérault où Emmanuel Macron se rendait peu après la promulgation de la réforme des retraites.

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Le préfet a aussi sous sa responsabilité la police locale, les pompiers et la délivrance des pièces d’identité, ou encore des titres de séjour. Il donne également toute sorte d’autorisations : des permis de conduire et cartes grises, permis de chasse, permis de construire, etc.

Des places pour les amis

Au-delà de ces pouvoirs immenses, d’autres scandales ont entaché la profession. De nombreux médias se sont ainsi fait l’écho de l’existence de préfets fantômes. Pour les remercier pour services rendus, les présidents français ont pris l’habitude de nommer leurs proches collaborateurs à la préfecture.

Seulement, il n’existe pas un nombre de places illimitées, et il y a parfois des embouteillages. Certains sont ainsi nommés préfets « hors cadre ». Concrètement, ces fonctionnaires sont sans affectation et sont donc payés à rester chez eux. Pire encore, il suffit d’occuper ce poste quelques mois pour bénéficier de ses avantages à vie. En 2019, une enquête de BFM révélait que sur les 257 membres du corps préfectoral, la moitié disposait de ce statut.

Un souhait de démocratie

On l’aura compris, les préfets détiennent la vie de nombreuses personnes entre leurs mains. Si le fonctionnement de l’administration française semble effectivement indispensable, on pourrait tout de même souhaiter plus de démocratie en son sein.

Comment accepter que le gouvernement et ses administrateurs disposent de droits de décret avec une possibilité de s’appliquer immédiatement sans concertation avec personne ? La pilule passe d’autant moins quand les « ordres » viennent d’individus qui n’ont été élus par personne. Un relent de monarchie qui pourrait ne plus être toléré encore longtemps, d’autant plus dans notre système déjà bien peu consultatif.

– Simon Verdière


Photo de couverture : Manif’ contre la loi sécurité globale à Paris et lutte contre la précarité » à Paris en novembre 2020. Les pancartes désignent Didier Lallement, préfet de Paris, réputé pour ses consignes de forte répression à l’égard des gilets jaunes, des personnes migrantes et des manifestants. Source : Wikicommons. 

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