Mr Mondialisation met régulièrement en avant des entreprises engagées dans une démarche éthique de respect de l’environnement et des individus. Et ce dans le but de promouvoir des alternatives vertueuses et plus dignes que les pratiques des grands groupes dominant le marché que nous dénonçons régulièrement. Mais l’avenir s’annonce difficile pour la mode éthique, le secteur du prêt-à-porter français étant actuellement confronté à une crise d’ampleur. Explications

Le constat est inquiétant. Depuis un an, les faillites s’enchaînent dans le secteur du prêt-à-porter : plus de 1 000 entreprises fermées, 4 000 emplois détruits, vidant des centres-villes et centres commerciaux. Des marques historiques ont ainsi déposé le bilan.

Une crise implacable

Premier grand nom à tomber : le géant Camaïeu, liquidé en septembre 2022, entraînant la suppression de 2 600 emplois. En février 2023, l’enseigne Kookaï, les chausseurs André et San Marina étaient placés en redressement judiciaire, puis ce furent le tour de Gap France et de Kaporal en mars, de Don’t call me Jennyfer en juin et de Naf-Naf en septembre. Les marques Du pareil au même et Sergent Major se trouvaient également prises dans la tourmente. Plus récemment, Burton of London a été placée en liquidation judiciaire ce 13 février 2024. La marque Pimkie, rachetée en octobre 2022 par un consortium étranger, prévoit des fermetures de magasins et des suppressions de postes d’ici à 2027.

Wikimedia.

Le secteur de l’habillement se retrouve confronté à une crise d’envergure, combinant de multiples facteurs qui a explosé suite à la pandémie de Covid. Les périodes de confinement ont fragilisé les commerces qui ont dû fermer leurs portes tout en devant honorer le paiement des loyers et salaires. Et devant l’impossibilité de se rendre en boutique, la clientèle affluait en ligne. Mais les prémices de cette crise se faisaient déjà ressentir avant la survenue du Covid. Il faut aussi compter avec la concurrence des très polluantes marques de fast-fashion (H&M, Zara) et d’ultra fast-fashion (PrettyLittleThing, Shein). Avec leur prix extrêmement bas, ces enseignes ont su capter l’attention des consommateurs qui ont progressivement changé leurs habitudes d’achat.

Un changement qui s’est trouvé renforcé par l’inflation, contraignant les consommateurs à réduire leur budget habillement et à délaisser les enseignes « moyen de gamme ». Avec cette baisse de la consommation, les marques ont en plus subi une hausse des prix de leurs matières premières et de l’électricité. Un cocktail déjà explosif auquel l’économiste Philippe Moati ajoute un retard sur l’e-commerce, le marché de la seconde main et une offre trop importante pour une demande se contractant.

La mode éthique impactée

Et si des géants bien établis sont impactés, les marques éthiques ne sont pas plus épargnées, bien au contraire. Sur LinkedIn, le fondateur de la marque de baskets Perus, Nicolas Langlois d’Estainot a annoncé, début mai, la fermeture prochaine de son entreprise après presque 10 ans d’existence. Malgré une montée en gamme et une relocalisation de la production en Europe, l’entreprise n’a pas résisté à la crise.

Nous avons échangé avec Pierre de Gratitude, (entreprise de vêtements en lin made in France que nous vous avions présentée), qui nous confié son inquiétude face à cette hécatombe touchant de dizaines de jeunes marques éthiques : « Très récemment j’ai vu les marques Viahejo, Dialogue, Resap, Marjeanne, Blaune, Perus qui ont fermé boutique. Et ce qui est dommage, c’est que beaucoup d’entreprises avec le même combat ferment, sans communiquer un seul mot sur cette raison. »

Crédit Photo ©Gratitude

« Et à une échelle plus industrielle, notre partenaire LINportant a été mis en liquidation judiciaire le 15 décembre 2023. Le groupe Emanuel Lang, pionnier du tissu français pour la mode, a également été liquidé en septembre 2023. Fin 2023, l’atelier Tekyn, qui assurait la coupe de 50 % des jeans de la marque française 1083, a été placé en redressement puis en liquidation judiciaire. Même Le Slip Français, leader incontesté de ce domaine, rencontre de nombreuses difficultés à trouver son modèle. »


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Pour trouver un nouveau souffle, Le Slip Français, fer-de-lance du 100% Made in France, a en effet été obligé de casser ses prix.

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Et Gratitude, l’entreprise fondée en 2019 par Pierre et son frère Jean n’est pas à l’abri. Âgés de 19 et 21 ans, les deux frères étaient encore étudiants lorsqu’ils se sont lancés dans l’aventure en septembre 2019. Pendant quatre ans, ils ont réussi à faire vivre leur entreprise sans se rémunérer en gardant un travail en parallèle. Un moyen d’assurer leurs arrières et de se donner le temps de pérenniser la marque. Mais la donne a changé en 2023 comme nous l’a expliqué Pierre :

« En septembre dernier, je suis passé à temps plein sur Gratitude et je me suis renseigné sur la santé du secteur textile. C’est là que j’ai constaté l’hécatombe à la fois chez des grandes marques, des marques éthiques et dans le secteur industriel. Cela a été comme une sonnette d’alarme qui nous incité à revoir notre modèle pour trouver un équilibre plus viable. Nous avons changé d’ateliers (du moins ceux qui n’avaient pas fait faillite) pour d’autres sur Paris. On source du tissu en lin revalorisé pour proposer des produits qui nous permettent enfin de nous rémunérer. C’était ça ou mettre fin à l’activité. »

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En dépit de la volonté affichée par le gouvernement de réindustrialiser la France, et des subventions en ce sens, « les carnets de commande ne se remplissent pas suffisamment. » déplore Pierre. Pour sauver le secteur, il espère que les consommateurs réapprendront à acheter moins mais de meilleure qualité, « à penser local pour faire des cadeaux à Noël » par exemple. Malheureusement, les ménages eux-mêmes sont en peine de moyens financiers alors difficile d’agir à petite échelle.

Un autre moyen de valoriser et soutenir les marques éco-responsables serait l’instauration d’une « TVA éthique » réduite à 5,5% comme une pétition le propose. Une incitation positive, bénéficiant tant au consommateur qu’aux entreprises concernées, contrairement au malus écologique de la proposition de loi visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile adoptée à l’Assemblée nationale le 14 mars dernier.

– S. Barret


Photo d’en-tête ©Gratitude

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