Source : Flickr.

Instagram, célèbre réseau social de photos et courtes vidéos aux quelques centaines de millions d’utilisateurs, prend aujourd’hui des allures de véritable plateforme d’e-commerce. Si dans le monde 600 millions d’utilisateurs sont actifs sur l’application chaque mois, la publicité et l’engouement des marques pour le réseau prend de plus en plus d’ampleur.

Zara, Daniel Wellington et H&M, grandes championnes de l’application

La start-up Lefty, qui met en relation entreprises et influenceurs pour des campagnes marketing sur Instagram, nous révèle par un tableau les marques ayant le plus de succès sur le réseau social. Le top 10 est ainsi tenu par Zara, Daniel Wellington, H&M, Nike, Adidas, Chanel, Dior, Mac Cosmetics… Les secteurs de la mode prêt-à-porter, du luxe et de la beauté comptent à eux-seuls plusieurs centaines de millions d’abonnés, soit une part non négligeable de l’ensemble d’Instagram. Le doux rêve d’un internet libre semble décidément bien loin. Ici, comme ailleurs, on vend du temps de cerveau disponible.

Dans les chiffres, on retiendra que 90% des marques du Top 100 Interbrand ont un compte Instagram. Dans la mode, Nike culmine à 70,1 millions d’abonnés, et Victoria’s Secret avec 52,7 millions d’abonnés. Aujourd’hui, le taux d’implication sur Instagram pour les grandes marques est 58 fois plus élevé que sur Facebook et 120 fois plus élevé que sur Twitter. Nul doute, Instagram est bel et bien un véritable outil marketing au même titre que la télévision ou les affichages de rue, dont les leaders du prêt-à-porter de la beauté et du luxe ne se privent pas d’utiliser à leur escient. Le plus interpellant, c’est qu’une part importante des utilisateurs vont d’eux-mêmes se soumettre à cette publicité, renforçant le pouvoir des multinationales alors qu’elles sont dans le même temps décriées pour leurs pratiques productivistes souvent trop peu éthiques.

Statistiques d’évolution des marques sur Instagram entre avril et mai 2016. Source : Influencia
Instagram : de la vitrine à l’achat en ligne. Source : Linkfluence.

Une popularité très loin d’être corrélée par leurs valeurs

Depuis 2015, le marché cosmétique de produits bio, cruelty-free et responsables est en régulière expansion. Dans un intérêt de commerce conscient et plus encore après les derniers scandales qui ont frappé le monde de la mode, le succès des marques plus éco-responsables ne se dément pas. Cependant, malgré une offre agrandie, des gammes étoffées et une augmentation du nombre de consommateurs, ces marques éco-responsables sont encore bien loin des géants que nous connaissons tous en matière de visibilité. Au contraire, il semble que moins les marques soient responsables, plus elles sont populaires.

Les facteurs de cette écrasante domination du marché sont simples : une force de frappe économique, des entreprises délocalisées sur des territoires où les conditions de travail des employés sont méprisées et une force communicationnelle en équation avec un système basé sur l’accumulation. Fashion, tendances, soldes, consommation… On nous fait croire que tous ces produits nous sont vitaux, tout en nous dissimulant le derrière des coulisses.

Une “surproduction de masse” en adéquation avec le système consumériste d’aujourd’hui et à l’origine de la crise écologique globale. Et tandis que le Black Friday s’impose cette année dans le paysage français, avec des records de vente – l’année dernière, les Français dépensaient près de 735 millions d’euros en ligne et 4,3 milliards d’euros en magasin en quelques heures seulement ! – les grandes industries du textile et du luxe récolteront le pactole. Pendant ce temps, l’économie locale, elle, peine toujours à maintenir la tête hors de l’eau.

Appel à l’aide retrouvé dans un vêtement de la marque.

