Alors que la conscience écologique prend une ampleur inespérée dans nos sociétés et fait peu à peu évoluer nos lois, la Famille Missionnaire de Notre-Dame, une communauté religieuse traditionaliste, a décidé de construire une basilique au cœur du parc régional des monts d’Ardèche, sur les rives de la Bourges. En plus d’être classée PNR, cette région abrite également des espèces protégées. Il semble ainsi impensable qu’un tel projet – synonyme d’artificialisation des sols, de destruction de la biodiversité, de pollution et de puisage de l’eau dans un contexte de raréfaction – se réalise et pourtant, l’État a accordé un permis de construire à la congrégation alors même que des informations primordiales y ont été passées sous silence, voire faussées.
Le projet est passé en catimini et la construction a déjà débuté. Suite à une vive opposition de toutes parts, la préfecture a décidé de mettre en pause les travaux jusqu’au mois d’octobre. Mais la partie est loin d’être gagnée pour les opposants. Qui plus est, au-delà de l’impact environnemental du projet de construction, de nombreuses interrogations tournent aujourd’hui autour de son financement et de l’impact de celui-ci sur le contribuable mais aussi des procédés anti-démocratiques auxquels recourt la famille missionnaire qui, selon les témoignages, s’adonnerait également à des dérives sectaires apparentes. Enquête sur le terrain.
L’histoire commence à Saint-Pierre-de-Colombier, un petit village ardéchois de moins de 400 habitants, situé sur les rives de la Bourges. On y trouve la fameuse statue de Notre-Dame-des-Neiges, bénie en 1946 par l’évêque de Viviers qui autorisera la même année la création de l’organisation religieuse catholique portant le nom de Famille Missionnaire de Notre-Dame-des-Neiges (rebaptisée ensuite « Famille Missionnaire de Notre-Dame »). Peu à peu, la communauté religieuse se développe, pas seulement en Ardèche mais également dans de nombreuses villes du territoire français, en Allemagne et à Rome. Alors qu’elle acquiert chaque jour davantage d’influence, elle souhaite élaborer un site pour accueillir les pèlerins venant prier à Saint-Pierre-de-Colombier. L’idée est de construire une basilique, un bâtiment d’accueil, une aire de retournement pour les cars et une passerelle pour les piétons au-dessus de la rivière. Le complexe géant est prévu pour accueillir 3 500 personnes.
La FMND (Famille Missionnaire de Notre-Dame) fait une demande de permis de construire qui est acceptée et les travaux débutent le 2 mai 2019. Une vive opposition se forme dans la région donnant naissance au collectif citoyen « Stop Basilique », rebaptisé ensuite « Les ami.es de la Bourges ». Pendant un an, il organise notamment des rencontres, la diffusion d’informations et des rassemblements destinés à dénoncer le projet, certains marqués par la présence d’activistes d’Extinction Rébellion. Pour cause, le dossier du projet est marqué de manquements importants, dénoncés par beaucoup comme étant volontaires. Parmi ces « oublis », dans le formulaire de demande de dispense d’étude d’impact environnemental adressé à la DREAL en 2018 (« Demande d’examen au cas par cas préalable à la réalisation éventuelle d’une évaluation environnementale »), la FMND indique que le site ne se trouve pas dans un parc naturel régional.
Sur le site d’un collectif, « Pour notre vallée, la Bourges ! », créé récemment par la communauté religieuse et dont le nom rappelle curieusement celui d’une association qui lui est opposée, celle-ci indique qu’il ne s’agit pas d’une fraude mais d’une « une erreur, comme il peut y en avoir (et il y en a très peu), dans un dossier aussi volumineux. ». En supposant que cela soit vrai, on ne parle pourtant pas ici de la construction d’une simple cabane mais d’un immense complexe, entre autres, dont l’impact promet d’être considérable. Cela ne nécessiterait-il pas de s’attarder sur de tels « détails » ? Tandis que la charte du parc naturel des Monts d’Ardèche se retrouve complètement bafouée, la FMND affirme que si la case avait été cochée, cela n’aurait « rien changé ».
