Il y a quelques mois, nous vous partagions la colère de Jean-Claude Nouard, ex-forestier. Il dénonçait la destruction en catimini des forêts françaises, un fléau d’autant plus inquiétant qu’il passe inaperçu. En effet, sur le papier, les hectares de forêt paraissent bel et bien augmenter. De quoi se rassurer. Sauf qu’à la lueur du réel, ces étendues feuillues se révèlent telles qu’elles sont vraiment : des rangées de plantations sans vie, sans avenir, caricaturales. La mal-forestation est un véritable danger pour l’écosystème français. Mais à l’indignation et les luttes, succède parfois le besoin de (re)contempler la vie simple, qui persiste. Dans une parenthèse vitale, Jean-Claude Nouard a donc décidé de nous renvoyer aux origines de son amour pour les arbres, à travers les spécimens les plus remarquables de sa région natale. Retour aux source.
Les luttes, même les plus urgentes, requièrent des temps calmes de remémoration. C’est qu’à se battre contre les dissonances contemporaines, on en oublierait presque les doux retentissements de l’harmonie pour lesquels on s’est un jour soulevés. Pourquoi défendre les forêts anciennes ? Pourquoi protéger l’intégrité des arbres ? Pourquoi ces écosystèmes boisés méritent-ils toute notre attention ?
Jean-Claude Nouard, délesté des arguments rationalistes qu’il sollicite habituellement pour SOS Forêt Dordogne, préfère cette fois-ci nous montrer : Cèdre de Lanmary, Chêne de Monsec, Ginkgo biloba de la « Rebière d’Or », Tilleuls de Trémolat, Séquoias géants du « Jardin des Moines », Pins de boulange,… Il signe avec Arbres vénérables de nos régions une immersion privilégiée aux côtés des spécimens remarquables d’Aquitaine, ceux qui l’ont – du moins – marqué au cœur. Car un arbre « remarquable » l’est pour ses particularités hors-normes sur le plan biologique, géographique, morphologique, esthétique ou historique, mais finalement, aussi et beaucoup, pour sa capacité à nous bouleverser.
Prenant le contrepied de la dévalorisation forestière, Arbres vénérables de nos régions nous accorde ainsi le plaisir d’une promenade consolative au fil des rencontres les plus spectaculaires et sonne, dès lors, comme une ultime invitation à se réveiller ; vite, mais en douceur…
Redécouvrir l’arbre pour mieux protéger la forêt
« L’arbre est un être vivant qui appartient à la famille des plantes, un terme générique qui regroupe tout ce qui vit en étant fixé aux sols grâce à un système racinaire. En tant que tel, l’arbre est capable de se nourrir, de respirer, de grandir et de se reproduire »
L’arbre est un être vivant. Mais l’arbre n’est pas un être mortel, nous explique notre guide. Si nous sommes biologiquement limités, programmés pour croître puis dépérir, l’arbre, lui, « échapperait au processus de sénescence à l’origine du vieillissement » précise-t-il. Leur mort n’est donc jamais due qu’à des interventions extérieures : météorologiques d’origine naturelle, bien sûr, mais dans des proportions qui dépassent l’entendement, humaines, surtout.
Urbanisation, bétonisation, incendies, coupes rases, exploitations, monocultures, pollution, tassements industriels, pesticides, effets du dérèglement climatique… représentent autant de morts subites qui viennent rompre la temporalité des arbres, leur éternité. Toutefois, quand ils parviennent à défier le sort auquel notre époque les a condamnés, leur longévité devient le théâtre d’un gigantisme au sein duquel se dessinent mille et unes particularités : ces individus sont « remarquables ».
Laissés à leurs existences, ils ont pu révéler toute l’étendue de leur nature. Et, quoique regrettable, la rareté de cette liberté de devenir, voire d’aboutir, les a rendus exceptionnels. C’est le cas, expose Jean-Claude Nouard, du « houx royal de Tasmanie qui serait âgé de 43 000 ans » ou encore, rapporte-t-il, de « la colonie clonale de peupliers faux-trembles de l’ouest des Etats-Unis dans l’Utah, qui est constituée de quarante mille arbres tous issus de la même racine et donc considérés comme un individu unique » lui conférant le statut de plus grand organisme vivant de la planète, âgé par ailleurs de 80 000 ans.
