Les préparatifs des Jeux Olympiques 2016 inquiètent les « cariocas ». Ils se demandent si la ville sera prête, au vu des contretemps et des imprévus catastrophiques concernant certains travaux. Ils ont observé comment certaines parties de la ville s’embellissaient pour les JO, au prix d’un montant faramineux de 36 milliards de reals (9 milliards d’euros), alors que d’autres secteurs publics étaient laissés de côté. La plupart d’entre eux ne tirent aucun bénéfice du déroulement des JO á Rio, alors que quatre entreprises de construction se partagent les gains comme au Monopoly.

Le jour où la torche olympique s’allumait en Grèce pour être envoyée au Brésil, pays où se dérouleront les prochains Jeux Olympiques, deux vies s’éteignaient lors de l’effondrement d’une piste cyclable construite pour les JO 2016 à Rio de Janeiro. Le 21 avril en effet s’effondrait un tronçon de la piste cyclable Tim Maia qui longe la route allant de Leblon à Barra, suite à l’impact d’une très forte vague. « C’est impardonnable ce qui est arrivé » déclare le préfet de Rio, Eduardo Paes, le jour même de la tragédie dans un communiqué officiel. Le préfet transmet ses condoléances aux familles et celles-ci seront indemnisées quelques jours plus tard.

Pourtant, c’est cette même préfecture de Rio qui avait donné son aval pour la construction de la piste cyclable, quelques mois plus tôt, par l’entreprise Concremat. D’après les résultats de l’enquête de l’Institut de Criminologie Carlos Eboli, la structure de la voie n’était pas fixée aux piliers. Une erreur « primaire » selon le Président de l’Institut qui dénonce la sous-estimation réalisée du niveau et de la force des vagues à certains moments de l’année. Alors que l’enquête se poursuit pour déterminer le responsable au sein de l’entreprise engagée par la Concremat pour faire le calcul des structures de la passerelle et des piliers, le préfet admet sa responsabilité dans l’effondrement de la piste cyclable et la mort des deux cyclistes. « Je suis totalement responsable. En dernière instance, c’est la préfecture qui a exécuté ces travaux » déclare Eduardo Paes dans une conférence de presse le lendemain. Et alors que le président de l’entreprise municipale de surveillance des travaux Geo-Rio admet aussi sa responsabilité, cette « erreur impardonnable » n’a pourtant impliqué aucune démission.

jo_rio_magouilles2Source : GloboNews

Des travaux dispensés de procédures de concurrence

Effectivement, la préfecture est responsable d’avoir accepté le projet comportant des erreurs graves de calcul, mais pas seulement. La construction de la piste cyclable a été décrétée comme « urgente » et dispensée d’une procédure d’appel d’offres en application de l’article 24 de la loi 8.666 sur les dispenses d’appel d’offres. Pourtant si nous lisons la description des cas d’urgence prévus dans cette loi, cela se réfère à des situations où « est compromise la sécurité des personnes, la sécurité de travaux, de services, d’équipements et autres biens publics et privés, et celle-ci (la dispense d’appel d’offres) est uniquement réservée aux biens nécessaires à la résolution de la situation d’urgence et pour des travaux qui puissent être conclus dans un maximum de 180 jours ». On voit mal comment cette situation s’applique à la construction d’une piste cyclable pour des Jeux Olympiques prévus depuis au moins 6 ans, construction qui, paradoxalement, a provoqué une situation de mise en danger de personnes, de travaux et de biens publics.

Mais ce n’est pas nouveau ; cette clause d’urgence de travaux est très utilisée au Brésil pour dispenser de la concurrence certaines entreprises. D’après le site de la préfecture « Rio Transparente », parmi les 54 contrats menés par Concremat depuis l’entrée en fonctions du préfet Eduardo Paes en 2009, 25 (46,3%) ont été dispensés d’appel d’offres sous la clause d’urgence. C’est donc près de la moitié des travaux effectués par cette entreprise qui auraient été dispensés de procédures de concurrence.

Des intérêts privés au sein du gouvernement

Nous ne serons pas surpris d’apprendre aussi que la Concremat-Concrejato appartient à la famille du secrétaire municipal du Tourisme, Antônio Pedro Figueira de Melo, également trésorier des deux dernières campagnes de Paes. Bien que le secrétaire nie avoir accordé un traitement de faveur à l’entreprise de sa famille pendant son mandat, la proximité entre celui-ci et la BTP sont indéniables.

