Coline Fay, Iséroise de 26 ans, a été placée en détention au Sénégal. Son emprisonnement du 24 novembre dernier fait suite à son arrestation lors d’un rassemblement – pacifique tout du long – devant la Cour Suprême à Dakar le 17 novembre, en soutien à Ousmane Sonko. Ce dernier, principal opposant du régime autoritaire sénégalais, est menacé d’interdiction de se présenter aux élections présidentielles de 2024. Etat des lieux ponctué d’un récit personnel, au regard du lien d’amitié existant entre Coline et l’auteur de cet article.
Montée de l’autoritarisme dans le Sénégal de Macky Sall
Les prochaines élections présidentielles en février 2024 cristallisent toutes les tensions au Sénégal. Le pouvoir en place, incarné par l’actuel président (depuis 2012) Macky Sall, craint un changement de cap politique avec la potentielle victoire d’Ousmane Sonko et de son parti Pastef (Les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité) dans les prochains mois.
Le parti d’opposition refuse tout étiquetage idéologique et prétend défendre l’intérêt du peuple, en misant sur un programme politique centré sur la souveraineté économique du pays et son projet d’industrialisation ; mais aussi le panafricanisme et l’indépendance monétaire vis-à-vis de la France. En effet, Pastef se veut extrêmement critique du système actuel et souhaite mettre fin “au pillage des ressources, au clientélisme” et plus globalement à l’incompétence du gouvernement sur le plan économique et social.
L’impopularité de l’actuel président se ressent au sein de la société civile et particulièrement de la jeunesse, qui dénoncent les abus du gouvernement, ses violentes répressions, des fonds publics insuffisants et de nombreux problèmes économiques.
Selon le média Setanal, une tribune de 141 journalistes sénégalais s’est même insurgée contre une 3ème candidature de Macky Sall :
“nous n’avons pas à couvrir dans nos médias de nouvelles scènes de violences en estimant n’y être pour rien. Il nous faut anticiper et prendre nos responsabilités […] Il nous faut sortir de ce laxisme coupable”.
Les arrestations à répétition d’Ousmane Sonko puis son emprisonnement (notamment inculpé d’ “appel à l’insurection”), et plus globalement la détention de nombreux militant.es de l’opposition (appelés “détenus d’opinion”) dont des dirigeants du parti Pastef, apparaissent clairement comme des manœuvres politiques antidémocratiques et criminelles d’intense répression.
Toujours selon le média Setanal, « le Sénégal compterait encore plus de 1 000 prisonniers d’opinion » sur la base des rapports d’organisations et associations « qui veillent aux droits de l’homme », notamment suite aux révoltes insurrectionnels de juin 2023.
Le député de l’opposition Guy Marius Sagna accuse sur TV5 Monde le gouvernement de pratiques autoritaires dignes de dictature. En effet, depuis le 12 mai 2023, Macky Sall interdit systématiquement toutes les manifestations.
Il ajoute que près de 100 manifestants auraient été tués par le pouvoir en place, de nombreux corps torturés et plus de 1500 détenus pour motifs politiques. Le 27 octobre 2023, une marche des partis de l’opposition a été de nouveau autorisée. Un mois plus tard, la répression continue de sévir malgré tout, on en veut pour preuve la scandaleuse arrestation et détention de la ressortissante française Coline Fay.
Face à ces gravissimes et violentes manœuvres de répression, Juan Branco (avocat d’Ousmane Sonko) a déposé une plainte en France contre Macky Sall ainsi qu’une demande d’enquête à la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye pour “crimes contre l’humanité”.
Détention de Coline Fay
Coline a été arrêtée puis conduite au commissariat le 17 novembre suite au rassemblement devant la Cour Suprême à Dakar, plus haute instance judiciaire du pays où se jouait en amont le sort des prochaines présidentielles. En effet, la Cour Suprême devait se prononcer sur l’éventuelle radiation ou non d’Ousmane Sonko des listes électorales. Malgré le caractère pacifique du rassemblement, Coline subit à son tour la répression politique arbitraire du gouvernement Sall.
