Cet été, le monde entier a assisté impuissant à ces milliers de kilomètres carrés de forêt amazonienne partant en fumée, principalement au Brésil mais également en Bolivie, en Afrique et en Sibérie. Au delà de la crise environnementale évidente, la situation a entraîné la cristallisation de certaines tensions politiques, apportant une dimension géopolitique à l’évènement. Bien que désastreuses pour le patrimoine mondial, les conséquences de ces feux semblent plus qu’opportunes aux yeux de certains. En effet, ces terres « non rentables » attirent les convoitises de promoteurs divers dans un pays en quête désespérée de croissance et de modernisation. À l’entrée dans l’automne, il est déjà possible de dresser un bilan provisoire et d’anticiper les conséquences, qui, par effet domino, ne seront pas seulement locales. Retour sur une crise écologique aux multiples facettes.

Nous le savons, l’Amazonie est mal en point. Depuis l’élection de Jair Bolsonaro en janvier 2019, le poumon de la planète se voit de plus en plus malmené, avec entre janvier et juillet une augmentation de plus de 50% de déforestation par rapport à l’année passée selon les chiffres de l’INPE (Institut National de Recherche Spatiale du Brésil), soit environ 6800 Km2. Mais il serait hasardeux de ne parler que de superficie et de chiffres, car les régions touchées par ces incendies sont particulièrement riches en biodiversité, donc sensibles. Longtemps considérés comme économiquement inutiles, les incendies semblent aujourd’hui tout à fait opportuns au sein d’un agenda d’industrialisation et de développement économique ; à tel point que certains questionnent avec raison l’origine de ces feux dévastateurs.

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Interrogé sur la question, le ministre de l’environnement Brésilien Ricardo Salles peine à convaincre : il impute la catastrophe à un temps sec, des vents forts et des chaleurs exceptionnellement intenses. Bref, la conjoncture… C’était notamment le cas en 2010 lorsque le phénomène météorologique El Niño causa une saison très sèche, expliquant des incendies spectaculaires et largement plus importants que ceux que l’Amazonie connaît cette année. Cependant, aucune explication climatique ne peut justifier les évènements actuels : la saison a été plutôt douce et pas particulièrement sèche dans la région. D’après Paulo Moutinho (écologiste à l’institut de recherche environnementale en l’Amazonie) : si la météo avait été similaire à celle de l’été 2010, les conséquences auraient été tragiques. Dans la tragédie, on semble encore avoir échappé au pire de justesse.

Pour Paulo Artaxo, physicien de l’atmosphère à l’université de Sao Paulo, les explications du ministre de l’environnement brésilien ne tiennent pas. Interrogé par Herton Escobar pour le magazine Science, ce dernier soulève des éléments troublants. En effets, les feux semblent initialement suivre la frontière agricole selon un schéma typique d’incendies d’origine humaine. Historiquement, les feux sont en effet intimement liés à la déforestation agricole. D’abord, les tronçonneuses dégrossissent la végétation, puis les flammes anéantissent l’excès de végétation restant. L’espace est enfin rendu disponible pour l’élevage ou des cultures. Cependant, le risque de propagation des flammes et de perte de contrôle est considérable, ce qui fait que la pratique, appelée brûlis, est illégale pendant l’été. Malgré cela, ces méthodes sont largement répandues, le gouvernement étant impuissant ou – pour certains – complaisant. Ce qui serait a fortiori le cas depuis l’élection de Bolsonaro comme le soulignent les chiffres.

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En effet, ces derniers parlent d’eux-mêmes : la déforestation a bondi de plus de 50% par rapport à l’an passé sur la même période, idem pour le nombre de foyers d’incendie. Ils étaient autour de 22 000 en 2018 contre plus de 41 000 cette année, recensés le samedi 24 août dernier. Cette tendance est confirmée par le Global Fire Emission Database, ONG qui comporte des chercheurs de tous horizons : du centre de la NASA à Greenbelt, de l’Université de Californie à Irvine ou encore de l’université de Vrije à Amsterdam. Leurs estimations sont établies à partir d’images satellites fournies par les appareils Terra et Aqua, qui sont capables par spectroradiométrie de détecter des signatures thermiques et donc d’éventuels foyers d’incendies. Selon ces méthodes d’estimation, les spécialistes sont globalement d’accord sur le nombre de départ de feux sus-cité.

Quelles conséquences sur l’environnement ?

Concrètement, les conséquences de ces incendies s’échelonneront sur plusieurs échéances. On peut déjà constater les dégâts sur la faune et la flore locale. À l’heure de la 6ème extinction de masse où des espèces disparaissent à un rythme jusqu’à 114 fois plus rapide que la moyenne et où l’UICN recense près de 100 000 espèces menacées, les ravages en Amazonie sont particulièrement catastrophiques. En effet, cette région du monde concentre à elle seule près de 10% de la biodiversité mondiale, avec notamment 40 000 espèces de plantes et 30% des espèces d’insectes ; ainsi que des espèces endémiques, c’est à dire que l’on ne retrouve qu’à cet endroit du monde. Pris au piège par les flammes, les animaux incapables de s’échapper ont été condamnés à une mort par asphyxie ou par le feu, n’épargnant ni oiseaux ni poissons. Les premiers animaux touchés sont évidemment les rampants tels que les lézards ou les serpents, bien trop lents pour échapper aux flammes, parmi lesquels les dégâts sont colossaux.

