Alors que la cérémonie des Oscars 2016 se clôture, coup de projecteur sur une alternative éco-éthique lancée en 2009 par Suzy Cameron : la « Red Carpet Green Dress ». Le concept est simple : proposer à deux célébrités de porter une tenue 100% respectueuse des animaux et de l’environnement en collaboration avec des créateurs inspirés du monde entier. Un projet ambitieux qui vient donner du fil à retordre à la Haute Couture et tente d’introduire des notions d’écologie élémentaire dans cet univers parfois si loin des réalités.

Les grandes cérémonies hyper-médiatisées sont souvent des chancres d’une pollution qui l’est bien moins. Hymne à l’éphémère, tapis, flyers, banderoles, sacs promotionnels, cartes d’accès en plastique et toute la logistique qui entoure un évènement terminent rapidement leur route dans des décharges, quand ce n’est pas, quelques temps plus tard, dans l’océan. Une triste réalité déjà dénoncée dans le film Super Trash en France lors du Festival de Cannes, et peu connue du grand public. Mais cette année, aux Oscars, derrière les paillettes, les larmes et les sourires emprunts d’une certaine autosatisfaction, une discrète initiative écologique a vu le jour, mais fut tout aussi peu médiatisée.

Mettre les stars « au vert »

La « positive fashion », c’est ainsi que Suzy Cameron (épouse de l’illustre réalisateur James Cameron à l’origine de Titanic ou encore Avatar) décrit la mode telle qu’elle la conçoit. Une mode qui fait rimer esthétique avec éthique, donnant la priorité à une approche respectueuse de la nature et de l’environnement notamment dans les matières sélectionnées. Partant du constat que les soirées de remises de prix donnaient lieu à un défilé de tenues aux matières aussi luxueuses qu’éphémères, Suzy Cameron, qui tout comme son époux n’a jamais caché son engagement envers la cause environnementale, a lancé sur le tapis rouge son projet « Red Carpet Green Dress » (Tapis Rouge Robe Verte).

solar_james_cameronLes Cameron devant leur projet de « fleurs solaires« 

On le sait, les cérémonies telles que les Oscars, qui mettent tous les ans à l’honneur les célébrités occidentales de la planète se congratulant entre-elles d’être les meilleures dans leur domaine, riment avant tout avec élégance, glamour, nœuds papillons et robes de soirée. Une occasion pour les femmes du Septième Art de porter des robes de rêve, choisies parmi les collections des plus grands créateurs, et de se parer de mille feux, abusant de pierreries qui frôlent souvent l’indécence. Il en va de même avec les acteurs les plus en vue qui se mettent sur leur trentre-et-un à coup de tuxedos et de chaussures cirées. Il faut bien l’admettre, les considérations écologiques y sont donc très peu présentes, voire complètement inexistantes.

C’est face à ce constat que, depuis 2009, et à chaque cérémonie des Oscars, Suzy Cameron offre la chance à certains jeunes créateurs de mode engagés de proposer leurs modèles « eco » dans le cadre du concours Red Carpet Green Dress. L’idée de ce concours, qui prône des créations couture respectueuses de l’environnement, est née alors que Suzy Cameron parcourait les tapis rouges du monde entier au bras de son mari James Cameron, qui faisait alors la promotion de son film blockbuster Avatar. Elle était à la recherche d’une robe équitable pour la cérémonie des Oscars et, ne trouvant chaussure à son pied, elle a décidé de créer sa propre robe « verte » respectueuse de l’environnement.

Au-delà de son propre cas, elle se rend compte que peu de créateurs Haute Couture intègrent l’élément écologique dans leur processus de création, comme si l’urgence environnementale ne concernait que le « petit peuple » … Le concours Red Carpet Green Dress, met donc concrètement au défi les créateurs du monde entier de créer des tenues conçues entièrement à partir de matières, textiles et éléments respectueux de l’environnement. La compétition est internationale et ouverte à tous, tentant ainsi d’allier le monde de la mode (et tout ce qui en découle) à celui du développement durable. La création gagnante a par la suite l’honneur d’être portée par une célébrité surprise lors de la cérémonie des Oscars à Hollywood. La compétition permet, en outre, de réunir des fonds afin de financer des bourses d’études pour de jeunes enfants et adolescents défavorisés scolarisés à l’école MUSE en Californie, école dont Suzy Cameron est la marraine.

Suzy et son équipe : Kate Rubenstein, Jason Trotter, Andreea Radutoiu / Photo : trotterpr.com

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En 2014, c’est Alice Elia, une jeune étudiante française de l’école ESMOD Paris, qui remporte le concours. Son croquis d’une magnifique robe longue respectant les critères imposés a été sélectionné à sa grande surprise. Et c’est l’actrice française d’origine ukrainienne, Olga Kurylenko, qui a accepté de porter cette robe lors de la 86e cérémonie des Oscars. Car pour remporter le concours, la tenue homme ou femme doit être composée de matières et de tissus issus du développement durable et du commerce équitable sur base de règles strictes. Si l’utilisation de boutons, perles, sequins et paillettes reste autorisée, le créateur doit utiliser majoritairement des matières recyclées et recyclables, naturelles et biologiques, le tout issu du commerce équitable. Ces créations couture prenant en compte l’impact social et environnemental de l’industrie de la mode et cherchant à en diminuer les effets à court et à long terme se nomment l’ « eco-fashion », ou « green fashion ».