Pourtant, ces géants du low-cost sont loin d’avoir les mains blanches, mais il semblerait que dès lors que les mots magiques “soldes”, “réduction”, “affaires”, “promotions” soient prononcés, la raison et les bonnes intentions s’envolent. En dépit de la crise écologique, le monstre productiviste avance et avale tout sur son passage. Primark, leader de ce monde du prêt-à-porter à petit prix, où les collections s’enchaînent aussi vite que les billets, en est la démonstration par excellence. La marque possède plus de 320 magasins à travers le monde, dont une dizaine en France. Pour un dernier chiffre d’affaires de 7 milliards d’euros, les conditions dans lesquelles les vêtements sont produits et distribués témoignent d’une industrie carnassière. Si en France les employés semblent éreintés, humiliés et souvent poussés à bout, il ne s’agit que d’une promenade de santé comparé aux conditions des “petites mains” à l’autre bout du monde, en Chine, au Bangladesh ou au Cambodge, souffrent d’une exploitation quasi-esclavagiste, loin des yeux du consommateur.

La publicité, cet anesthésiant sur nos consciences

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“On avait calculé qu’entre sa naissance et l’âge de dix-huit ans, toute personne avait été exposée en moyenne à 350 000 publicités. Chaque année, le budget mondial dépensé en publicité s’élève à 500 milliards de dollars. Une étude de l’ONU estime que pour réduire de moitié la faim dans le monde, 10% de cette somme suffirait.” 99 francs.

Introduite pour la première fois en 2004 par les neuroscientifiques américains Samuel McClure et Read Montague , la notion de “neuromarketing” s’applique aux techniques utilisées par les entreprises de publicité et de communication pour vendre un produit auprès du consommateur. Basées sur le levier des émotions, les images véhiculées dans les publicités tendent à nous manipuler – de façon consciente ou non – pour nous pousser à l’achat. Si certains, individuellement, peuvent se croire hermétiques à ces atteintes, la technique fonctionne très bien à large échelle. Les chiffres de ventes en attestent.

En sommes, plus l’image de l’objet que nous percevons est attractive, plus nous nous sentons le désir – ou le besoin ? – de l’acheter. Et cela, les multinationales sur Instagram l’ont bien compris. On parle aujourd’hui de “fétichisation de la marchandise” comme le suggérait déjà Karl Marx dans Capital. Et c’est cette cassure nette entre l’image du produit et ses conditions de production, censurées, modifiées, transformées par la publicité, qui permet à tout à chacun de tromper, voire d’anesthésier, la conscience d’une consommation irrespectueuse aussi bien de la terre que des hommes. Ainsi, à chaque image marquetée pour créer un nouveau besoin, on alimente le gouffre entre l’imaginaire et le monde bien réel.

La fabrique Nike Yue-Yuen en Chine – Page Instagram officielle de Nike – Boutique Nike en Argentine. Source : The Guardian / Instagram

Cependant, on remarquera tout de même la croissance d’un mouvement de résistance et de prise de conscience citoyen contre la lobotomie collective. A la Maison du Zéro Déchet, à Paris, s’organisait ainsi une journée de “résistance à la surconsommation” durant le Black Friday. Le but est bien entendu de sensibiliser les consommateurs sur les conséquences sociales et environnementales liées aux comportements de chacun. Le fait n’est pas d’inciter à consommer simplement “moins”, mais davantage à consommer en fonction de nos besoins réels.

Sur le net également, nombreux mouvements et groupes ont immergés dernièrement pour proposer de nouvelles alternatives de consommation plus respectueuses et faire un pied de nez aux géants de l’industrie du low-cost. À l’heure où la planète étouffe sous le poids de notre folie collective, l’éveil citoyen constitue le dernier rempart contre l’aliénation totale de l’individu. Certes, sur Instagram, entre les selfies et les publicités, résistent également nombre de photographes de qualité et d’utilisateur soucieux de transmettre un sentiment sincère ou partager leur amour de la beauté du monde. Combien de temps encore ?

Moro


Sources : Influencia / Digimind / Linkfluence / Stratégies

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