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À moyen et long terme, c’est l’équilibre entier de l’écosystème qui est menacé, localement et à plus grande échelle. Comme le dit William Magnuson à National Geographic, indirectement, aucun être vivant n’est ici adapté pour survivre aux incendies en Amazonie, contrairement à l’Australie où les feux naturels sont plus fréquents. En l’occurrence, l’Amazonie n’a pas brûlé sévèrement entre notre ère et des centaines de milliers – voire des millions – d’années plus tôt. La résilience face à ce genre d’évènement est donc très faible, et les cicatrices seront visibles très longtemps. Par exemple, on sait que ces incendies ont provoqué un changement temporaire de température et de pH des cours d’eau, ce qui perturbera la vie locale mais également toute celle en aval jusqu’aux océans. Les cendres affecteront la composition chimique de l’eau par lessivage pendant une durée indéterminée pour le moment.

La disparition de la canopée va également changer la température au sol : cette dernière avait un rôle de régulation des rayonnements du soleil. Le flux d’énergie est donc perturbé ce qui pourrait avoir des conséquences en cascade sur toute la chaîne alimentaire d’après Mazeika Sullivan, Professeur à l’Ohio State University’s School of Environment and Natural Resources et spécialiste de la forêt amazonienne.

Sur le plan atmosphérique, la production de suie et d’aérosols ainsi que la grande quantité de CO2 dégagée sont susceptibles d’interférer avec la météo de la région, mais également de l’Amérique du sud plus généralement. En effet, il a été démontré que la forêt amazonienne agit comme un climatiseur et humidificateur géant. Elle permettrait de réguler l’humidité de l’air et sa température sur une très large surface. Par conséquent, les retombées climatiques à court et moyen termes pourront s’avérer lourdes pour toute la région et se devront d’être surveillées par les scientifiques.

Quelles conséquences sur les populations humaines ?

Tout aussi impactées sont les populations indigènes, dont certaines ont lutté activement contre la propagation des flammes au péril de leur vie. Au delà du danger immédiat des flammes, les dégagements de fumées, contenant entre autres des particules fines et du monoxyde de carbone provoquant tout un panel de complications respiratoires au sein de ces communautés. C’est notamment le cas de la tribu des Karitiana, qui comporte 500 membres et qui vivent à environ 90 kilomètres de la ville de Porto Velho. Les principaux touchés sont les personnes âgées et les enfants. Parmi les symptômes : maux de gorge, toux, saignements de nez, grippes… Conséquence collatérale, cette tribu a vu ses territoires de chasse et de pêche diminuer comme une peau de chagrin. Les conséquences ne sont donc pas seulement sanitaires, mais également économiques et sociales. « Si [la forêt, ndlr] disparaît, on n’a plus à manger. On y trouve nos médicaments, nos plantes, c’est la base de notre médecine traditionnelle Vous qui venez d’autres mondes, aidez-nous ! La forêt, c’est notre maison. » exprimait Valdemar, 68 ans et membre de la tribu, à France Info il y a peu. En mettant en danger leurs pratiques de chasse et pêche, c’est toute leur culture et leur histoire qui sont menacées.

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Mais les populations urbaines n’ont pas été plus épargnées. Le 19 août dernier, la ville de Sao Paulo s’est vue plongée dans le noir tandis qu’une pluie grisâtre chargée de particules fines s’abattait. C’est d’ailleurs ce symptôme très visible qui a généré l’alerte sur les réseaux sociaux. Comme pour les tribus indigènes, les enfants et les individus sensibles n’ont pas été épargnés par les maladies respiratoires.

Au profit de qui ?

Nous l’avons vu plus haut, ces incendies nuisent aux populations et à l’écosystème. Cependant, une large partie de ces feux semble avoir une origine humaine comme le laisse entendre sans détour Paulo Artaxo. Qui donc a intérêt à voir partir en fumée des hectares de forêt amazonienne, au détriment de la biodiversité et même de la santé humaine ? Il ne faudra pas chercher bien loin.

Depuis le début de sa campagne, le président Jair Bolsonaro élu en janvier 2019 n’a jamais caché son mépris pour l’environnement et pour les populations autochtones. Dans son programme, il promettait la suppression du ministère de l’environnement et la construction d’une nouvelle autoroute transamazonienne. Dédaignant les ONG, il envisageait également d’ouvrir certaines zones protégées à l’exploitation minière, et ne manquait pas une occasion de cracher sur la COP 21 qui ne serait selon lui qu’une mascarade visant à déposséder le Brésil de sa légitimité sur la forêt. Une fois élu, c’est en toute cohérence qu’il place Ricardo Salles au gouvernement, avocat d’affaire proches de grosses entreprises, dans le but de promouvoir un programme anti-environnement. Le mot d’ordre est simple : booster la croissance économique du pays coûte que coûte, et convertir autant que possible les espaces non rentables en terres exploitables. Il n’y a même pas de secret.