Aussi, ces individus incarnent-ils un précieux témoignage du temps qui s’écoule comme des capacités du Vivant à se révéler à travers lui. Et Arbres vénérables de nos régions laisse non seulement défiler d’humbles photographies de ces vieilles âmes, mais offre surtout l’occasion d’apprécier leurs secrets. Petit aperçu…
Focus sur le « Magnolia à grandes fleurs de Saint-Léon-sur-Vézère en Dordogne »
Les géants qui ont patiemment traversé l’histoire ont beaucoup à nous apprendre sur la résilience du Vivant. Alors que des millénaires d’évolution naturelle sont en péril à chaque soubresaut capitaliste, l’ancien forestier souhaite donner à voir ce que nous sommes précisément en train de perdre, ces essences emportées par les dérives de notre siècle. Parmi elles, le Magnolia à grandes fleurs de Saint-Léon-sur-Vézère…
L’histoire de cet arbre est touchante. Et elle commence ainsi : « Cet arbre est peu visible, car confiné dans la cour de l’école, juste derrière la mairie, en plein centre bourg ». Puis le passionné de nous expliquer que cet individu de douze mètres de haut est d’autant plus remarquable qu’il a survécu aux transformations radicales de son environnement et de son accès aux éléments, comme le soleil partiellement caché par la construction des bâtiments scolaires, et l’eau, retenue par le goudronnage du sol.
L’écrivain poursuit son récit : « Cet arbre, selon les « anciens » de la commune aurait été planté à l’occasion du centenaire de la Révolution français en 1889. Il serait donc âgé de 132 ans… ».
Enfin, Jean-Claude Nouard s’émeut. Il s’agit, conclue-t-il, d’« un arbre qui, compte tenu de son actuel état sanitaire, continuera encore longtemps à veiller sur les récréations des enfants de cette commune, inscrivant ainsi dans ses cernes, outre son âge, l’histoire de ce village ».
Ancien forestier, Jean-Claude Nouard se transforme ici en conteur. Un conteur qui se révèle, en outre, également artiste. S’il a su expliquer les arbres en tant qu’expert, qu’il sait raconter les arbres à travers la narration et la photographie, il en peint également l’essence. La dernière partie du livre est ainsi consacrée à la découverte de ses œuvres, autre moyen de rendre toute leur préciosité à l’existence exceptionnelle de ces individus et de clore une balade inspirante.
« « Vénérables »… tels sont les arbres historiques et hors des sentiers battus racontés et photographiés par Jean-Claude Nouard qui se veut volontairement intimiste »
C’est ainsi qu’ils apparaissent comme autant de rencontres uniques, chargées d’histoire, d’anecdotes, de caractéristiques et, plus important, d’émotions. Celles de l’auteur, celles que nous leurs prêtons, que nous y projetons et qui les remplissent de notre résonance, comme nous nous imprégnons des leurs.
Cette dimension sensible, c’est ce qui a poussé l’ancien forestier à requalifier ces arbres de « vénérables ». Car plus encore que remarquables, ils sont dignes d’estime et de respect. Et si la Nature ne connaît pas ces mots, elle en reconnaît les intentions, ou ses effets vertueux. Quant à nous, ils correspondent à ce que notre condition et notre langage aurait de plus juste à leur offrir.
Arbres vénérables de nos régions, Jean-Claude Nouard, éditions Métive, à se procurer en librairie indépendante.
– S.H.
« Ce que les arbres nous murmurent », l’autre publication de Jean-Claude Nouard sur la mal-forestation : https://mrmondialisation.org/ce-que-les-arbres-nous-murmurent-la-colere-dun-ancien-forestier/
Pour aller plus loin en podcast : https://www.francebleu.fr/culture/livres/decouvrez-les-abres-venerables-de-nos-regions-avec-l-ouvrage-de-jean-claude-nouard-1637077516
Enquête sur la forêt française par la chaîne Partager c’est Sympa : https://www.youtube.com/watch?v=YgNfzRLGmCY&ab_channel=PartagerC%27estSympa