Commission Arthuis : la fuite en avant néolibérale continue

Alors que la France continue de creuser sa dette pour faire face aux répercutions du coronavirus, une commission spéciale, pilotée par Jean Arthuis et désignée par le Premier ministre, a rendu récemment un rapport important sur la gestion des finances publiques. Au programme : rigueur budgétaire, baisse de la fiscalité et fuite en avant néolibérale. Analyse.

Le gouvernement aurait voulu préparer le terrain à une accélération de sa politique en matière budgétaire qu’il ne s’y serait pas pris autrement. En nommant Jean Arthuis, soutien d’Emmanuel Macron en 2017, à la tête d’une commission chargée de réaliser un rapport sur la gestion des finances publiques, Matignon a assuré l’essentiel en se garantissant la convergence idéologique des conclusions de cette expertise. Car ce rapport n’est pas sans importance tant la gestion des finances publiques, dans un contexte de fort endettement national, et dessine en filigrane une vision du monde et de l’économie. Comme on pouvait s’y attendre, les conclusions de cette commission « indépendante et non partisane » s’imbriquent parfaitement dans la matrice idéologique du macronisme.

Jean Arthuis, alors Président de la commission des Budgets du Parlement européen, avec Isabelle Boudineau, présidente de la COTER. Source : flickr

On pensait que la crise du coronavirus allait remodeler un peu les stratégies économiques des élites au pouvoir. Or, même si le rapport contient quelques aveux en forme de mea-culpa, notamment concernant la soutenabilité d’une dette élevée, il insiste néanmoins sur la nécessité de poursuivre la même politique économique et ce, en dépit d’une situation encore instable et illisible. Un rapport qui peine à masquer ses biais idéologiques car pour maîtriser l’expansion de la dette, la Commission Arthuis va piocher dans les vieilles recettes libérales : baisse de la fiscalité, baisse des dépenses, dépolitisation des questions économiques. Une aubaine pour le pouvoir en place.

Le chantage à la dette publique

La raison d’être de ce rapport est officiellement d’enrayer la dynamique d’endettement de la France. Une dynamique qui s’est accélérée ces derniers temps en raison des mesures exceptionnelles prises par le Gouvernement pour maintenir sous perfusion une économie à l’arrêt. En effet, rapportée au PIB, le déficit publique française est passée de 3 % en 2019 à 9 % en 2020. Entre les mesures de chômage partiel, les fonds de solidarité où les prêts garantis par l’État, la France a joué à fond son rôle d’assureur en dernier recours. Une stratégie qui a été adoptée dans la majorité des pays du monde et qui a empêché l’économie de plonger complètement.

Mais bien que le rapport admette à la fois l’utilité et la soutenabilité de cet endettement, il milite néanmoins pour un retour rapide à l’équilibre budgétaire. Surtout, le rapport fait une corrélation unique entre hausse de l’endettement et dépenses publiques : « Ce que nous dit le rapport, c’est qu’un excès de dette publique est dû à un excès de dépenses publiques ce qui est parfaitement faux. » déclarait Thomas Porcher dans un entretien au journal en ligne Le Média. En effet, avant la crise, la France avait une dette de 100 % rapportée au PIB pour une dépense de 57 %; quand aux États-Unis, la dette dépassait 120 % de son PIB pour une dépense de 38 %. On se rappelle également la situation grecque lors de la crise de 2009, où la réduction drastique des dépenses publiques avait était accompagnée d’une nouvelle hausse de sa dette. Il n’y a donc aucune corrélation significative entre niveau de dépenses publiques et dette nationale.

 » Le rapport élude volontairement le poids de la fraude et de l’optimisation fiscale dans la dynamique d’endettement national « 

Le rapport élude volontairement le poids de la fraude et de l’optimisation fiscale dans la dynamique d’endettement national. Rappelons à toutes fins utiles que ces mécanismes d’évitement coûtent 100 milliards d’euros par an à la collectivité selon le syndicat Bercy Solidaire, soit l’équivalent de la dette publique française en 2019. Toute ambition de réduction de la dette devrait normalement passer par une véritable politique de lutte contre ce séparatisme des classes aisées qui gangrène le fonctionnement de la société toute entière.

De la même façon, l’impact des différentes baisses d’impôts consenties ces dernières années sur le niveau d’endettement est habilement passé sous silence dans ce rapport. « En 2014 un audit citoyen sur la dette publique concluait que 59% de la dette publique française s’expliquait par les cadeaux fiscaux. Si l’on devait faire l’inventaire des niches fiscales, du CICE et j’en passe, on verrait que la question n’est pas celle d’une dépense publique excessive mais d’un tassement des recettes » nous confiait pour sa part l’économiste Frédéric Farah.

Actuellement, les États s’endettent à des taux exceptionnellement bas. La raison est double : d’une part, le monde connaît un excès d’épargne important faisant mécaniquement baisser les taux d’intérêts ; d’autre part, la Banque centrale européenne pratique une politique de rachat des titres de dettes souveraines sur les marchés secondaires, permettant une absence totale de risque aux créanciers, absence de risque qui tire à la baisse les taux d’intérêts. Dans l’état actuel des choses, la dette française est soutenable puisque nous remboursons moins que ce que nous empruntons. Mais la grande peur de la commission est d’assister à une remontée des taux d’intérêts.