De récents documents publiés par le site Open Democracy révèlent ses projets plus en détail. On y apprend notamment que Bolsonaro entend bloquer le projet « Triple A » qui vise à créer un corridor transamazonien passant par les Andes pour rejoindre l’Atlantique, au profit de projets de développement (autoroutes, ponts, centrale hydrolique…). Par ailleurs, le président n’a jamais caché sa proximité avec les lobbies alimentaires. Il est en effet associé au lobby représentant les intérêts des plus puissants propriétaires terriens Brésiliens : la bancada ruralista, ce dernier étant lui même membre du mouvement BBB (Boeuf, Balles, Bible), lobby ayant le plus d’influence au congrès et regroupant les différentes puissances agroalimentaires, militaires et évangélistes. Sa vision est ouvertement industrialiste, axée sur la croissance économique et la productivité. Avec Bolsonaro, on peut considérer que ces lobbies sont directement au pouvoir. Il n’est donc pas surprenant de constater la hausse de la déforestation drastique depuis les dernières élections.

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En effet, le besoin en terres arables est en constante augmentation. Sur les 10 dernières années, la surface de culture du soja – à destination des élevages – a augmenté de près de 59%, représentant 30% de la production agricole totale du pays. Or d’après le WWF, 70% de la production de soja mondiale est utilisée pour l’élevage de bétail, élevage qui lui-même ne cesse d’augmenter. Et ce soja « bovin » n’est PAS nécessairement un sous-produit de l’industrie alimentaire comment certains le prétendent. Près d’un steak sur cinq consommé dans le monde provient du Brésil. Par exemple, la multinationale brésilienne JBS représenterait à elle seule un quart du marché mondiale du boeuf, et est impliquée dans différents scandales de corruption d’hommes politiques et liée à des pratiques de déforestation illégale. On peut supposer que cette entreprise fait partie des grands gagnants de la situation actuelle, parmi d’autres.

La demande en viande ne cessant d’augmenter dans le monde, notamment dans des pays comme la Chine ou la Russie, on se trouve face à un véritable cercle vicieux : plus de viande à produire implique plus de production de soja, et donc nécessite plus de terres et fatalement, moins de forêt amazonienne. L’humanité dans son ensemble et l’environnement sont perdants, mais une poignées de riches promoteurs, propriétaires terriens et hommes politiques y trouvent leur compte au mépris du moyen et long terme. On peut ensuite compter sur une armée de communicants et d’influenceurs pour maintenir l’idée que cette folie est justifiable et acceptable.

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« Vous préférez vraiment les hamburgers à l’oxygène ? »

En considérant ces éléments, tout pointe du doigt un seul et unique responsable : l’Homme et sa soif de profit. Pourtant, et avec un culot qui n’est pas sans rappeler celui de Donald Trump, Jair Bolsonaro n’hésite pas à qualifier les ONG de « menteuses », niant les évidences et les faits ; ces derniers étant incompatibles avec ses projets de développement économique et promesses électorales. S’ajoutant à son déni Orwellien, il ira jusqu’à refuser dans un premier temps l’aide économique du G7 s’élevant à plus de 18 millions d’euros à la suite d’une guerre d’ego avec Emmanuel Macron via réseaux sociaux interposés… Il finira cependant par consentir à cette aide sous la pression internationale, mais sous conditions.

Dans cette tragédie, une lueur d’espoir est pourtant permise : tout ce CO2 dégagé s’inscrit dans le cycle du carbone. Il sera donc possible de le recapturer avec des gestions forestières adéquates – et non pas aveugle – à moyen terme, sous réserve de volonté politique. Laquelle découle directement de mobilisations citoyennes locales mais également internationales. Alors que la région aura besoin de siècles pour se restaurer d’après les spécialistes, le point de non-retour n’est pas encore atteint et reste une fine marge de manœuvre pour inverser la tendance. Le drame de cet été fut d’une rare ampleur, notamment sur le plan de la médiatisation. Mais les dégâts restent étonnamment moins importants que les évènements de l’été 2010 qui avaient été bien plus dévastateurs mais moins médiatisés. Cependant, il faut bien plus d’une année pour que la nature puisse s’en remettre. Chaque grand incendie s’ajoute ainsi à un bilan écologique négatif.

Pour certains, le meilleur moyen de ne pas contribuer à la déforestation reste de consommer le plus local possible et de limiter sa consommation de denrées issues de monocultures destructrices telles que l’huile de palme. Aujourd’hui, c’est une évidence pour tout le monde. Mais cette logique reporte une fois encore la responsabilité sur le dos du consommateur qui ne « consommerait pas assez bien » alors que les industriels et les structures qui fondent nos sociétés restent inchangées et continuent de produire comme avant. Changer notre manière de consommer est-il vraiment plus efficace qu’un bulletin de vote ? Le cas « Bolsonaro » semble démontrer l’inverse, même si les petits gestes restent la base de tout engagement. Si les puissants ne changent pas les règles du jeu, les industriels dansent en toute liberté au rythme des flammes qui ont ravagé l’Amazonie cet été.

Emeric Mahé


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