Il suffit d’un sourire pour la découvrir : la noix de bétel, rouge vif, imprimée sur les lèvres et les dents des Papouans-Néo-Guinéens. Chiquer, mâcher, cracher, c’est ici un passe-temps national. Et pourtant, ce fruit une vraie bombe à retardement pour la santé du pays et sa propreté publique…
La noix de bétel, connue comme « buai » en Papouasie-Nouvelle-Guinée, est le fruit du palmier d’Areca. Massivement cultivée dans certaines parties du pays, cette noix peu connue des occidentaux est vendue à tous les coins de rue, sur les marchés, aux bords des routes, le spectacle est impressionnant ! C’est sans doute l’un des « petits boulots » les plus répandus ici, comme nous l’explique Josiah, dans la ville côtière de Madang : « Je les achète au marché et je les revends ici, ça me fait un bon petit salaire. On mâche ça tous les jours et tout le temps pour rester en forme, sinon la vie paraît ennuyeuse ! »
Depuis des milliers d’années, pour certaines populations d’Asie et du Pacifique, consommer inlassablement ce fruit est une tradition ancienne devenue peu à peu un mode de vie à part entière. Ici, en « PNG » comme ils disent, c’est la couleur locale et cela fait partie intégrante de la culture : on y goûte dès le plus jeune âge et une grande partie de la population y est carrément « addict ».
Dans le bus du coin nous menant vers les Highlands, Paul tient à nous faire la démonstration. Comme il se doit, il croque la noix de bétel et la mélange dans un coin de sa bouche avec une racine (que les locaux appellent moutarde, « Daka ») et une poudre blanche (« Kambang », à base de coquillage et de corail). La réaction chimique ne se fait pas attendre, la pâte devient rouge vif dans la bouche : « J’en chique une vingtaine par jour ! J’habite dans la montagne, la noix de bétel ne pousse pas chez nous, il fait trop froid. Les vendeurs des Highlands font la route régulièrement pour s’en procurer sur la côte. Il y a des bus entiers chaque jour. Chez nous, on en a besoin pour stimuler le corps, nous réchauffer. »
Et le « spit » ne tardera pas. Le cocktail fait saliver, les consommateurs passent leur temps à cracher une purée rouge dans les rues et par la fenêtre des voitures. Avec la généralisation de sa consommation, les villes et villages sont tapissés de spitures rougeâtres. Mais la sensation de bien-être, la chaleur, l’effet stimulant et euphorique ressentis sont à ce prix. « On adore ça », insiste Iven dans la salle d’attente d’un aéroport. « C’est tout rouge, on doit cracher, c’est un peu sale, mais ça fait partie de notre culture, on a grandi avec la noix de bétel ».
Et pourtant l’alerte sanitaire est sans ambiguïté. Avec la popularité grandissante de la noix, et une consommation souvent outre-mesures (un peu à l’image du tabac en occident), le nombre de cancer de la bouche est en hausse permanente faisant de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, pour l’OMS, le pays le plus touché par ce cancer dans le monde. C’est le tueur n°1 dans le pays et l’agence internationale de recherche sur le cancer confirme l’aspect cancérigène de cette pratique.
Dans un reportage de la BBC, le Dr Yvonne Sapuri, dit diagnostiquer deux nouveaux cas chaque semaine dans son hôpital de l’île de Nouvelle-Bretagne. « Nos statistiques ne sont pas très précises et beaucoup de cas ne sont pas diagnostiqués. J’ai remarqué une forte augmentation du nombre de patients suspectés de cancer avec des lésions de la bouche ». Et l’arécoline contenue dans la noix a un pouvoir aussi addictif que la nicotine sur le cerveau humain.
Dernier risque et non des moindres, la prolifération de crachats rend non seulement les rues visuellement sales mais participe directement à la propagation de la tuberculose dans les villes et les campagnes, une maladie pandémique en Papouasie-Nouvelle-Guinée avec 30.000 nouveaux cas chaque année.
Alors, faut-il que le gouvernement lutte contre l’abus de noix de bétel ? Une chose est certaine, c’est désormais un débat national dans le pays. De passage dans un petit village de montagne, dans la maison en bambou de Bughs et Francesca, les locaux semblent mitigés sur la problématique et la religion met les pieds dans le plat. Elle chique, mais lui a décidé d’arrêter : « Ma religion l’interdit désormais. En plus, ça me brûlait la bouche à la longue. Et puis, quand je vois les gens sourire, je trouve que ça ne donne pas un beau sourire, on doit donner un beau sourire brillant pour faire du bien aux autres » estime-t-il.
Après l’interdiction de 2013 (levée en 2017) dans la région de la capitale de Port Moresby, et même si la décision est impopulaire, une nouvelle interdiction est dans l’air. D’autant que le pays s’apprête à accueillir en novembre le sommet de l’APEC, la coopération économique pour l’Asie-Pacifique. Les autorités veulent montrer la PNG sous ses plus belles couleurs. Elles tentent donc d’éduquer les citoyens à cracher dans des poubelles prévues à cet effet ou des petits sachets plutôt que dans les lieux publics. Un véritable tour de force.
Car décision des autorités est très sensible, non seulement la population très pauvre adore sa noix vendue pour quelques cents, mais elle fait vivre aussi des milliers de petits producteurs et de vendeurs ruraux. Le business de la noix est en effet très lucratif, il a été estimé à quelques 500.000 euros par semaine rien que dans la capitale.
L’instauration d’un « No Betel Nut Day » (un jour sans noix de bétel) a ainsi pour objectif d’aider à sensibiliser et assainir le magnifique sourire de cette population du bout du monde, et éventuellement faire reculer les cas de cancers.
– Pascale Sury & Mr Mondialisation
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