La région du Kurdistan est plus que jamais confrontée à une pénurie énergétique problématique et l’énergie solaire pourrait représenter une solution durable sans de lourds investissements. Tandis que les problèmes énergétiques dans le sud et le centre de l’Irak ont été particulièrement médiatisés dans le contexte des tensions entre les États-Unis et l’Iran, peu d’attention a été accordée à la question énergétique dans la région du Kurdistan pourtant centrales dans les conflits géopolitiques. Le Kurdistan irakien est pourtant depuis des années vulnérable à l’insécurité quant à son approvisionnement énergétique. La région a notamment vu ses besoins augmenter ces dernières années du fait de l’accueil de nombreux réfugiés venus de Syrie en son territoire. Le solaire est-il la solution ?
Les besoins en énergie du Kurdistan sont jusqu’à maintenant principalement assurés par l’importation de gaz naturel iranien, potentiellement compromise à l’avenir par les tensions grandissantes entre l’Iran et les États-Unis avec le risque d’une nouvelle guerre. Pourtant, les États-Unis ont le 15 Juin dernier décidé de renouveler l’autorisation accordée à l’Irak d’importer le gaz naturel iranien. Mais avec l’assassinat du puissant général iranien Qassem Soleimani, tout peut s’effondrer d’un moment à l’autre.
La pénurie énergétique au Kurdistan n’est pas un problème nouveau et subsiste avec plus ou moins d’intentisé depuis les années 90. Elle est notamment le résultat principal des difficultés financières rencontrées par les gouvernements régionaux successifs. Au cœur du problème demeure « la dette circulaire » : le gouvernement régional s’est montré incapable de rembourser les producteurs d’électricité indépendants, qui eux-même ne parviennent ainsi pas à payer le carburant nécessaire au fonctionnement de leurs centrales électriques.
Outre ces considérations, les conflits politiques entre le gouvernement régional du Kurdistan et l’Etat fédéral nourrissent cette insécurité. Cet antagonisme est lié à l’incapacité de la région du Kurdistan à livrer le nombre de barils de pétrole prévus par le budget fédéral. Le mois dernier, certains membres du parlement fédéral irakien ont alors accusé le gouvernement régional de trahison et ont appelé à une coupe de salaire des habitants kurdes. Dans le futur, cela pourrait d’autant plus compromettre le remboursement des dettes redevables aux entreprises internationales d’énergie ainsi que le développement énergétique de la région.
Enfin d’un point de vue technique, l’isolement géographique de certaines zones de la région complique la transmission et la distribution d’électricité, comme l’explique Robin Mills, PDG de l’entreprise de conseil énergétique au Moyen-Orient Qamar Energy.
Les renouvelables au secours du pays
Le Kurdistan a ainsi depuis des années investi dans les énergies hydrauliques. La région est notamment entièrement reliée aux barrages de Dokan et de Darbandikhan, construits dans les années 50s. Ces barrages couvrent trois des quatre gouvernorats de la région du Kurdistan – Duhok, Erbil et Silemani -, et leur production varie chaque année, souvent en-dessous de leur niveau opérationnel. À ce titre, aucune nouvelle centrale hydroélectrique n’a été commissionnée depuis des décennies. Cette situation a perduré jusqu’en janvier dernier lorsque le gouvernement régional du Kurdistan, le gouvernement fédéral d’Irak et la Turquie ont décidé de construire trois grands barrages dans la région, près de la frontière turque. Cependant, le plan initial annoncé par le gouvernement régional du Kurdistan – qui prévoit la production de 14 TWh d’énergie issue de l’hydroélectricité – est compromis, principalement en raison de difficultés financières, de pénurie d’eau et de problèmes liés à la sécurité des frontières entre le Kurdistan, la Turquie et l’Iran. Comme l’explique Harry Istepanian, chercheur au sein de l’Iraq Energy Institute, « les deux voisins régionaux ont par le passé exposé leur réticence à fournir le carburant, l’électricité et l’accès à l’eau pour exercer une pression sur les fractions militaires kurdes, et afin que le gouvernement régional ré-rembourse ses dettes pour l’achat d’électricité et de carburant. »
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Dans ce contexte, le Kurdistan irakien a développé un fort intérêt pour des sources d’énergies renouvelables et indépendantes. L’énergie solaire pourrait représenter une opportunité sans précédent. La région du Kurdistan en Irak est particulièrement ensoleillée, avec un rayonnement solaire journalier moyen situé juste en dessous de celui de la Californie. Outre cette considération, l’énergie solaire représente un coût bien inférieur aux centrales thermiques et peut être facilement distribuée dans les zones isolées du Kurdistan.
L’utilisation de l’énergie photovoltaïque au Kurdistan n’a à présent pas atteint l’étendue de son potentiel. Seulement trois parcs solaires, avec une faible capacité de 500 kilowatts, ont été installés et développés par des investisseurs privés. Tout reste à faire !
Le nouveau ministre fédéral irakien de l’électricité, Dr Lua Al-Khateeb, a annoncé le nouvel objectif d’ajouter 500 MW en énergie solaire chaque année en moyenne, cependant une telle initiative n’a pas été imitée par le gouvernement régional du Kurdistan. Investir dans l’énergie solaire constituerait néanmoins une opportunité unique afin d’augmenter le rôle du secteur privé ainsi que de réduire les pressions exercées sur le domaine public, et ce notamment en vue des récentes avancées technologiques et de la diminution des prix dans le domaine solaire. Selon Harry Istepanian, « le gouvernement régional a de nombreux intérêts à encourager des projets d’investissement par des capitaux privés dans ce domaine. »
Même si cette alternative n’est à présent pas plus populaire que des générateurs diesels privés, des projets d’investissement basés sur l’énergie solaire – notamment dans les camps de réfugiés de la région de Dohuk, accueillant plus de 400.000 déplacés – ont été initiés, issus d’une coopération entre des entreprises internationales et des partenaires locaux.
De nombreuses réformes législatives et économiques restent néanmoins nécessaires pour normaliser l’utilisation de l’énergie solaire dans la région. Cela inclut la mise en place de réformes tarifaires pour pallier l’écart entre l’offre et la demande. Selon Robin Mills, le principal défi tient en la mise en place d’un modèle d’investissement raisonnable soutenu par un mécanisme de paiement fiable. Comme le précise Harry Istepanian, “le vol endémique et le comptage d’énergie sont parmi les nombreux problèmes techniques qui devront être adressés en amont à la mise en place de panneaux solaires.”
Afin d’initier une transition durable vers l’énergie solaire, les consommateurs et les producteurs d’énergie indépendants ont ainsi besoin de créer des incitations financières, ainsi que des mécanismes politiques crédibles dans la région. Le prix de la stabilité économico-sociale du Kurdistan semble en dépendre. Une transition vers l’énergie solaire a le réel potentiel de se développer en solution durable sur le long-terme, et ce une fois ces profondes réformes mises en place grâce à l’actif soutien de la population kurde.
Chloé Bernadaux
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