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Au Brésil, la connivence entre politique et entreprises de construction a été mise en évidence dernièrement avec l’opération Lava Jato, qui a mis à jour un schéma de corruption impliquant les dirigeants de Petrobras, des entreprises de BTP et le gouvernement. Les grandes entreprises de BTP déterminaient lors de réunions secrètes un prix surfacturé pour les contrats de travaux de Petrobras, compagnie publique. En échange, des commissions étaient réparties entre les dirigeants de Petrobras et les hommes politiques.

Cet arrangement entre secteur privé et public, révélé lors de l’enquête, montre un schéma de comportement en « cartel ». D’après le Ministère de la Justice brésilien(i), il s’agit d’accords explicites ou implicites entre concurrents, qui définissent des prix fixes, des quotas de production ou des limites de marché. Les cartels représentent une menace à la concurrence, pouvant ainsi entrainer des augmentations de prix ou des limitations d’offres. Dans le cas des cartels d’entreprises de BTP, la menace est d’autant plus grande qu’elle concerne les caisses de l’Etat.

Aujourd’hui les investigations se poursuivent et suggèrent que ces schémas de corruption ne se limitent pas à l’affaire Petrobras. L’entreprise Odebrecht, fortement impliquée dans le scandale, est présente dans 15 des 22 projets de construction pour les Jeux Olympiques. Comment ne pas suspecter un schéma de cartel similaire pour les JO quand on voit que ces travaux sont distribués entre les 4 plus grosses entreprises : OAS, Odebrecht, Camargo Correa et Andrade Gutierrez.  

jo_rio_magouilles3Source : Divulgação / Portal Brasil

Travaux pour les Jeux Olympiques : un comportement de cartel ?

Une nouvelle ligne de métro, un véhicule léger sur rails (VLT) au centre-ville, la construction du Porto Maravilha, la réforme du stade Maracaná… la liste des travaux pour les Jeux Olympiques est longue. Au total, le montant officiel des 10 principaux projets s’estime à 30 milliards de reals (soit presque 8 milliards d’euros).

En analysant la répartition de ces contrats, les auteurs de l’enquête « Os Donos do Rio » de l’institut Mais Democracia(ii) ont observé un schéma de distribution régulier entre les 4 entreprises sœurs, indicateur d’une possible entente secrète. Parmi tous ces contrats, au moins deux n’ont pas été soumis à la concurrence. Le Parc Olympique est issu d’un consortium entre Odebrecht et Andrade Gutierrez, seul candidat à l’appel à projets. Pour la construction du VLT c’est même un unique consortium des 4 entreprises qui s’est présenté à l’appel.

Outre cette répartition des contrats, les entreprises de BTP ont tendance à effectuer les travaux avec un budget final souvent gonflé. Par exemple, les travaux de la piste cyclable défectueuse ou de la nouvelle ligne de métro ont fini par coûter bien plus cher que prévu dans les contrats. Un ingénieur ayant travaillé sur la ligne 4 du métro nous a expliqué que lors de l’exécution des travaux, de nouvelles difficultés techniques étaient survenues, justifiant l’augmentation des coûts totaux de 7 milliards à 9 milliards de reals (soit de 1,8 milliards à 2,33 milliards d’euros). Bilan : plusieurs constructions ont pris du retard, notamment la ligne 4 du métro qui ne sera achevée que partiellement, et le VLT qui ne sera pas complètement terminé non plus.

Une complicité politique avec les entreprises de BTP

Pour Joao Roberto Lopes Pinto, professeur de Sciences Politiques de l’UNIRIO et co-auteur de l’article « Os Donos do Rio », les surfacturations de travaux, les retards et les distributions des contrats soulèvent une forte suspicion et justifient la mise en place d’investigations. « Ce sont des situations qui devraient être suivies de près par les autorités de la concurrence »

En mars 2016, une Commission Parlementaire d’Investigation (CPI) a été créée à la demande du député Jefferson Moura, suite à l’implication de l’entreprise Odebrecht dans le procès Lava Jato. Cette commission prétendait enquêter sur les contrats signés entre la Préfecture de Rio et les entreprises de BTP pour les infrastructures des Jeux Olympiques. Mais depuis sa création, cette Commission a été suspendue déjà 3 fois à cause de l’opposition de certains députés qui ont déposé des recours en justice. L’enquête est à ce jour paralysée. Mais pourquoi une enquête sur la conformité légale de contrats de travaux publics suscite-t-elle tant d’émotions et d’opposition ? Tout porte à croire que les intérêts des députés opposants seraient de préserver les entreprises de BTP de procédures d’investigation.