Pourtant, un autre détail, loin d’être anodin, ressort également du formulaire adressé à la DREAL. Sylvain Herenguel, co-président de l’association « Pour l’avenir de la vallée de la Bourges » et membre du collectif informel « Les Ami.e.s de la Bourges » s’indigne : « Ils indiquent qu’ils ne sont pas dans un parc naturel et que les travaux ne porteront pas atteinte à la biodiversité alors même qu’ils possèdent une étude environnementale qu’ils joignent à la demande, où il est déclaré formellement que le site abrite des espèces protégées. » En effet, en 2017, la FMND obtient les conclusions d’une étude qui indique bel et bien que l’on trouve dans la région des animaux tels que la loutre, le castor, le sonneur à ventre jaune, mais aussi de nombreux oiseaux, insectes et plantes endémiques dont les enjeux de conservations sont très importants.
« La destruction ou l’altération des espèces protégées ou de leurs habitats nécessite un arrêté préfectoral, voire un arrêté ministériel dans le cas de la loutre » poursuit Sylvain Herenguel, « ces travaux sont donc illégaux au regard du droit de l’environnement. » Ce projet de construction est également non conforme à la directive européenne « habitats ». Contactée par nos soins, la FMND n’a pas souhaité répondre aux questions concernant ces manquements sur le permis de construire, nous priant de nous rendre sur leur site, sur le blog de leur collectif et sur le site de la préfecture pour y trouver les informations voulues, déclarant au passage que la communauté essaie d’y « donner, en toute transparence, tous les éléments ». Aucune information toutefois sur les espèces protégées.
« L’Homme est Fou. il vénère un dieu invisible et massacre une nature visible, inconscient que cette nature qu’il massacre est ce dieu qu’il vénère. »
Une première victoire, toutefois incertaine, face à une construction forcée
Face à ces informations capitales, le collectif Les ami.es de la Bourges a tenté d’attaquer la FMND sur le plan juridique. Cependant, le délai de 2 mois après l’obtention du permis de construire ayant déjà été écoulé à ce moment-là, la congrégation n’était plus attaquable en justice sur le plan urbanistique. Tout ayant été réalisé dans la plus haute discrétion, les citoyens n’ont pris connaissance de ce projet et des manquements liés à celui-ci que trop tard pour pouvoir espérer faire annuler le permis de construire. Pendant plusieurs mois, la préfète de l’Ardèche, Françoise Souliman a été sollicitée à maintes reprises par le collectif Les ami.es de la Bourges sans que celui-ci n’obtienne une quelconque réponse, et ce même après que les membres aient contacté le ministère de l’Intérieur et celui de la Transition écologique.
Tout a basculé le 13 juin 2020, date d’une action de désobéissance civile sur le chantier à Saint-Pierre-de-Colombier. Une zone à défendre s’est formée, composée essentiellement d’habitants locaux. Nicolas Torre, porte-parole actuel de la ZAD (les rôles pouvant changer au fur et à mesure des actions menées par le groupe qui précise ne pas avoir de leader), nous raconte que le but était de faire un appel médiatique national afin de se donner des chances dans la lutte contre ce projet en sachant que l’affaire avait jusque-là si peu attiré l’attention que beaucoup d’habitants « ne se sont rendus compte que les travaux commençaient que lorsqu’ils ont vu les grues débarquer ». Le jeune homme précise que cette action, que les militants ont qualifié de « mouvement d’initiative citoyenne spontanée » avant que la presse ne lui accorde le titre de ZAD, n’était en aucun cas une question de convictions religieuses mais de préservation de la vallée contre tout projet de construction pouvant lui nuire.
Le mouvement était principalement mené par « des jeunes du coin qui sont rentrés sans effraction par les bois puis sont restés sur place, sans causer aucun dégât » témoigne le porte-parole des militants, « il fallait que ce soit pacifiste, non violent, sans dégradations. Des points sur lesquels on a souhaité insister. On a même nettoyé le site avant de partir car ce qui est important dans notre action et notre combat, c’est la dimension écologique. » Des habitants de la vallée sont venus soutenir les zadistes, leur apportant à manger, à boire, des chaises et des tentes. Selon Nicolas, « il semblerait que mis à part les membres de la famille missionnaire, tous les habitants du village étaient opposés à ce projet de construction. » Une belle preuve de solidarité pour la sauvegarde du vivant.
