Une « Suisse des octets » : c’est l’ambition que s’assigne l’Initiative islandaise pour la Modernisation des médias (IMMI) afin de protéger les données d’intérêt public, secrètes ou privées, susceptibles d’être censurées par des États, à l’image des #WikiLeaks et autres #PanamaPapers. Travaillant à faire adopter une législation favorable à la protection des journalistes, blogueurs et autres lanceurs d’alerte, ainsi que de leurs données, cette initiative pour exister a besoin de fonds et a lancé un appel à financement participatif. Une urgence alors que, quelques semaines à peine après le scandale Panama Papers, l’Union européenne a adopté la directive sur le « secret des affaires », préférant protéger le commerce que les lanceurs d’alerte et qu’à l’instant même, Antoine Deltour est jugé pour avoir dévoilé ce qui deviendra une des plus grandes fuites de l’histoire : #Luxleaks.

À la suite de réformes libérales, l’Islande est devenu un véritable paradis financier. La dérégulation des banques en 2001 voit le pays développer, de 2003 à 2007, une très forte activité d’investissement bancaire et financier. Mais le « miracle islandais » révèle toute sa fragilité en 2008. La crise économique, débutée en 2007 par la « crise des subprimes » aux États-Unis, devient mondiale cette année-là et touche très gravement l’Islande, entraînant la « crise financière islandaise ». La mobilisation citoyenne et des décisions radicales conduisent le pays à surmonter cette période troublée.

Cet arrière-plan historique et le traumatisme des conséquences vécues de l’opacité financière expliquent en bonne partie une loi présentée au parlement islandais, à l’initiative de 19 députés de tendances idéologiques pourtant très diverses (sociaux-libéraux, écologistes, libéraux, conservateurs et le Mouvement des citoyens formé en réponse à la grave crise économique). En juin 2010, est en effet adoptée à l’unanimité l’« Initiative islandaise pour la Modernisation des Médias » (IMMI, sigle en anglais). L’objectif de cette loi est d’établir un cadre légal protecteur pour les journalistes d’investigation, lanceurs d’alerte et autres sites Internet potentiellement menacés.

C’est pourquoi Birgitta Jónsdóttir, fondatrice du Parti pirate et l’une des députés à l’origine de la loi (elle est membre du Mouvement Citoyen) déclare : « L’Islande va devenir l’inverse d’un paradis fiscal ; en offrant aux journalistes et aux éditeurs une des protections les plus importantes au monde en faveur de la liberté d’expression et du journalisme d’investigation. L’objectif du paradis fiscal est de rendre tout opaque. Notre objectif consiste à tout rendre transparent ». Qu’en est-il aujourd’hui ?

Un refuge pour la liberté d’expression

La situation de Julian Assange, fondateur de WikiLeaks réfugié à l’ambassade d’Équateur depuis 2012 pour avoir diffusé des données secrètes des États-Unis autour de la guerre en Afghanistan, renseigne assez clairement sur l’enjeu de cette loi. S’il sortait de l’ambassade et était extradé aux États-Unis, ses révélations de crimes de guerre violant le secret d’État lui feraient encourir, en cas de procès devant la justice étasunienne, le risque de la peine capitale pour espionnage. Ceci, donc, pour avoir révélé des mensonges, crimes d’État et violations des droits humains de différentes institutions et puissants… On comprend donc tout l’enjeu de l’affaire.

C’est à ce type de cas, non moins qu’à celui qu’illustre le plus récent cas des Panama Papers, qu’entend répondre le projet d’Institut international des médias modernes. Ainsi donc, il s’agit de faire de l’Islande une « Suisse des octets » (Switzerland of Bits), un «paradis pour médias libres », une terre d’acceuil pour les « martyres 3.0 » du net… Comment ? En créant une « norme de qualité pour les réformes dans le monde entier et de législation de référence pour la protection des données, la vie privée, la liberté d’information et la liberté d’expression ». Comme le résume le communiqué francophone sur le site de l’IMMI, « [l]es journalistes et les lanceurs d’alertes ont besoin d’un espace qui les protège et qui respecte le travail qu’ils font réellement. Et nous, les citoyens du monde, avons besoin d’un espace qui nous donne des informations fiables et non corrompues par l’influence de l’argent et de la politique. IMMI existe pour assurer la naissance d’une plate-forme libre et ouverte qui puisse accueillir, sauvegarder et garantir l’accès à l’information qui appartient au peuple ».

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Une première mondiale

Organisme indépendant du gouvernement islandais, l’IMMI « est géré principalement par les efforts bénévoles ». Impossible donc de mobiliser des subventions pour lancer un tel projet, et les multinationales ne se pressent forcément pas à la porte pour défendre les lanceurs d’alertes. C’est pour cette raison qu’un appel à financement participatif (via la plateforme IndieGogo) a été lancé, pour lever les fonds permettant de continuer à le faire fonctionner, ce pourquoi il lui faut dégager un budget mensuel de 7500 Dollars.

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Quels sont les objectifs de l’IMMI ? D’abord, l’IMMI veut obtenir le retrait de la conservation des données privées de la législation islandaise. Les entreprises de télécommunications sont en effet légalement obligées de stocker les données personnelles des clients (nous), susceptibles donc d’une utilisation échappant à la connaissance des usagers. L’Union européenne, d’ailleurs, a tenté de faire adopter sa directive sur la conservation des données, dont l’IMMI avait empêché l’adoption une première fois.

L’IMMI promeut l’adoption de lois qui :
– exempteront les intermédiaires (médias dits « sociaux », blogs, forums, sites d’information…) de la responsabilité sur le contenu transféré ;
protégeront les lanceurs d’alerte et permettront la diffusion sécurisée des informations considérées pertinentes pour le public ;
protégeront les données privées et rendront illégale toute tentative d’un État d’obtenir et fouiller celles-ci et ceci, précise encore le communiqué de l’IMMI aussi bien pour « une start-up, un organisme de presse, un journaliste, un blogueur, un activiste ou un individu » ;
reconnaîtront le statut de sociétés virtuelles à responsabilité limitée, qui permettra à une entreprise de mettre son site à l’abri d’éventuelles tentatives de censure et de fermeture exigées par l’État, car « en vertu de cette loi, et s’il est enregistré en tant que Svrl et hébergé sur des serveurs islandais, ils ne seront pas en mesure de faire ».

L’IMMI participe à deux groupes de travail ministériels : l’un rattaché au Ministère de l’Industrie et de l’Innovation, l’autre à celui de l’Éducation et de la Culture. La levée doit garantir l’indépendance de l’institut d’avec le pouvoir politique et la continuation de ses activités en matière de recherches juridiques (internationales et islandaises), de recommandations aux parlementaires, de participation aux groupes de travail ministériels, d’information aux journalistes, blogueurs, militants relativement à leurs droits en Islande… Il reste donc encore beaucoup de travail et de pression citoyenne a exercer avant de pouvoir voir émerger lieu d’asile universel pour les lanceurs d’alertes ainsi que la législation qui va avec. Il est possible d’aider dès à présent cette institution sur IndieGogo.


Sources : Icelandic Modern Media Initiative / LaTribune.fr / Wikipedia (1) / LeDevoir.com / IndieGogo.

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