D’après l’Institut Mais Democracia, une étude faite sur le financement de la campagne des Députés Municipaux en 2006 montre qu’en investissant dans la campagne, les entreprises de BTP sont récompensées sous forme de contrats de travaux publics. « Pour chaque real donné à la campagne, l’entreprise de BTP reçoit en moyenne 6,5 reals, sous forme de contrat de travaux publics. » La connivence entre hommes politiques et entreprises de BTP est évidente lors des campagnes électorales : la corrélation entre le financement des campagnes des députés et leur opposition aux enquêtes judiciaires sur les BTP n’est donc pas anodine.

rIO-amnestySource : Klaus Petrus (Amensty)

Des entreprises intouchables

La puissance de ces entreprises de construction remonte aux années 60. D’après le travail de recherche du professeur Pedro Henrique Pedreira Campos pour l’écriture de son livre(iii), le traitement de faveur a commencé pendant la dictature militaire et plus précisément en 1969 avec un décret du président Artur Costa e Silva. Celui-ci décide à ce moment-là d’établir un protectionnisme autour des entreprises de BTP, ce qui leur permet de grandir. Par exemple, le géant Odebrecht n’était dans les années 60 qu’une petite entreprise de Bahia qui gagne le contrat de la construction du siège de Petrobras. Et cette symbiose entre public et privé se développe par le placement de militaires aux postes de direction des entreprises qui réalisaient les travaux d’infrastructures. Depuis, aucun gouvernement démocratique n’a réussi à réduire le pouvoir de ces grandes entreprises. Au contraire, celles-ci se sont adaptées à l’ouverture du marché en étant présentes à tous les niveaux, même dans le financement des campagnes électorales du pays.

Les JO de Rio de Janeiro : une version du Monopoly où 4 entreprises intouchables ont acquis un pouvoir économique et politique inébranlable. Leur force réside dans la complicité des institutions publiques, et c’est le pouvoir économique qui dicte les règles du jeu. D’autant plus que l’argent qui fait tourner le jeu vient des caisses publiques.

Ainsi, pour faire briller Rio de Janeiro face aux touristes et maintenir l’image de carte postale, les investissements se sont faits dans l’infrastructure des transports, dans les installations olympiques en créant une « Olympe » pour les entreprises de BTP. Pourtant, Rio vit une crise sociale et ces investissements ne résolvent en rien les besoins prioritaires de sa population. Depuis plusieurs mois, les fonctionnaires d’Etat ne sont pas payés, donc les hôpitaux publics sont débordés, les écoles et universités sont en grève. Si la crise économique a sa part de responsabilité, il est indéniable que la réponse des pouvoirs publics n’est pas adaptée.

Ici, les élites tirent leurs bénéfices des cartels : les politiques voient leurs campagnes électorales financées et en échange les entreprises de construction sont rémunérées sous forme de contrat. Des intérêts d’élites, car les hauts dirigeants du secteur public comme du secteur privé partagent dans les faits des liens interpersonnels, la corruption n’étant qu’une des formes de relations entre membres du gouvernement et entreprises.

Eva Bezit, étudiante à Sciences Po Toulouse

Isabel Hottelart, étudiante à Sciences Po Paris


Enquête : Eva Bezit et Isabel Hottelart / Sources : i « Combattre les cartels d’entreprises, Guide pratique pour les membres de commissions de licitation » publié par le Ministère de la Justice brésilien. / ii « Os Donos do Rio », Adriano Belisário, João Roberto Lopes Pinto, Rafael Rezende de l’Institut Mais Democracia. / iii Pedro Henrique Pedreira Campos, Estranhas Catedrais: as Empreiteiras Brasileiras e a Ditadura Civil-militar, 1964-1988, Edition EDUFF, 2014.

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