Dimanche 24 Mai, la politique espagnole a connu une petite révolution : Podemos et ses alliés sont arrivés en tête aux élections municipales à Barcelone et pourraient remporter Madrid, fief des conservateurs depuis 1991. Créé il y a un an seulement dans la lignée du mouvement des Indignés, le jeune parti anti-austérité allié aux listes citoyennes pourrait mettre fin au bipartisme espagnol (PP / PSOE) qui dirige tour à tour l’Espagne depuis la fin de la dictature, empêtré dans les scandales financiers et les affaires de corruption.

Un vent démocratique souffle sur l’Espagne

Ils étaient attendus, ils en sont sortis grands gagnants : Podemos et ses alliés, des listes citoyennes regroupant collectifs et militants associatifs, ont fait basculer la scène politique espagnole, malgré l’opposition des grands médias acquis aux partis traditionnels. Ada Colau, militante anti-expulsions tête de liste à Barcelone, a remporté la ville avec 25,21 % des suffrages aux élections municipales. A Madrid, la candidature de Ahora Madrid, soutenue par Podemos et emmenée par la juge Manuela Carmena, arrive en deuxième position derrière le Parti Populaire (PP) de Esperanza Aguirre, elle aussi empêtrée dans plusieurs scandales de corruption, à l’image de son parti. Si Podemos décide de s’allier avec les « socialistes » du PSOE arrivés troisième, ils pourraient ravir la mairie de la capitale au Parti Populaire, dans des terres historiquement conservatrices.

adaAda Colau – Source : www.naciodigital.cat

D’autres villes ont vu les plateformes citoyennes arriver en tête ou légèrement derrière le PP : Saragosse, Corogne, Santiago…la particularité de ces plateformes est d’avoir regroupé des acteurs d’horizons divers se tenant habituellement à l’écart de la politique « professionnelle » et surtout des partis traditionnels. La future maire de Barcelone, Ada Colau, est une activiste du droit au logement depuis les années 2000, après avoir milité dans les mouvements antilibéraux dénonçant le G8. Suite à la crise financière et immobilière qui frappa durement l’Espagne, elle fonda en 2009 la plateforme anti-expulsion PAH (Plataforma d’Afectats per la Hipoteca) afin d’apporter une aide juridique aux expulsés ou menacés d’expulsion immobilière.

Guanyem : démocratie participative, droit au logement, lutte contre la corruption et les inégalités

La liste qu’elle a menée à la tête de Barcelone, « Barcelona en Comu », est composé de membres de Guanyem (ex-Indignés présents localement en Catalogne), d’indépendantistes catalans, de syndicalistes, de militants associatifs, d’écolos, de membres de Podemos et de divers mouvements sociaux catalans. « De cette crise, personne ne sortira comme avant. Ce qui nous attend, c’est, au choix, un horizon féodal, avec une augmentation brutale des inégalités, une concentration sans précédent des richesses, de nouvelles formes de précarité pour la majorité des citoyens. Ou alors, une révolution démocratique, où des milliers de personnes s’engagent, pour changer la fin du film. Cette opportunité, certains, comme Podemos, l’ont saisie à l’échelle nationale. Nous, il nous a semblé que Barcelone était le cadre idéal pour lancer cette démocratisation », expliquait Ada Colau dans un entretien à Mediapart en Novembre 2014.

fem-barris_1Affiche de « Barcelona en Comu » en faveur de la démocratie participative – Source : barcelonaencomu.cat

Membre de Guanyem, Ada Colau a pu notamment compter sur le soutien de Joan Subirats, un universitaire spécialiste des questions d’exclusion sociale à Barcelone, et celui de l’avocat des droits de l’homme Jaume Assens, très critique envers ce qu’il nomme le « clan Pujol » en référence à Jordi Pujol, ex-président de la Catalogne aujourd’hui empêtré dans un vaste scandale de corruption. La force de Guanyem fut d’organiser de nombreuses rencontres et débats dans les quartiers de Barcelone afin de connaitre les souhaits, les  problèmes et attentes des habitants.

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Madrid pourrait « tomber » aussi… dans la voix de la démocratie

Encore plus surprenant que la victoire de « Barcelona en Comu », l’ex-juge anti-corruption Manuela Carmena pourrait remporter la mairie de Madrid, acquise aux conservateurs depuis 24 ans et siège du PP. Ancienne juge du Tribunal suprême et fondatrice de l’association Juges pour la démocratie, l’ex-magistrate a toujours voulu rester en dehors de la politique traditionnelle, jusqu’à ce qu’elle prenne la tête de la liste citoyenne Ahora Madrid. Sur le même modèle que celle de Barcelone, cette liste regroupe des membres des partis de gauche et écolos, ainsi que des citoyens, des ex-Indignés, des acteurs des mouvements sociaux et des militants associatifs.

madridManuela Carmena © Myriam Navas / Ahora Madrid

Arrivée juste derrière le PP au premier tour (32% / 34%), cette militante des droits de l’homme de longue date, ancienne avocate soutenant les victimes du franquisme, pourrait prendre la tête de la ville si elle demande (et reçoit) le soutien du PSOE, bien que libéral. Ce qui est probable étant donné que la candidate du PP, l’aristocrate Esperanza Aguirre, est réputée pour ses positions très conservatrices et ultralibérales, mais surtout représente pour beaucoup la caste au pouvoir en Espagne depuis des décennies et gangrenée par les scandales de corruption.

Admiratrice de Mme Thatcher, opposée à l’avortement, ex-ministre et ex-présidente du Sénat, elle fut présidente de la région de Madrid entre 2003 et 2012, période durant laquelle se succédèrent les affaires de corruption. Surnommée par les Indignés la «comtesse de la corruption», Esperanza Aguirre est soupçonnée par de nombreux observateurs d’avoir couvert les membres de son parti visés dans les scandales de corruption. Tout ceci risque fort de lui empêcher le soutien du PSOE ou d’autres formations, et ainsi l’accès à la mairie. De son coté, Manuela Carmena propose notamment de lutter…contre la corruption, d’ouvrir la gestion de la mairie aux citoyens et de diviser par deux son salaire de maire.

Après la Grèce, un vent démocratique, progressiste et citoyen vient de balayer l’Espagne. Continuera-t-il sa propagation dans le reste de l’Europe ?


Sources :

http://www.mediapart.fr/journal/international/250515/les-indignes-remportent-barcelone-le-pp-degringole
http://www.mediapart.fr/journal/international/051114/espagne-lalternative-citoyenne-guanyem-veut-dynamiter-le-systeme-catalan

Image Une : la-croix.com – Albert Gea / Reuters

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