Le 24 novembre, la militante a été transférée en prison et encourt la perpétuité ;
alors que Juan Branco sonne l’alerte : “Arrêtée pour avoir demandé des élections libres et non faussées. Encourant perpétuité pour avoir manifesté.”
Avant son transfert au Sénégal, Coline Fay a noué des liens dans l’action non-violente, notamment au sein du mouvement Extinction Rebellion Granada en Espagne, qui a annoncé le 27 novembre avoir démarré une campagne de soutien pour Coline. Au vu du silence radio des médias et politiques français (et espagnols, ndlr : Coline a vécu plusieurs années en Espagne), la transmission d’informations de la part de ses ami.es activistes s’est relevée indispensable. Lire ci-dessous le contexte qu’iels ont partagé.
« La militante écologiste et anticolonialiste Coline Fay, une citoyenne française de 26 ans, a été arrêtée au Sénégal pour avoir participé à une manifestation pacifique le 17 novembre. Elle encourt la réclusion à perpétuité. L’incrimination ? « Association de malfaiteurs terroristes ; complicité contre l’autorité de l’État, actes ou manœuvres de nature à compromettre la sécurité de l’Etat ». La manifestation, pacifique à tout moment, avait été convoquée pour soutenir Ousmane Sonko, l’un des principaux opposants au gouvernement sénégalais. La manifestation défendait le droit de Sonko à se présenter à une élection. Sa famille ne dispose pas de beaucoup plus d’informations et le gouvernement français garde le silence ».
Grève de la faim entamée
Pour Ousmane Sonko, le combat dure depuis des mois, des années même ; le pouvoir cherche à tout prix à l’éliminer de la course à la présidentielle. Pour se défendre, l’opposant s’est même mis en grève de la faim, d’abord cet été en réponse à son arrestation fin juillet. Sa grève a été interrompue suite à la détérioration de son état de santé et son admission en service de réanimation hospitalier. De nouveau transféré en prison, il a repris sa grève de la faim, avant que son état de santé ne se dégrade à nouveau. Le 23 octobre, il tombe dans le coma et reprend connaissance dans un état très faible.
Coline, quant à elle, arrêtée le 17 novembre devant la Cour Suprême de Dakar, est originaire de Claix près de Grenoble et a vécu plusieurs années en Espagne ; plus précisément en Andalousie, “naviguant” entre les villes de Grenade et de Jaén, où elle se forme en tant que kiné. Depuis un an, elle pratique son activité de kiné au Sénégal.
Coline, je l’ai connu à l’automne 2019 lorsque j’ai emménagé à Jaén, capitale de la province andalouse du même nom, et située à plus de 500 mètres d’altitude. Coline y animait le groupe Extinction Rebellion (XR) Jaén, mais il n’y avait pas foule, nous étions finalement les deux seules personnes actives du groupe. C’est à Grenade, ville sœur située à quelques dizaines de kilomètres, que se concentrait le plus grand noyau d’activistes XR de la région.
Cette année-là, nous avions et nous ressentions beaucoup d’énergie. Grâce à Extinction Rebellion, nous avions cet espoir de bousculer le système et pousser les dirigeants à agir enfin pour stopper la crise climatique. Un peu naïf, mais pas tant que ça, Extinction Rebellion a marqué une montée en radicalité de la lutte écologiste, avec la normalisation de l’action directe non-violente et de la désobéissance civile.
En quelques semaines à peine, nous avons partagé plusieurs expériences d’activisme : blocage du trafic routier à Madrid, manifestation contre le Black Friday à Grenade, actions de protestation lors de la COP25 à Madrid. Il faut dire que l’activisme noue des liens forts très rapidement. Mais l’une d’entre elles fût particulièrement marquante, voire étrange : la semaine de grève de la faim internationale organisée par Extinction Rebellion, pour lutter contre la crise – et l’inaction – climatique.