L’affaire a finalement attiré l’attention de la préfète de l’Ardèche qui s’est rendue sur place. Au bout de deux jours « des camions du PSIG ont été envoyés pour déloger les zadistes pacifistes. Soixante agents pour 11 jeunes enchaînés à la passerelle en sachant que les 40 autres personnes étaient déjà parties du site parce que la préfète leur avait donné 24H pour ce faire. » témoigne le porte-parole.
Cependant, l’affaire a été très médiatisée et des élus sont intervenus, dont François Jacquart, conseiller régional du PCF et Michèle Rivasi, députée européenne, membre d’Europe Écologie Les Verts qui s’évertue aujourd’hui de faire intervenir la Commission européenne. Cette action de désobéissance civile aura également permis de faire en sorte que Françoise Souliman accepte enfin de recevoir les opposants au projet de construction qui souhaitaient comprendre pourquoi celui-ci a été réalisé dans l’ombre mais aussi pourquoi il n’y a pas eu d’étude d’impact environnemental ni d’information citoyenne au préalable.
La faute de l’État a finalement été reconnue et les travaux ont été suspendus jusqu’au mois d’octobre. Selon le porte-parole des zadistes, la presse vante l’initiative de la Famille Missionnaire de stopper le chantier par sensibilité environnementale « alors que l’on sait qu’ils n’en ont rien à faire et que le but était simplement de se faire bien voir du public. » Par ailleurs, d’après le communiqué de presse du 5 juillet 2020 des ami.es de la bourges, contrairement à ce qui a été promis au cours de la première réunion du 16 juin 2020, la préfecture a finalement décidé, lors de la seconde réunion, le 1er juillet, de ne pas réaliser d’étude d’impact environnemental « pour l’instant ». Il a suffi de moins de deux semaines à la préfète pour retourner sa veste et décider de former un « groupe de travail » dont les participants incluent des techniciens des services de l’État, du Conseil départemental et du Parc naturel régional, sans oublier quelques représentants de la Famille Missionnaire de Notre-Dame. Les opposants ne sont pas conviés à y participer.
Pourtant, un manque cruel d’information domine ce projet qui, en plus des interrogations précédentes, mène à se questionner également sur « l’acheminement de l’eau alors que les sources du village commencent à se tarir en fin d’été. Il y a aussi la question de l’évacuation, celle des infrastructures routières, de l’emplacement des piles de la passerelle en sachant qu’en automne, la rivière est soumise à des crues impressionnantes… Il est possible qu’il y ait également des manquements à ce niveau-là. Il y a énormément de zones d’ombre et il faut une étude d’impact environnemental conséquente, la plus indépendante possible, sur une durée d’un an minimum. » explique Sylvain Herenguel qui pense que « ce groupe de travail n’est là que pour noyer le poisson. Ce n’est pas un groupe indépendant puisque quasiment toutes les parties prenantes ont participé à la validation du permis de construire. L’enjeu va être de savoir s’ils vont mandater une enquête d’impact environnemental à l’issue de ces trois mois ou alors s’ils vont décider de reprendre les travaux sans cette étude. Si cette dernière option est reprise par la préfète, je pense que cela risque vraiment de mettre le feu aux poudres. »
Quid du bien-fondé du financement ? Un impact sur le contribuable ?
