Alors que de nouvelles lois antiterroristes venaient juste d’être votées fin 2014 en France, permettant à une simple autorité administrative de demander le blocage d’un site sans passer par la justice, les dirigeants français se sont empressés de réclamer de nouvelles mesures antiterroristes. Prenant le risque de rogner encore un peu plus sur les libertés individuelles, sans pour autant remettre en cause les réelles raisons qui ont vu la France devenir une cible privilégiée pour les djihadistes : la politique étrangère française de ses dernières années.

Sécuritarisme : à quel prix ?

Comme on pouvait le redouter, la machine est lancée. Sans même attendre les résultats de l’enquête concernant l’attentat dont a été victime Charlie Hebdo le 7 janvier, le gouvernement vient de notifier le décret d’application d’une loi votée fin Décembre permettant le blocage administratif de sites jugés « terroristes » et a annoncé sa volonté de renforcer son arsenal antiterroriste.

Si l’idée sonne juste d’un premier abord, il faut savoir que ce blocage se fera au bon vouloir de l’office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC), sans passer par la case justice. Vu le flou juridique concernant la notion de « terrorisme » et la montée en puissance du terme d’ « écoterrorisme » (oui, toi lecteur), venu tout droit des États-Unis et de plus en plus utilisé par les conservateurs de tous bords pour criminaliser les militants écologistes, on peut s’attendre au pire quant à son utilisation en dehors de toute autorité judiciaire.

ZADistes, militants de la protection animale, militants anti-nucléaires… En cas de détournement de cette loi au profit des industriels, nombreux sont ceux qui pourraient en payer les frais. Au États-Unis et au Canada, certains militants pacifistes ont déjà écopé de peines allant jusqu’à plusieurs dizaines d’années, sans avoir jamais atteint à l’intégrité physique de personne. Idem en Italie où les No Tav, ces opposants au gigantesque projet de ligne à grande vitesse Lyon-Turin, subissent une sévère répression législative de la part des autorités qui ont mis en place des mesures d’exceptions pour criminaliser le mouvement.

De manière plus générale, comme l’explique La Quadrature du Net : « Contre tous les avis informés protestant de l’inefficacité de ces mesures et de leur caractère attentatoire aux libertés publiques, sans même qu’il semble y avoir la moindre relation entre les actes terribles survenus quelques jours plus tôt et une responsabilité de sites internet dans ces actes, le gouvernement répond à une attaque contre les libertés par une restriction des libertés. Quel mauvais hommage à rendre à ceux qui ont donné leur vie pour la liberté d’expression ! Répondre à la terreur par la restriction des libertés et de l’État de droit est un piège sans fin. C’est trahir nos idéaux démocratiques, et trahir tous ceux qui, dans le monde et en France, sont morts pour ces libertés. »

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« Guerre contre le terrorisme » à l’américaine : un fiasco à ne pas reproduire

D’autre part, ces mesures risquent d’effacer la réflexion, nécessaire, sur les causes qui ont fait devenir la France une des principales cibles des djihadistes à travers le monde, et sur les conséquences que provoquerait une nouvelle « guerre contre le terrorisme ».

Alors que le « Le Patriot Act » et la « guerre contre le terrorisme », lancés par les États-Unis suite au 11 Septembre, ont provoqué des scandales dans le monde entier (écoutes massives de la NSA, centres de tortures de la CIA, répression des lanceurs d’alerte…), en plus de déclencher deux guerres calamiteuses en Irak et en Afghanistan, avec leurs lots de victimes civiles, de tortures, de destructions et de bavures, il semble pour le moins étrange de vouloir se lancer dans la même voie sans aucun recul, surfant sur la vague des bons sentiments.

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D’autant plus que les guerres menées par les États-Unis au nom de la « liberté » et de la « lutte contre le terrorisme » ont eu l’effet parfaitement inverse : elles ont fait exploser le fanatisme islamiste qui s’est nourri de la misère, du rejet américain et de la déstabilisation politique provoqués par les armées américaines et l’OTAN dans les pays attaqués.

