Quand des peluches questionnent les origines de l’homophobie

Source : La Sociologue et l'Ourson (screenshot)

“La Sociologue et l’Ourson” : un film saisissant où sociologie, le débat national et l’intimité se rencontrent pour traiter des enjeux du Mariage pour tous et de la PMA. À l’heure où les mœurs et les lois s’entrecroisent et où milles questions sociétales restent brûlantes, ce documentaire de Etienne Chaillou et Mathias Théry nous offre les clés de compréhension de l’évolution des phénomènes de notre société d’une manière très originale.

Un film qui met en lumière des sujets encore sensibles

“De septembre 2012 à mai 2013, la France s’enflamme sur le projet de loi du Mariage pour tous. Pendant ces neuf mois de gestation législative, la sociologue Irène Théry raconte à son fils, réalisateur, les enjeux du débat. De ces récits naît un cinéma d’ours en peluches, de jouets, de bouts de cartons. Portrait intime et feuilleton national, ce film nous fait redécouvrir ce que nous pensions tous connaître : la famille.”

Alors que La Manif pour tous a lancé récemment une nouvelle campagne anti PMA, comparant les enfants d’une famille monoparentale à des légumes OGM, la communauté LGBT – et plus particulièrement son ancrage dans la société de façon plus égale – est toujours cible de polémiques et de jugements. Les français les plus conservateurs n’en démordent pas, il existerait un modèle de famille idéal à imposer, quitte à s’immiscer dans la vie privée de parfaits étrangers en les jugeant sévèrement.

Le film La Sociologue et l’Ourson est un témoin de ces désaccords et débats qui ont agité la France durant le quinquennat de François Hollande. Pendant des mois, le Mariage pour tous a été abordé autour de toutes les tables, durant toutes les conversations familiales, mais aussi au bureau, à l’école. Ce film nous aide à comprendre pourquoi les droits LGBT et la position de cette communauté est toujours aussi un “sujet brûlant” dans notre société. “C’est aussi un film sur le changement. De la loi, des mœurs, de la société, des individus et des mentalités. Puisque nous suivions l’actualité de ce sujet de près, nous avons noté que le sujet du débat se modifiait au fil des mois : d’abord le mariage homo puis l’adoption, les enfants puis la PMA, la GPA… Nous avons voulu retranscrire ce mouvement. Il y a eu une vraie violence homophobe, on la sent monter dans le film, mais ces affrontements ont aussi amené des gens à mieux connaître l’homoparentalité, à comprendre pourquoi plus de droits étaient nécessaires. La réalité, c’est que ce débat a été pour tout le monde l’occasion d’évoluer.” s’exprime Mathias Théry, co-réalisateur du film.

Source : La Sociologue et l’Ourson (screenshot)

Et pourtant, bien que les temps et les mentalités changent, une homophobie quotidienne est toujours omniprésente en France. Notamment sur les réseaux sociaux, où la “parole homophobe” s’est beaucoup libérée depuis 2013 au même titre que le racisme ordinaire ou encore l’anti-féminisme assumé. Protégées derrière un écran, les paroles, insultes et menaces LGBTphobes ont connu une véritable envolée en plein débat, avec une augmentation conséquente des témoignages, selon SOS homophobie (3517 cas répertoriés). Une fois la polémique passée, les cas d’homophobie ayant entrainé un témoignage, soit une maigre part d’entre eux, vont redescendre à leur niveau initial déjà élevé (environ 1500 cas annuels). Va-t-on assister à un nouveau décollage de ces actes odieux ?

“Le travail du sociologue est de nous faire redécouvrir ce que l’on croit déjà connaître.”

Source : La Sociologue et l’Ourson

C’est pourquoi le film La Sociologue et l’Ourson a mis en lumière le savoir et le travail quotidien de Irène Théry, sociologue spécialiste des familles depuis plus de 30 ans. Tous les jours, elle assiste des familles et réalise à quel point la notion et la composition de la famille d’aujourd’hui a évolué. “(Le problème) des sociologues de la famille, c’est que les gens croient qu’ils ont déjà tout compris d’avance à la famille, juste parce qu’ils en ont une.” s’exprime-t-elle à cœur ouvert. “En réalité les individus sont au cœur d’un tissage d’éléments qui sont le quotidien, la politique, mais aussi l’histoire collective, l’héritage d’un droit très ancien, la lente évolution des mœurs, un passé disparu et qui pourtant influence nos façons de parler, de penser. » « Aux côtés d’Irène, nous avons compris que le monde ne peut pas se regarder uniquement de façon linéaire, comme une simple succession d’événements.”