Dans cette affaire, on trouve des zones d’ombre à la pelle et le financement du projet n’échappe pas à la règle, étant également baigné de mystères et d’incohérences. Pour essayer de tirer tout cela au clair, nous avons discuté avec François Jacquart, conseiller régional de l’Ardèche, soutenant l’opposition au projet de la FMND. Pour lui, l’importance de l’impact écologique est primordiale mais il a toutefois décidé d’aborder l’affaire sous un autre angle car « ce projet qui est contesté et contestable à juste titre sur des questions environnementales est également une vraie interrogation financière. »
Tout d’abord, selon la Famille Missionnaire de Notre-Dame, le chantier est entièrement financé par des dons. La FMND étant une congrégation religieuse, comme pour tout autre organisme agréé, ses donateurs bénéficient de réductions d’impôt à hauteur de 66 % des dons versés. En sachant que le coût du projet se situe entre 18 et 21 millions d’euros, cette défiscalisation constitue déjà un manque à gagner conséquent en termes d’impôts pour un chantier pour lequel le contribuable n’a jamais été consulté. Et ce n’est pas tout. Il faut ajouter à cela que si l’État reconnaît bel et bien la faute et que le permis de construire est annulé, en sachant que des travaux ont déjà été engagés, il est possible que ce soit à lui de remettre en état les lieux et de dédommager la FMND alors que celle-ci gardera les dons déjà perçus. Cela signifie que quoi qu’il arrive, les citoyens français auront financé, au moins en partie, un projet réalisé dans l’opacité, sans respect des règles et sans concertation démocratique avec de nombreuses parties concernées.
Selon François Jacquart, « l’État ne peut pas se dédouaner dans cette affaire parce que même si la Famille Missionnaire n’a pas coché les bonnes cases, c’était à l’État de vérifier car c’est lui qui accorde le permis de construire. » L’élu a ainsi décidé de faire appel au ministère de l’Intérieur : « J’ai interpellé le ministre des cultes, M. Castaner, afin de lui demander des clarifications sur les montages financiers. Parce que le pire serait d’indemniser un montage financier qui de fait, n’existe pas. Qui dit que la FMND dispose de la somme nécessaire pour pouvoir financer les travaux ? » La somme perçue annoncée pour le projet aurait jusqu’ici atteint 6 millions d’euros. Ainsi, le doute persiste pour les 12 ou 14 millions restants et « la réponse de la Famille Missionnaire en arrivant à la préfecture est que Dieu les aidera. »
D’après le conseiller régional, les deux issues possibles si le chantier s’arrête sont soit la reconnaissance de la faute par l’État, engendrant probablement une indemnisation de la FMND, soit une décision de justice qui condamnerait la Famille Missionnaire de Notre-Dame. En fin de compte, «peut être que l’État aurait intérêt à ce qu’il y ait des démarches en justice ? ». Dans tous les cas, la question financière est aujourd’hui prégnante. C’est pourquoi la FMND a créé un collectif favorable au projet dont les membres sont notamment les artisans qui prennent part au chantier, disant que l’arrêt de celui-ci leur serait coûteux et engendrerait des licenciements. Pourtant, obtenir des informations sur le montage financier est impératif pour pouvoir protéger les artisans, de même que les collectivités locales.
Daniel Calichon, co-président (avec Sylvain Herenguel) de l’association « Pour l’avenir de la vallée de la Bourges » et membre également du collectif « Les ami.es de la Bourges », s’interroge aussi sur la provenance des dons reçus par la FMND : « Alors que l’Église souffre de problèmes financiers à cause de la crise du Covid-19, eux, l’argent, ils le trouvent sans problème. C’est soi-disant la providence. Mais d’où vient cet argent ? » En ce qui concerne les derniers endroits où la communauté a décidé de s’implanter, il ne s’agit aucunement de quartiers populaires ou de lieux où vivent des personnes dans le besoin. « Ils ont choisi des villes telles que Biarritz, Sainte-Maxime ou encore Cannes… » poursuit Daniel Calichon. Des villes connues notamment pour être le lieu de vie de personnes très fortunées. Doit-on pour autant en tirer des conclusions ? Probablement pas. Mais il faudrait être aveugle pour ne pas constater qu’il y a là anguille sous roche.
Comme un air de sectarisme ?
