Une étude de l’Université de Hasselt en Belgique, publiée 17 septembre 2019 dans le journal Nature Communications, fait état de la présence de particules de suie dans le placenta humain, à proximité directe du fœtus. Il s’agit en effet de la première observation directe de contamination placentaire à la suie, bien que le phénomène était déjà suspecté et mis en évidence par des études in vitro. Ces résultats sont particulièrement préoccupant puisqu’une exposition à des polluants aux stades précoces de la vie embryonnaire est susceptible d’entraîner des maladies à l’âge adulte.
La pollution atmosphérique en un mot
Quand on parle de pollution atmosphérique, il faut comprendre que derrière ce terme se cache un cocktail de particules et de gaz pouvant varier d’un endroit à l’autre, selon les activités locales, la topographie et les phénomènes naturels. Parmi ces éléments, on compte notamment l’ozone, les oxydes d’azote, le dioxyde de soufre, le benzène, l’ammoniac. Ils sont sous forme gazeuse, et sont issus de l’agriculture, des entreprises, des combustions domestiques (voitures, poêles à bois…) et d’accidents industriels et incendies comme la France en a rencontrés de nombreux ces dernières semaines, mais aussi d’évènements naturels comme des éruptions volcaniques.
La deuxième grande famille de polluants est celle des particules fines, dont la suie (également appelée « carbone noir » ou « carbone suie ») fait partie. Également issues de combustions incomplètes d’hydrocarbures ou de bois, elles sont considérées comme étant le polluant atmosphérique le plus préoccupant pour la santé humaine en Europe, et seraient responsables de nombre de maladies respiratoires, cardiovasculaires, et de certains cancers.
Quelques chiffres
La pollution atmosphérique est un drame constant avec lequel nous avons appris à vivre avec avec une indifférence confondante tant notre impuissance est manifeste. Elle ferait près de 8,8 millions de morts par an, dont 800 000 en Europe, d’après une étude publiée en 2019 dans le European Heart Journal. Cette étude, ainsi que plusieurs autres, mettent en lien l’exposition chronique à de l’air pollué et bon nombre de maladies cardiovasculaires. Elles seraient à elles seules responsables de 40 à 80% des morts prématurées. Ainsi, l’OMS considère que la pollution atmosphérique générale est plus meurtrière que le tabagisme qui n’aurait causé « que » 7,2 millions de décès en 2015. Ce type de pollution aurait également des effets sur le développement embryonnaire, et ce par simple inhalation de la femme enceinte. En effet, il semble y avoir une corrélation entre une forte pollution atmosphérique et de plus faibles poids d’enfants à la naissance ; des retards de croissance ; voire même des naissances prématurées.
Accessoirement, ces maladies ont un impact énorme sur l’économie mondiale. À l’échelle planétaire, la perte de productivité pour cause de maladies liées à cette pollution coûteraient annuellement près de 225 milliards de dollars US, et des trillions de dollars en frais médicaux. En France, ce manque à gagner s’élèverait à près de 100 milliards d’euros.
Une découverte qui jette de l’huile sur le feu
Pendant longtemps, le placenta a été considéré comme une barrière naturelle entre la mère et l’enfant, infranchissable pour les agents exogènes ; jouant un rôle de filtre permettant de protéger le fœtus de substances et agents pathogènes nocifs. On sait depuis quelques années maintenant que certaines molécules comme l’alcool et certains médicaments sont capables de passer cette barrière naturelle. D’après cette nouvelle étude publiée dans Nature Communications, il semble que cela soit également le cas pour les particules de suie.
Pour obtenir ces résultats, les chercheurs ont utilisé une cohorte de 20 femmes enceintes, subdivisée en deux groupes selon leur lieu de vie : un groupe venant d’un endroit avec de fortes concentrations de suie dans l’air ; et l’autre groupe originaire d’une région avec un air moins pollué. Dans les 10 minutes suivant la naissance, les chercheurs ont réalisé des prélèvements de placenta pour leurs observations. Grâce à une technologie de pointe (laser femtoseconde), les chercheurs ont pu visualiser directement la présence de suie dans les tissus placentaires, du côté maternel et du côté de l’enfant ; proportionnellement à la pollution de l’air du lieu habité par la mère.
L’observation démontre un transfert des particules du système pulmonaire maternel vers son système sanguin : ce mécanisme était déjà connu puisque des traces de suie avaient été précédemment relevées dans des urines d’enfants nés. Cependant, avoir observé des particules dans le placenta signifie qu’elles sont suffisamment fines pour passer successivement plusieurs barrières biologiques, pourtant considérées comme très efficaces dans leur rôle de filtration. Cette observation renforce l’hypothèse des chercheurs selon laquelle les particules de suies sont en grande partie responsables des problèmes de développement embryonnaire cités plus haut, et donc des conséquences sanitaires en découlant à l’âge adulte.
À qui la faute ?
Cette étude n’identifiant pas formellement la source des suies observées, les chercheurs ont bien l’intention de poursuivre leurs investigations afin d’identifier un coupable. Ils avancent pourtant sans trop de doutes que le principal responsable est probablement le trafic routier. Cette hypothèse est corroborée en France par les chiffres du Ministère des Solidarités et de la Santé, qui affirme que ce trafic a été à l’origine de 48% des émissions moyennes métropolitaines de suie en 2016. Les moteurs diesels, plébiscités en France, sont d’ailleurs décriés du fait de leur propension à générer des particules fines. Quid des navires et leur pollution aux particules fines en zones maritimes ?
Si la France n’est pas en reste, les populations les plus touchées par la pollution atmosphérique sont à ce jour situées dans les pays asiatiques, notamment la Chine et l’Inde. D’après le dernier classement des villes les plus polluées AirVisual, relayé notamment par Greenpeace, la grande championne serait la ville de Gurugram en Inde. Le première ville européenne n’arrive qu’en 92ème position : Lukavac en Bosnie Herzégovine. Il faut aller jusqu’à la 814ème place pour trouver une ville belge : Oostrozebeke ; et à la 2237è place pour trouver une ville française : Saint-Denis. En d’autres termes, selon ce classement, Saint-Denis serait la ville la plus polluée de France aux particules. Cependant, ces indices de pollutions restent très bas comparés à ceux des villes les plus polluées.
Sachant que les chercheurs ont été capables de détecter de la suie dans le placenta de mères vivant dans un pays considéré comme peu pollué (en l’occurrence la Belgique), imaginons un instant les résultats que l’on pourrait obtenir sur des mères vivant en permanence dans le smog, et les conséquences sur leur descendance.
Plus globalement, on peut tout de même noter une prise de conscience sur le sujet des particules fines, avec de plus en plus de médiatisation et de réactions politiques. La Chine, par exemple, a pu réduire ses émissions de PM2,5 (catégorie de particule au diamètre inférieur à 2,5µm) de 40% au niveau national entre 2013 et 2017, et a mis en place un programme ambitieux pour lutter contre cette tueuse invisible qu’est la pollution atmosphérique.
Par ailleurs, il a également été démontré que la suie est le deuxième plus important facteur du réchauffement de l’atmosphère après le dioxyde de carbone (CO2) ! Son potentiel réchauffant est donc hautement problématique. Que ce soit pour la santé, l’économie, ou contre le réchauffement climatique ; il n’y a que des bonnes raisons de tenter de limiter les émissions de carbone suie.
Emeric Mahé