A cette époque, nous étions prêt.es à tout, nous sentions une forme de libération de l’éco-anxiété par la mobilisation collective, mais aussi la possibilité d’influer sur la politique par la radicalité des actions. Certes, XR n’a pas changé le système, mais le mouvement s’est révélé comme étape transitoire indispensable à la montée en radicalité de la lutte écologiste dans le monde.
Triste ironie du sort, quatre années plus tard presque jour pour jour, Coline entame une nouvelle grève de la faim ; dans un contexte bien plus dramatique.
Triste ironie du sort, quatre années plus tard presque jour pour jour, Coline entame une nouvelle grève de la faim ; dans un contexte bien plus dramatique.
Cette fois-ci incarcérée et isolée spatialement, elle lutte aujourd’hui pour sa liberté, et non plus celle des autres comme elle a toujours fait. Que ce soit sur le thème du colonialisme, d’antiracisme ou de l’écologisme ; ses combats sont constamment motivés par la solidarité des luttes, la justice sociale et la défense des droits humains. Selon nos informations, Coline a mis un terme à sa grève de la faim au bout d’une dizaine de jours.
Macron “abandonne ses enfants”
Pour Juan Branco, le plus inquiétant dans cette histoire est la complicité du gouvernement français. Il affirme : « l’Elysée, prévenu, a laissé placer en détention illimitée, en les conditions que l’on sait, une citoyenne française de 26 ans parce qu’elle soutenait le droit d’un opposant à se présenter à une élection ».
L’avocat révèle en effet que la France accorde une immunité diplomatique au président sénégalais, en le nommant “envoyé spécial du Pacte de Paris pour la Planète et les Peuples”, et ce malgré le massacre de dizaines de manifestants. « Il est le plus proche allié d’Emmanuel Macron en Afrique », conclut-il.
Comme toujours, dans les discours, Emmanuel Macron s’amuse à parler de fraternité entre la France et l’Afrique, mais quand il s’agit de soutenir les peuples en souffrance, la France fait la sourde oreille et soutient au contraire leurs oppresseurs, dans son intérêt de maintenir ce qu’il reste de l’ère coloniale.
Quand commencerons-nous à mesurer l’ampleur de la violence répressive de nombreux gouvernements dans le monde ? Quand arrêterons-nous aussi cette violence médiatique qui criminalise celles et ceux qui luttent pour la défense des droits humains ?
En tant qu’activistes aussi bien que journalistes ou citoyens, nos engagements ne sont pas qu’une lutte politique, mais un combat profondément humain. Ce qui pousse Coline à agir, c’est avant tout son empathie profonde pour celles et ceux qui souffrent et qu’on abandonne injustement.
Coline est notre amie à tous.tes, elle se bat pacifiquement pour les mêmes combats que nous. Pour Coline et toutes les personnes emprisonnées pour raisons politiques, mais aussi pour notre droit fondamental de manifester (déjà bafoué en France), notre responsabilité est de nous mobiliser pour exiger leur libération immédiate.
Comment aider Coline ? Il existe plusieurs leviers, et nous vous en proposons un qui semble à notre portée : diffuser l’information en masse. Coline ne doit pas rester seule, c’est pourquoi la mobilisation citoyenne doit être en mesure de contrer l’indifférence de l’Etat et des médias. Voici deux exemples de messages – partagés librement par ses ami.es activistes – que nous vous invitons à diffuser sur tous les réseaux sociaux :
- ❌ #ColineFay, citoyenne française de 26 ans, militante écologiste et anticolonialiste, a été arrêtée au Sénégal pour avoir participé à une manifestation pacifique le 17 novembre avec 6 autres personnes.
#FreeColine - @EmmanuelMacron et @Macky_Sall gardent le silence après l’arrestation irrégulière de #ColineFay, citoyenne française, au Sénégal. Que nous cachent-ils ?#FreeColine
– Benjamin Remtoula (Fsociété)