Voilà plusieurs années que les carcasses de bélugas viennent s’échouer sur les rives du Saint-Laurent. Alors que le phénomène semble se poursuivre sans vraiment pouvoir en déterminer la cause première, une particularité inquiète les experts : les cétacés retrouvés morts sont des femelles en couches et des bébés.

Le béluga, cet animal marin gracieux qui dispose d’un des sonars les plus sophistiqués de tous les cétacés, tente de survivre tant bien que mal dans l’océan Arctique. Isolée depuis 7000 ans, une population restreinte de bélugas évolue également dans l’estuaire du fleuve Saint-Laurent, au Québec. Une situation unique au monde aujourd’hui menacée par l’activité humaine. En effet, on ne compterait plus que 900 bélugas en ces eaux. Après avoir souffert d’une chasse commerciale acharnée, toujours tolérée dans certaines contrées bien qu’interdite par le moratoire sur la chasse à la baleine, les bélugas du Saint-Laurent doivent faire face à une activité humaine plus productiviste que jamais.

En 2014, le Comité sur la situation des espèces en péril du Canada (COSEPAC) désignait le béluga comme une espèce « en voie de disparition » alors qu’elle était jusqu’ici « simplement » menacée. Le rapport indiquait alors un déclin de 75% à 82% de l’espèce en seulement 3 générations. Soit moins de 1000 têtes aujourd’hui (583 adultes) pour 10 000 au siècle dernier. Si la situation était déjà critique il y a deux ans, elle ne semble pas aller en s’améliorant. Le bilan 2015 des bélugas décédés inquiète les scientifiques autant que le gouvernement fédéral. Radio-Canada rapporte que « la majorité des carcasses retrouvées sont des femelles qui étaient en couches et des nouveau-nés. » Un phénomène observé depuis plusieurs années et qui met directement en péril la capacité de l’espèce à se perpétuer.

beluga_mort2Photographie : Steve Snodgrass

Ainsi, sur les 14 carcasses retrouvées, 6 étaient des nouveau-nés pour 3 femelles en couche. Les autopsies pratiquées par la Faculté de médecine vétérinaire de Saint-Hyacinthe démontrent que ces décès survenaient pendant, juste avant ou juste après la mise bas. Aucune trace de blessure, d’infection ou de tumeur n’était visible sur les petits. Ces observations semblent donc indiquer des troubles de la reproduction et plus largement une fragilisation de l’espèce. Mais qu’est-ce qui provoque une telle atteinte à l’intégrité des bélugas ? Les chercheurs avancent 4 hypothèses probables.

1. Disparition des glaces

Malgré une météo très fluctuante, le Québec n’est pas épargné par les changements climatiques. La hausse des températures observées dans les eaux de l’estuaire du Saint-Laurent indique que l’épaisseur des glaces a tendance à se réduire. Une étude de l’Institut des Sciences de la Mer de Rimouski a démontré qu’une augmentation de 2 °C de la température de l’air provoque une diminution allant jusqu’à 28% de la couverture et de plus de 55% du volume de la glace de mer. Une forte réactivité des glaces qui servent pourtant de refuge aux bélugas contre le vent, les vagues et les tempêtes. Les animaux se voient peut-être plus exposés que d’habitude à certains dangers.

2. Contamination de l’eau

Le Saint-Laurent sert de zone de transit pour le transport du pétrole. Ce trafic pétrolier étant en augmentation, le rapport du COSEPAC indique un risque décuplé pour les bélugas. Par ailleurs, la ville de Montréal a déversé à plusieurs reprises des eaux usées dans le Saint Laurent. En novembre 2015, pas moins de 8 milliards de litres d’eaux grises des égouts furent rejetés dans l’estuaire pour nettoyer une canalisation. En octobre de la même année, des chercheurs de l’Université McGill et le gouvernement du Québec mettaient en évidence la présence de micro-plastiques, sous forme de microbilles de polyéthylène, un peu partout dans le lit du fleuve Saint-Laurent.

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beluga_mort Photographie : Lena Measures – Fisheries and Oceans Canada

Si certains estiment que la qualité de l’eau s’est améliorée après l’interdiction des PBDE, ils restent toujours très présents dans l’environnement. Ce retardateur de flammes est reconnu pour ses effets sur la glande thyroïde, fondamentale pour l’expulsion du foetus, notamment. Il existerait un risque de bioaccumulation dans la chaine alimentaire, le béluga étant situé au sommet de celle-ci. Ainsi les chercheurs estiment que la présence de contaminants chimiques dans l’environnement pourrait avoir des effets œstrogéniques néfastes sur les cétacés.

3. Le trafic maritime

Facteur étonnant, les bruits provoqués par l’augmentation du trafic maritime lié à l’activité humaine perturbent les cétacés. Nombre de bateaux, notamment plaisanciers, perturbent les communications des bélugas qui utilisent les sons pour s’orienter. Les scientifiques se demandent si les femelles peuvent nourrir leurs petits dans ces conditions.

Stéphane Lair, chercheur au Centre d’Interprétation des Mammifères Marins (GREMM) estime que le bruit n’a pas seulement un impact psychologique, mais aussi physiologique. Certaines hormones des femelles seraient perturbées, affaiblissant leur lien avec son veau (nom d’un petit béluga).

4. Manque de nourriture

Les chercheurs pointent enfin du doigt la raréfaction des ressources halieutiques dont se nourrissent les bélugas. Alors que les harengs se font de plus en plus discrets dans l’estuaire du Saint-Laurent, les baleines blanches ont probablement plus difficile à se nourrir correctement. Alors que certaines espèces de poissons disparaissent de la région, d’autres, exotiques, se multiplient de manière incontrôlable, apportant avec elles des organismes pathogènes. Les femelles pourraient être affaiblies par ces changements.

Déjà en 2014 les scientifiques tiraient la sonnette d’alarme

https://youtu.be/atsRHvczVfY

Si la réalité est probablement à un carrefour de ces hypothèses, on constate qu’elles mettent toutes directement en cause l’activité humaine et plus spécifiquement l’activité de l’industrie fossile. Pour les baleines blanches du Saint-Laurent, il est probablement déjà trop tard, exprime avec inquiétude Stéphane Lair, professeur à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal. Si les jeunes se font rares, les plus vieux bélugas, qui peuvent vivre jusqu’à 70 ans, sont trop âgés pour se reproduire. Quant à l’activité de la région, malgré l’abandon du projet de port pétrolier à Cacouna, l’industrie des énergies fossiles, dont celle des sables bitumineux, reste plus active que jamais en dépit d’un autre problème de taille : le changement climatique.


Sources : lapresse.ca / radio-canada.ca / Image à la une : Réjean Côté – CBC


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