Si certains suggérons hâtivement qu’il peut s’agir d’une forme de greenwashing, l’objectif ici n’est pas de vendre un produit, mais de faire la promotion d’un nouveau mode de création à l’échelle mondiale, profitant des Oscars comme tremplin à cette médiatisation. En pratique, Suzy Cameron incite par ce biais les créateurs à  recourir à des matières naturelles dont l’impact sur l’environnement est le plus minime possible, en évitant, par exemple, les produits et teintures chimiques autant que les pesticides. Si les matières organiques les plus populaires sont le coton, la laine, la soie et le chiffon de chanvre, les tissus considérés comme véritablement durables proviennent de sources renouvelables comme le bambou et le soja.

Créatrice étudiante participant au projet / Photo :  ecouterre.com

On notera qu’en dépit de leur caractère « naturel », la laine, le cuir et la soie sont des matières issues de l’exploitation animale à une échelle industrielle. Les vers de soie, par exemple, sont bouillis vivants dans leurs cocons afin de récupérer et de filer leur soie. Des alternatives existent pourtant, depuis la soie à base de nylon, de polyester, de rayon, de fibres de graines de laiteron, d’arbre de bois coton (ou kapokier) et de filaments de ceiban, un arbre des forêts tropicales. À titre d’exemple, la robe créée par Alice Elia a été conçue en soie 100% certifiée bio respectant les critères ECOCERT. Elle a été teinte à la main à l’aide de Caesalpinia sappan, un légume d’Asie du Sud-Est connu pour pousser très rapidement et qui produit une teinture naturelle de couleur rougeâtre, puis reteintée à l’aide de racines de garance, une plante apportant un ton d’un rouge plus profond.

D’autres critères invitent les participants à s’assurer de la composition chimique des matières utilisées, que ces matières soient recyclables, que l’énergie utilisée afin de produire ces matières soit issue au moins à 50% de sources renouvelables, que l’usage de l’eau soit limité tout comme l’empreinte carbone et que l’impact social du produit garantisse un commerce équitable. Ce concours reçoit d’ailleurs tous les ans le soutien de partenaires tels que Greenpeace ou Earth Friendly Products. Mais aujourd’hui, l’univers de la mode reste ancré dans ses traditions de confection passéiste et est encore trop peu ouvert au changement. Des alternatives intelligentes et durables respectueuses de la nature, des animaux et des petites mains impliquées dans le processus de production existent pourtant, mais elles obligent les décideurs à revoir complètement la vision portée sur la création de leurs tenues.

Il faut savoir que l’industrie mondiale de la mode pour femme représentait à elle seule 568 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2014. La quantité de textiles présents dans les décharges de déchets américaines a augmenté de plus du quintuple depuis 1950 tandis que le caoutchouc et le cuir ont triplé. Chaque année, on estime que les producteurs de coton utilisent à eux-seuls près de 25% des insecticides employés dans le monde. L’Agence pour la Protection de l’Environnement estime quant à elle que 97% des textiles jetés aux ordures sont recyclables. Les consommateurs du seul Royaume-Uni auraient une valeur totale de 43 milliards d’euros de vêtements neufs qui dorment dans leurs placards. Par ailleurs, des millions de tonnes de textile sont gaspillés chaque année et détruits car teints dans la mauvaise couleur. Autant de chiffres alarmants qu’on ne peut se permettre d’ignorer.

« Ce qui était génial c’était que la vieille question à savoir “Que vas-tu porter ?” s’est transformée en une véritable conversation au sujet de l’environnement et des impacts de l’industrie de la mode, l’une des industries les plus polluantes au monde après les énergies fossiles et l’agriculture. Nous voulions montrer comment la mode pouvait être à la fois belle et durable, du croquis à la création finale, par le biais de matières écologiques, de teintures propres et de procédés de fabrication respectant l’humain. » explique Suzy Cameron. L’actrice Olga Kurylenko a quant à elle déclaré: « J’admire réellement le travail de Suzy, il est important de mettre en lumière le fait que nous devons tous nous soucier d’être plus écologiques. On ne perd ni en qualité ni en beauté. Il s’agit juste de réfléchir davantage. Cela prouve qu’il n’est pas nécessaire de tuer des animaux pour porter de belles choses. »

Pour la 88ème cérémonie des Oscars, ce sont cette année la mannequin Lily Cole et l’actrice Sophie Turner (Game of Thrones) qui portaient la “robe verte 2016” sur le tapis rouge. Si vous êtes inspirés, il vous est, en tant que simple citoyen ou créateur, à vous aussi possible de prendre part à ce concours annuel. Vous pouvez soumettre jusqu’à 5 croquis de tenues, avec un descriptif détaillé des matières utilisées et du processus de production envisagé. Les bénéfices de l’opération sont reversés directement aux enfants scolarisés de l’école MUSE.

muse_schoolPhotographie à la discrétion : museschool.org

Revoir le film « Super Trash »


Sources : redcarpetgreendress.com / huffingtonpost.com / vogue.co.uk

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