Nous avons expliqué dans un précédent sujet à quel point cette perspective d’une remontée des taux était illusoire, tant il n’y a aucune raison pour que la BCE cesse sa politique de rachat des titres de dettes souveraines. En effet, la raison d’être de la BCE est de stabiliser la zone euro, c’est dans cette perspective qu’elle a mise en place cette politique de rachat des titres de dette. Un arrêt de ce processus mènerait à une explosion de l’endettement national dans certains pays et, à terme, menacerait grandement la stabilité même de la zone euro. Il y a donc peu de chance de voir la Banque centrale européenne prendre cette décision qui irait à l’encontre de sa raison d’être.

En réalité, l’argument de la hausse des taux d’intérêts vient supplanter celui de la dette qui avait servit de longue date à justifier une casse du modèle social français, devenu caduc en raison de la crise actuelle et des mesures prises pour y pallier. Les conclusions du rapport font directement échos aux prescriptions libérales lancinantes entendues depuis trente ans : l’État dépense trop, il va falloir couper dans les dépenses. Ne restait plus qu’à trouver un nouvel argument pour légitimer ce discours ; c’est désormais chose faite.

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Une baisse des dépenses publiques

Pour rembourser la dette, selon ce prisme politique unilatéral, il va donc falloir encore diminuer les dépenses.  » Nous considérons que, si le levier fiscal ne peut être utilisé pour redresser nos comptes publics, il faudra donc se donner la capacité de maîtriser nos dépenses publiques tout en œuvrant à la croissance économique. » indique le rapport. Avant de poursuivre plus loin « Pour parvenir à stabiliser le niveau d’endettement, nous devons nous donner une règle simple et crédible à moyen et long terme : faire en sorte que les dépenses publiques augmentent tendanciellement moins vite que nos recettes. »

La commission préconise donc que les dépenses augmentent moins vite que les recettes et ce, sans l’aide de nouvelles hausses d’impôts. C’est donc une véritable purge dans les dépenses publiques qui se prépare notamment dans les domaines du social et de la santé, identifiés dans le rapport comme les secteurs les plus gourmands en financement. Si les effets néfastes des politiques d’austérité sur l’hôpital public, notamment en obligeant les services à supprimer de nombreux lits de réanimation, ont été dramatiquement mis en lumière lors de cette crise sanitaire, illustrant avec force combien il est essentiel pour un pays de disposer d’un système de santé efficace, les mesures sociales ont également empêché l’ensemble des travailleurs de plonger dans la précarité la plus totale, et sauvegardé un semblant de vie économique dans une société totalement à l’arrêt. S’attaquer à ces deux piliers de notre modèle social, alors qu’ils ont prouvé leur entière nécessité durant la crise, est incompréhensible.

Mais la Commission va plus loin dans l’aberration : « Une réflexion sur notre fiscalité devrait avoir pour objectif d’améliorer les facteurs de compétitivité en vue de développer les industries du futur et la relocalisation d’activités et d’emplois ». Non content de couper dans les dépenses, le rapport appelle à effectuer de nouvelles baisses d’impôts sur les entreprises en vu de soutenir la croissance. Une manœuvre dont on a pu percevoir l’inanité. A titre d’exemple, le CICE (une baisse d’impôts importante sur les entreprises) a coûté près de 18 milliards d’euros à l’État en 2016, selon France Stratégie, pour une création d’emploi de l’ordre de 100 000 à 160 000 entre 2013 et 2017, soit un coût de plus de 100 000 euros par emploi. Une preuve supplémentaire que ce n’est pas le niveau d’imposition qui dicte l’embauche mais l’activité. Une activité que seules les dépenses publiques sont susceptibles de stimuler efficacement.

Un gouvernement par des experts…

Au-delà de l’aspect comptable, la commission préconise également de sanctuariser la gestion des finances publiques en les assujettissant au contrôle d’un groupe d’experts indépendants. Pour améliorer la qualité de la préparation des trajectoires, le suivi rigoureux des objectifs qu’elles affichent, renforcer la visibilité des finances publiques sur le long terme et mieux éclairer les risques, il parait nécessaire de se doter d’une institution budgétaire indépendante, avec un mandat ambitieux et de moyens propres. Une sorte de cercle de la raison, composé de hauts fonctionnaires déconnectés de la vie réelle dont on connaît l’appétence pour les coups de rabots, pourrait à l’avenir décider seul de la gestion des finances publiques. Une manière d’écarter la question du budget de l’État du débat politique : « Ce sont normalement des choix démocratiques qui doivent déterminer la politique budgétaire […] le fait que la politique budgétaire soit déterminée par des gens, dont on sait ce qu’ils pensent, c’est en fait retirer une bonne partie du débat démocratique » s’inquiète Thomas Porcher.

Ainsi, ce rapport Arthuis, bien que se présentant comme non partisan, égrène pourtant son lot d’apriori néolibéraux : baisse des dépenses publiques, baisse de la dette, baisse des impôts et dépolitisation des questions économiques. A l’heure où les États-Unis, sous l’impulsion du nouveau président Joe Biden, semble s’orienter vers une rupture avec les dogmes de l’économie libérale, la France elle, s’entête dans des schémas qui ont montré depuis des années leur incapacité à ordonner l’économie et la société correctement.

– T.B.


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