Louis-Philippe Loncke, aventurier et explorateur belge, fête ses 10 ans d’expéditions. Il a parcouru des milliers de kilomètres à pied, en autonomie dans des déserts ou en kayak sur des rivières et lacs afin de documenter et exposer la pollution des eaux et leur raréfaction dans les différentes régions du globe. Entretien avec celui que les Australiens appellent le Crazy Belgian (le Belge Fou) depuis qu’il a commencé ses premières expéditions. Il a répondu à nos questions…


Ingénieur, Louis-Philippe travaille comme consultant, mais ce qui l’anime depuis 10 ans, c’est une curiosité intense pour les terres inexplorées où presque personne n’a été. Nombre de ses aventures et expéditions sont demeurées inédites. Tantôt à pied, tantôt en kayak, préférant toujours le déplacement écologique, il découvre et inspire avec pour fil conducteur la protection de l’eau. Fin 2015, il réussit la première traversée de la Vallée de la Mort à pied, en autonomie complète et hors sentiers. Le Belge évite le macadam et les sentiers balisés pour se sentir au plus proche de la nature. Une tranche de vie inspirante qu’il partage avec nous.

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Beaucoup de « voyages inspirants » sont médiatisés sur internet. Quelle est la différence entre l’aventurier que vous représentez et l’explorateur ?

L’aventure est une entreprise à risque. Le risque vient de la probabilité que quelque chose ne se passe pas bien, pas comme prévu. Dans le cas d’une expédition, on peut casser du matériel, échouer le premier jour, avoir un blessé ou, pire : un décès. L’aventurier prend donc des risques qui sont relativement grands. On est loin du voyage sac au dos ou du baroudeur en Afrique. J’ai évidemment commencé comme cela. L’aventure commence lorsqu’on fait quelque chose que même les locaux ne font pas, que l’on sort clairement de sa zone de confort ou que le voyage a une certaine durée et donc le risque augmente.

Attention, ce ne sont pas des qualificatifs mais bien un métier, un choix de vie. L’explorateur revient d’une expédition avec un enseignement scientifique au-delà de la photo et du film sauf s’il documente un lieu où peu d’hommes sont allés. Il ne doit pas forcément prendre des risques ou se mettre en danger pour cela. J’ai fait des expéditions tantôt sans risque, tantôt avec de grands risques et que j’ai la chance d’être en vie pour raconter, sans jamais avoir été trop mal en point à la fin. Enfin, les traversées de désert en autonomie complète sont encore assez récentes et rares. Je parle évidemment de routes à pied non effectuées par les nomades ou en 4×4.

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Votre « aventure » a donc débuté de manière plus classique ! …

Tout a commencé en 2004, un voyage d’un an de baroudage en Océanie : Australie, Nouvelle-Zélande, Fidji, Polynésie et Nouvelle-Calédonie. Pas de travail, seulement l’impératif de me lever à 7h et d’arrêter au soir tombant de visiter et découvrir. J’ai acheté une voiture, mon matos de plongée et randonnée et j’allais plonger seul ou en groupe, puis j’enchaînais avec des visites culturelles et de longues randonnées de plusieurs jours. 45 000km en voiture, 2000km à pied et 100 plongées plus tard, retour au pays et grande exposition de 200 photos à Lille au siège du Décathlon. Un fiasco car inconnu et aucune idée quant à la médiatisation d’un événement. Pas de réseaux sociaux à l’époque non plus.

Une seule bonne rencontre, une organisatrice de Connaissance du Monde et quelques semaines plus tard je rencontrais Sylvain Tesson qui m’encouragea à continuer car je lui parlais de projets plus ambitieux et l’envie de retourner en Australie pendant un an, à partir de février 2006. C’est à ce moment-là que sur place, j’ai commencé à planifier en détail mon premier trek en autonomie dans l’Outback australien.

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Comment choisissez-vous vos projets et destinations ? Et pourquoi seul ?

Hormis deux expéditions – opportunité intéressante – où j’ai rejoint une équipe, j’ai simplement été inspiré par quelques photos d’endroits qui m’attiraient plus que d’autres. Je pars d’abord pour moi, pour voir de mes propres yeux un superbe paysage, prendre des belles photos et si possible de la vidéo. Je suis boulimique et j’ai besoin m’immerger pendant plusieurs jours ou semaines dans l’endroit visité. Le seul moyen possible passe par le challenge en parcourant une grande distance en un minimum de temps. Et pour que cela soit moins cher logistiquement, dans le cas des déserts, je dois tout transporter avec moi. Un dépôt de vivres ou largage aérien coûte cher ou est impossible.

Je ne choisis que des expéditions non-motorisées. À pied on est lent, en kayak aussi. Seul, on ne parle pas et « on est moins nombreux », cela permet d’approcher la faune de manière tranquille avec peu de stress pour l’animal sauvage. C’est un privilège qui est à double tranchant car le pire qui me soit arrivé est de me faire chasser par 14 dromadaires. J’ai eu très peur et de la chance, il n’y a pas eu de contact physique. Ces animaux sont très dangereux et peuvent tuer : ce sont eux qui décident.

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Qu’est-ce qui vous pousse à prendre autant de risques ? N’avez vous pas « peur » comme tout le monde ?