Il s’agit-là de la seconde question posée au ministère de l’Intérieur : Se situe-t-on dans une dérive sectaire ? Existe-t-il un certain nombre de contributeurs forcés ? « En sachant qu’il s’agit d’une association qui bénéficie de dons de déduction fiscale, il est normal que le ministère de l’Intérieur se préoccupe du montage financier, de la manière dont il a été fait et de la provenance des fonds. » poursuit le conseiller régional, « Je suis un élu, je pose des questions. Je suis ni juge, ni au ministère de l’Intérieur donc je pose des questions parce que j’estime qu’il s’agit-là d’un enjeu important pour le territoire avec des répercussions sur les citoyens, en tant que contribuables. » D’après la réponse du ministère de l’Intérieur à François Jacquart, des équipes sont actuellement en train de mener une investigation.
D’autre part, la Famille Missionnaire de Notre-Dame a changé plusieurs fois sa communication au regard du projet de construction. Au départ qualifié de « basilique » , le terme qualifiant l’édifice est ensuite passé à « église » puis enfin, « chapelle » (sans modification architecturale). Des changements d’apparence anodine qui mènent toutefois à se poser des questions. Pour Daniel Calichon, « la différence sémantique n’est pas tout à fait innocente ». En effet, la construction d’une basilique nécessite l’accord du Pape en personne. Celui-ci n’a donc pas été obtenu. La construction d’une église, quant à elle, requiert l’accord du diocèse et dans le cas présent, l’évêque de Viviers ne l’a pas donné. Ce pourquoi le bâtiment – dont la taille n’en demeurera pas moins colossale alors que sa construction doit se faire sur les derniers terrains plats près de la rivière – a finalement été rebaptisé modestement chapelle. Pour cause, il s’agit d’un édifice qui ne requiert pas d’approbation d’une quelconque autorité religieuse. Une basilique non-autorisée, camouflée en chapelle ? La manœuvre pose question.
De son côté, la FMND n’a pas réussi à se justifier : « C’est quelque chose, je pense, qui nous a été demandé au niveau de l’Église, ce n’est pas quelque chose qui est demandé au niveau de l’État… Ce n’est pas quelque chose qui en fait, concerne le problème que l’on a sur le sujet. » a répondu l’interlocutrice, hésitante. On constate ainsi en effet que les membres de la FMND « ne sont jamais très clairs dans leurs propos, ils prennent une parcelle de vérité et l’accommodent à leur sauce, ils roulent tout le monde dans la farine. » comme en témoigne Daniel Calichon.
La FMND est qualifiée de traditionaliste, voire même intégriste selon certaines personnes. Éducation liberticide des enfants, opposition à la contraception et à l’avortement, opinion tranchée sur les homosexuels qu’elle considère comme malades, ayant pour mission de les soigner… Sans parler des prières diffusées sur haut parleur dans le village certains après-midis. Quid des principes de laïcité ? Pour les militants, il ne s’agit pas là du fondement du mouvement d’opposition contre ce projet de construction mais ce sont des choses qui semblent poser problème depuis de nombreuses années à d’autres habitants du village. Village que la FMND tenterait graduellement de s’approprier en rachetant en masse des résidences au prix fort.
« Pour parler du fanatisme de ces gens-là, ce qui m’a le plus choqué c’est leur apparent besoin d’expansion. » nous confie le porte-parole des zadistes, « Quand j’étais dans le bureau de la préfète, le père Bernard m’a regardé et m’a dit, selon mes souvenirs : « Mais vous savez, je comprends que dans cette petite province, cela puisse poser problème si jamais on s’installe et on devient de plus en plus nombreux. Mais rassurez-vous, quand on aura pris les autres provinces autour, ça ira mieux… ». Le silence s’est imposé dans la salle où l’atmosphère était pour le moins tendue. Les policiers se sont échangés un regard et la préfète, quant à elle, est restée impassible et silencieuse, continuant de fixer les documents qu’elle avait sous les yeux. Il en était de même pour le maire. C’était une scène choquante. » Pourtant, l’opposition au projet n’est en aucun cas fondée sur le côté religieux, mais sur la dimension écologique, légale et financière.
Quid de la démocratie ?
