En septembre dernier, la YouTubeuse Laëtitia Nadji réussissait à mettre Jean-Claude Juncker en difficulté lors d’une interview qui avait pourtant été organisée par « les officiels » pour mettre ce dernier en valeur auprès des jeunes internautes. Aujourd’hui, nous découvrons les dessous des coulisses, grâce à des images filmées pendant les préparations, dans les 72 heures précèdent le direct. Il s’avère que YouTube, « intermédiaire » pendant cet évènement, a exercé d’importantes pressions sur Laëititia Nadji, notamment pour la contraindre à modifier ses questions.
C’est l’histoire d’un fiasco pour YouTube et Google (le premier appartenant au second depuis 2006), et une opération de communication qui tourne au ridicule pour la Commission européenne. On ne sait pas vraiment, qui de YouTube ou de la Commission est à l’origine de l’idée. Mais il certain qu’aussi bien le premier que le second ne ressort pas grandit de l’exercice. À l’origine, l’idée était de faire intervenir trois jeunes, populaires sur YouTube, auprès de Jean-Claude Juncker. Pariant sur le côté « bon-enfant » des questions qui seraient posées, YouTube et la Commission misaient sur une opération de communication bien huilée à destination des jeunes, leur montrant une autre facette de la politique européenne ainsi que la sensibilité des politiciens aux réseaux sociaux.
YouTube cherche à maîtriser le débat
Sans surprise, l’évènement « libre » va rapidement tourner au plan de communication cherchant à instrumentaliser les Youtubeurs. Après avoir pris connaissance des sujets que Laëtitia Nadji souhaite aborder avec Jean-Claude Juncker, le représentant officiel de YouTube commence par lui suggérer des précautions à prendre, des formules à employer et les thématiques à éviter. Plus l’échéance approche, plus ses propos deviennent durs, contenant des menaces à peine masquées. Pourtant, très insidieusement il rappelle : « on veut tout sauf être vu comme une machine à lobby qui essaye de se rapprocher de M. Juncker », ce qui ne l’empêche pas de préciser, « nous, ce qu’on veut montrer, c’est une autre facette de M. Juncker grâce à des YouTubeurs comme toi ». L’objectif, c’est « d’améliorer l’image de marque de M. Juncker« .
Laëtitia Nadji a cependant décidé de lui tenir tête. En apparence, elle fait mine de fléchir et modifie ses questions pour les essais : cette attitude courageuse lui permet d’aller au bout et de poser à Jean-Claude Juncker les questions qui lui étaient chères. Pourtant, dans la situation présente, prise dans l’étau par YouTube qui l’incite fortement à modifier ses questions, elle est soumise à une énorme pression psychologique et la menace indirecte de perdre ses revenus. D’autant que YouTube avait tôt fait de lui rappeler que sa prestation serait jugée par de nombreuses personnes et que le travail accompli sur sa propre chaîne pourrait en pâtir : « il y aura malheureusement des conséquences, car je ne sais pas comment la presse va interpréter… ». YouTube est donc pris en flagrant délit de tentative de manipulation de l’opinion. Mais ce que la multinationale ne sait pas, c’est que l’ensemble du processus en coulisse a été filmé pour donner aujourd’hui naissance à un film retraçant l’aventure de Laëtitia.
L’attrapeur attrapé
L’audace de Laëtitia Nadji (Le Corps La Maison L’Esprit) a donc littéralement sapé le plan de la multinationale : l’interview dans lequel elle interpelle de manière percutante Jean-Claude Juncker a été visionnée près de 4 millions de fois sur sa propre chaîne YouTube. Dès publication de la dite vidéo, Laëtitia Nadji avait souligné que YouTube avait, préalablement à l’interview, exercé des pressions à son égard. Aujourd’hui, elle revient sur cet épisode et explique en détails comment, accompagnée et aidée par les YouTubeurs des chaînes Autodiscipline et Osons causer, elle a su résister. Laëtititia Nadji, Raj (Autodisciple), Ludo Torbey, Stéphane Lambert et Xavier Cheung (Osons causer) signent ainsi une double réussite : non seulement ils ont pu mettre Jean-Claude Juncker dos au mur, dans une vidéo qui est devenue virale, mais en plus ils apportent des éléments pour dénoncer YouTube et son travail de lobbying (donc politique) auprès des instances européennes.
Le reportage d’environ une heure, intitulé « Pardon YouTube » (à voir en fin d’article), offre un regard inédit et unique sur les coulisses d’un évènement impliquant une des plus grosses multinationales au monde et le monde politique européen. Ainsi, on découvre à l’aide de cameras cachées ou non comment les YouTubeurs ont été accueilli dans un cadre en apparence chaleureux, mais encadré de près par la multinationale. Le plus révoltant est sans doute l’attitude du représentant du site d’hébergement de vidéo lors de l’évènement (dont l’anonymat est conservé) qui était sensé accompagner les trois jeunes et les aider à préparer leur interview. À plusieurs reprises, il a tenté d’influencer les questions de Laëtitia Nadji. Pourtant, l’exercice était en principe libre et toutes les questions devaient pouvoir être posées. Envers et contre tous, la YouTubeuse gardera sa ligne jusqu’à la fin.
« Ce film montre les coulisses de cette aventure. Nous espérons qu’il donnera à celles et ceux qui subissent intimidations, menaces, tentatives de culpabilisation ou de censure de la part de personnes de pouvoir, de mieux les reconnaître pour ce qu’elles sont, et d’oser lancer l’alerte. »
Aujourd’hui, ce reportage n’est pas juste un apport éclairant sur une connivence discrète entre deux mondes. Sa diffusion massive est également une garantie pour Laëtitia Nadji de pouvoir perpétuer son travail en toute sérénité.