Guerres et néocolonialisme français

Concernant la France, elle a effectué un virage dans sa politique étrangère sous les années Sarkozy, en réintégrant le commandement intégré de l’OTAN en Avril 2009 et en menant plusieurs guerres : Libye, Côte d’Ivoire et Afghanistan. Des engagements guerriers très critiqués dans le monde arabe et qui ont conduit, en Libye et en Afghanistan, à des situations pires qu’elles l’étaient avant conflit et à une forte montée du terrorisme qui se nourrit toujours de la destruction et du chaos politique.

Sous la présidence de M. Hollande, trois nouvelles opérations militaires extérieures furent lancées : Mali, Centrafrique et Irak avec, cette fois-ci, de nombreuses contestations venant des journaux, ONG, associations et formations de gauche, qui qualifiaient les guerres menées en Afrique de néocoloniales et profitant avant tout à des intérêts privés. Les pays africains étant souvent, en effet, des « terrains de jeux » appréciés des multinationales françaises, qui pillent sans vergogne les ressources minières, pétrolières et gazières au dépend des populations locales…

Areva, Total, Bouygues, Vinci, Bolloré pour ne citer qu’elles, font toutes des profits faramineux dans les pays africains, souvent en mépris du droit international, de l’environnement, des populations locales et de la législation fiscale, poussant les populations dans la misère et, parfois, à prendre les armes. On se souvient de la prise d’otages au Niger, dans une ville minière exploitée par Areva. Ce pays est l’un des plus pauvres du monde mais permet à Areva de réaliser des milliards en exploitant son uranium destiné aux centrales françaises.

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On peut citer aussi les chalutiers géants et autres thoniers industriels qui, en laminant les stocks de poissons des côtes africaines, poussent les pêcheurs artisanaux à la misère et parfois, par dépit et désespoir, à prendre les armes pour devenir des « pirates », comme au Nigeria ou en Somalie. Si la barbarie n’est jamais justifiable, il convient d’en étudier les origines et responsables.

Nous pourrions encore citer de nombreux exemples d’ingérences militaires ou économiques, participant toutes au néocolonialisme, à l’appauvrissement et à l’insécurité dans les pays africains ou orientaux, autant de terreaux pour le terrorisme.

Comme l’explique Thierry Brugvin, sociologue : «La conclusion de la guerre froide a précipité la fin d’une régulation des conflits au niveau mondial. Entre 1990 et 2001 le nombre de conflits interétatiques a explosé : 57 conflits majeurs sur 45 territoires distincts. […] Officiellement, le départ pour la guerre contre une nation adverse est toujours légitimé par des mobiles vertueux : défense de la liberté, démocratie, justice… Dans les faits, les guerres permettent de contrôler économiquement un pays, mais aussi de faire en sorte que les entrepreneurs privés d’une nation puissent accaparer les matières premières (pétrole, uranium, minerais, etc.) ou les ressources humaines d’un pays.»

1610859_874455959242825_6188694925544662296_nPrise de recul et remise en question nécessaires

Mentionnons enfin la rupture avec le gaullisme amorcée par M. Sarkozy sur la question israélo-palestinienne et, malheureusement, poursuivie par M. Hollande, qui fût l’un des premiers chef d’état à applaudir l’offensive israélienne de cet été sur la bande de Gaza. Fait qui n’a pas manqué de choquer le monde arabe et jusque dans son propre camp politique. Quand on sait que M. Chirac était allé en Palestine en 1996 pour soutenir la paix et la création d’un état palestinien, avait visité Ramallah et même Gaza sous les applaudissements, avait critiqué la colonisation et avait eu l’occasion de voir une rue à Gaza baptisée de son nom, on se dit que la rupture est bien consommée.

Pour terminer, il conviendra aussi de s’interroger sur les alliés des français et des américains au Moyen-Orient : l’émirat du Qatar et le Royaume d’Arabie saoudite, deux dictatures islamiques, adversaires absolus de la liberté d’expression et de la presse, mais aussi et surtout soutiens financiers avérés des principaux groupes djihadistes dans le monde.

Autant de questions et de problématiques, donc, qu’il serait sage d’étudier avant de se lancer tête baissée dans la « guerre contre  le terrorisme », qui ne pourra mener qu’à une impasse ou à un aggravement de la situation.


Sources : laquadrature.net / nextinpact / bouamamas

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