Plus le risque est grand, plus la récompense d’immersion et d’apprentissage est grande. La solitude ne me fait presque plus rien, je m’y suis habitué peu à peu. On emmène avec soi ses problèmes, son questionnement sur soi, sur les défis de notre société. Lorsqu’on marche seul, jusqu’à 20 heures par jour parfois, on a le temps de réfléchir même si on ne trouve pas forcément de réponses, mais ce qui est clair c’est qu’à la fin de sa traversée physique et morale d’un désert, on en ressort grandi avec un sentiment d’avoir été épargné et de vouloir faire le bien autour de soi. En tous cas, c’est déjà pas mal de se poser des questions et de passer de nos problèmes d’Occidentaux au simple souci de ce dont on a besoin pour survivre.

J’ai évidemment peur : le stress est quasi constant, surtout que mon ouïe est très fine et chaque bruit nouveau est source d’anxiété. Mais cela fonctionne comme une aspirine, mon seuil augmente avec l’expérience et lorsque c’est fini, cela fait du bien. Je n’ai plus peur d’avoir peur : c’est ce que m’apporte l’expérience. Je sais que les premiers jours sont difficiles car tout est nouveau et ensuite la difficulté morale diminuée, le physique se fatigue et impacte sur la santé morale et sur le cognitif. C’est un domaine qui m’intéresse (comment le cerveau craque, quand et pourquoi) et j’ai participé à un programme étudiant cela avec une psychologue scientifique basée à Paris. J’étais son cobaye du stress et nous avons appris mais pas encore assez. Pour cela il faut continuer à traverser des déserts.

En tous cas, cela fait du bien de se confronter à la nature, qui nous remet à notre place, de se sentir comme un petit humain qui n’a rien à faire dans cet environnement extrême et qui est content de retrouver les siens. L’homme est un animal social, les relations avec l’autre, le partage sont les sources du bonheur.

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En dépit de 10 ans d’aventures, il n’existe pas de film ou de livre retraçant vos expériences. Ces supports peuvent pourtant permettre de faire passer certains messages importants à la société…

Oui, c’est exact. Malheureusement pour moi, après 10 ans, je n’ai encore aucun film de monté complètement. Il faut deux éléments pour faire un documentaire de qualité : des bons contacts et de l’argent. Le tout vient avec la notoriété qui n’est pas encore au rendez-vous. Pour l’instant, je cherche du travail afin de pouvoir financer moi-même cela. L’objectif est de commencer par le montage du documentaire Death Valley Trek (une première mondiale) et dès que j’ai du temps, j’aimerais rassembler mes notes et écrire le premier livre sur mes expéditions en Australie.

Parlons justement de cette fameuse Vallée de la Mort. Quelle expérience en retenez-vous ? En quoi est-ce une première mondiale ?

L’objectif est de traverser du point le plus au nord au point le plus au sud du Death Valley National Park. L’autonomie complète est le défi pour repousser une limite et surtout prouver que c’est possible. Un Américain avait déjà fait deux tentatives, en tirant une charrette, ce qui est interdit dans le parc national mais il est riche et il peut payer une amende éventuelle. En tant qu’étranger, c’est moins évident et je n’ai pas fait de repérage. J’ai pris le pari de tout prendre dans le sac à dos, 43kg dont 26,5 litres d’eau et de viser 6 jours pour faire les 243km. J’ai mis 8 jours mais j’ai réussi en ayant parfois très chaud. Les rangers m’ont confirmé que personne n’avait réussi ce défi avant moi.

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Ce trek ne s’est évidemment pas fait en plein été. En juillet, on monte jusqu’à 55°C, ce qui en fait le point le plus chaud de la planète. Je réfléchis à la faisabilité de ce trek en plein été, le défi ultime qui est très dangereux. Seul, tomber inconscient et c’est la mort assurée en deux heures. En tous cas quel superbe endroit : les paysages, les roches, les sables changent tous les 20km. Un régal pour les yeux. Et puis j’ai eu la chance de trouver un métate indien qui sert à moudre le grain. J’attends qu’un archéologue aille étudier le site et me dise de quel siècle date cette pierre.

D’autres expéditions de prévues dans l’immédiat ?

Oui, j’ai commencé à en parler plus sur Facebook et mon site. Je compte retourner dans le cœur mort de l’Australie, le désert de Simpson. Je l’ai traversé sur sa longueur en 2008 et là je veux faire une traversée extrême : tout dans le sac à dos et sans charrette. Aller le plus loin possible. Le message est clair : si je survis avec 3-4 litres d’eau par jour en faisant un effort mental et physique intense, on peut tous à notre niveau diminuer notre consommation individuelle de 20-50%. On consomme 150-200 litres par personne et par jour en Europe. Aux États-Unis et en Australie, dans certaines régions c’est le double ou le triple. Il est grand temps de tous faire un effort. Ensuite, vers Octobre je voudrais retenter de traverser en autonomie complète les deux grands salars boliviens, Uyuni et Coipasa. J’ai échoué en 2013, je veux retenter et continuer à apprendre.


Source : Interview de Louis-Philippe Loncke par mrmondialisation.org / Photographies : Louis-Philippe Loncke / Facebook

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