Ainsi, on observe une négation de la différence chez les individus qui ne tolèrent pas d’autres manières de vivre que la leur. Les prétextes à ce rejet peuvent être nombreux : la peur des différences, les crises identitaires, des rumeurs colportées par des figures politiques, la confusion entretenue entre adoption/PMA/GPA, des croyances religieuses ou encore les chocs économiques que subit la classe moyenne. Un terreau propice à une regroupement de mentalités réactionnaires faisant des situations sociales minoritaires les cibles idéales de nombreuses frustrations. Volontairement ou non, dans le même temps, les questions de luttes sociales ou environnementalistes sont totalement évacuées du débat.

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Un film qui sort du commun

Le film de Etienne Chaillou et Mathias Théry sort des sentiers battus. Mélangeant temps réel, conversations téléphoniques enregistrées, et pièces de théâtres avec des marionnettes, nous voilà face à une œuvre cinématographique originale. “Lorsque l’idée de la marionnette est survenue, cela a tout de suite collé, car, un peu comme au théâtre, les personnages devenaient alors des symboles. Des symboles du citoyen, de l’enfant, de la femme au fil des générations, du couple homosexuel… mais sans se désincarner pour autant.” explique Etienne sur l’utilisation des marionnettes. De plus, ces poupées permettent des visualiser des discutions qui n’avaient pas, à l’origine, pour but d’être diffusées.

“Notre militance à nous, c’est de faire des films qui ne sont pas du prêt-à-penser mais qui réfléchissent pendant la projection, avec le spectateur.”

La Sociologue et l’Ourson est plus qu’un film militant, c’est un film citoyen. Il s’agit ainsi avant tout, en se basant à la fois sur l’expertise d’une sociologue et sur des morceaux de vie, de laisser la libre place au débat et à la liberté de penser. C’est en posant des vérités et des arguments valables, lavés de toute propagande, que les choses évoluent.

Source : La Sociologue et l’Ourson (screenshot)

Même davantage qu’un film engagé, La Sociologue et l’Ourson met également en scène le profond amour entre une mère et son fils. La transmission de patrimoine, de valeurs, l’éducation, tout est illustré en écho aux événements politiques et sociaux.

“L’enjeu du film, c’est comment l’histoire intime et l’histoire nationale dialoguent.”

L’histoire, et la société, évoluent constamment. Lors de longues discussions, Irène Théry évoque la situation des filles-mères au XIXe siècle et la perception du mariage traditionnel, l’émancipation des LGBT, les rébellions des soixante-huitards, l’évolution du concept même de parentalité entre parents “biologiques” et parents “d’intention” …

À travers son point de vue détaché et professionnel de sociologue, mais aussi celui de mère et de fille, les réalisateurs de ce film ont réussi à exploiter toute l’intégrité, la volonté mais aussi la tendresse que peut avoir une femme et une mère. “On s’est appliqués à tisser des liens entre le quotidien et la sociologie. On a essayé d’incarner des situations à travers des personnages. “

Source : La Sociologue et l’Ourson (screenshot)

Ce que les deux jeunes cinéastes cherchent avant tout, c’est “mieux penser le changement” et apaiser le débat. Irène revient sur ce qu’il s’est passé en 2012 : “Paradoxalement, 2012 a été une année terrible dans la vie de beaucoup d’homosexuels en France. On a assisté à des moments très violents… Les plus jeunes faisaient pour la première fois l’expérience de l’homophobie. En donnant l’impression que la manif pour tous reflétait l’opinion du peuple français, les médias ont leur part de responsabilités. Quant aux politiques, Christiane Taubira, Dominique Bertinotti et quelques autres exceptés, ils n’ont pas réussi à défendre le projet comme ils l’auraient dû. Il aurait fallu montrer aussi le côté heureux et positif de cette évolution.” C’est pourquoi la mise à distance avec des peluches est primordiale pour le film. Cela permet d’apaiser les tensions et d’essayer autant que possible de donner la possibilité aux spectateurs d’avoir un regard neuf.

“Une volonté de comprendre et faire comprendre”

Ce vendredi 13 Octobre, des projections simultanées dans plusieurs salles UGC (Paris, La Défense, Strasbourg, Bordeaux) vont avoir lieu, dont un ciné-débat avec Irène Théry en personne, à l’UGC Paris 19. Afin de ne rien rater de l’actualité du film et des débats qu’il suscite, vous pouvez également suivre la page Facebook de La Sociologue et l’Ourson. Reste à voir si le récent retour en force de la « Manif pour tous » signera une nouvelle année de violences psychologiques et physiques pour les minorités sexuelles, les familles monoparentales et leur(s) enfant(s).

Moro


Sources : La Sociologue et l’Ourson / SOS homophobie

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