Dans le village de Saint-Pierre-de-Colombier, 397 personnes sont inscrites sur les listes électorales et parmi elles, 118 font partie de la Famille Missionnaire de Notre-Dame. Cela signifie que c’est la congrégation religieuse qui pèse le plus dans les élections. Pourtant, selon certains habitants du village seuls une trentaine de membres de la FMND y vivraient réellement durant l’année même si bien plus sont inscrits au presbytère et viennent voter aux élections municipales. D’après les témoignages, le maire au pouvoir depuis 2001 serait entièrement au service de la FMND, étant « sourd, muet et aveugle quand il s’agit de la communauté ». Pour François Jacquart, « on peut se poser des questions sur la légitimité de la présence de certaines personnes sur la liste électorale. » Cependant, il demeure « difficile de prouver quoi que ce soit sans la présence permanente d’un huissier. »
Ce qui est certain, c’est que cette congrégation a une l’influence importante sur le territoire et pas seulement à Saint-Pierre-de-Colombier, mais aussi sur les communes environnantes. On peut prendre l’exemple « du petit village de Burzet, où pendant des années il a fallu se battre pour maintenir une école publique, face à une école privée ultra-privilégiée par les équipes municipales précédentes. Il a fallu que l’État intervienne pour faire respecter les principes de la laïcité » raconte François Jacquart. « Quand on creuse un peu sur ce territoire, automatiquement, on découvre que ces questions-là de prégnance, de jeu d’influence et d’influence politique existent depuis plusieurs dizaines d’années ». En achetant des bâtiments, des lieux etc., la FMND est ainsi parvenue à s’implanter dans le but de peser durablement sur la société et la vie politique locales. Cela a par ailleurs induit la mort progressive de certains commerces locaux transformant peu à peu Saint-Pierre-de-Colombier en village fantôme.
Selon François Jacquart, il est aujourd’hui primordial que l’État fasse respecter les principes de la laïcité. Si on apprenait qu’il y existe des démarches publiques qui favorisent la Famille Missionnaire de Notre-Dame, cela serait d’une extrême gravité pour la République et la laïcité. Il semblerait pourtant bien aujourd’hui qu’il y ait au moins une certaine complaisance de la part des services de l’État à l’encontre de la FMND. Qu’il s’agisse du permis de construire rapidement accepté ou plus généralement de la congrégation religieuse, les éléments douteux ne cessent de se multiplier.
Pour Daniel Calichon, « il n’y a plus de démocratie dans ce village. La laïcité n’est pas respectée. Ces gens-là font quasiment ce qu’ils veulent. L’opposition est ignorée et peut même être humiliée par les religieux. » Les deux co-présidents de l’association « Pour l’avenir de la vallée de la Bourges », de même que d’autres personnes opposées au projet, sont régulièrement insultés et menacés par des soutiens de la FMND et des membres de la communauté qui ne supportent pas qu’on leur mette des bâtons dans les roues, suscitant la peur de certains habitants du village. En 2001, un article de Libération dénonçait déjà des atteintes à la démocratie par la FMND. Les soutiens de cette communauté réactionnaire semblent sans surprise venir de l’extrême droite[1],[2], toujours en quête d’élargissement de son électorat à travers le spectre religieux.
L’influence du catholicisme traditionaliste en Ardèche ne date pas d’hier et concerne bien d’autres villages que celui de Saint-Pierre-de-Colombier. Pour François Jacquart, le département vit encore aujourd’hui sous les soubresauts des guerres de religion et autres évènements similaires. « La situation est particulière sur ce territoire et il faut que le principe de laïcité l’emporte. »
Article et photographies réalisés par Elena M.
Vous pouvez également participer au financement des actions en justice menées par l’association « Pour l’avenir de la vallée de la Bourges » sur le site helloasso.
Pour exprimer vos éventuels ressentis à la préfecture de l’Ardèche qui a validé le projet, retrouvez ses coordonnées ici. Pour ce qui est de la Famille Missionnaire de Notre-Dame, rendez-vous sur sa page Facebook ou sur la page contact de son site web.