En 2015, Mr Mondialisation vous présentait « Lilo« , un moteur de recherche solidaire qui permettait à son utilisateur de récupérer une partie des revenus générés par sa recherche sous forme de « gouttes » pour les redistribuer ensuite à des projets sociaux et environnementaux de son choix. Recherche après recherche, les gouttes d’eau se sont accumulées en un océan de quatre millions d’euros. Une somme qui a permis de financer de nombreuses associations. Retour sur ce succès avec Sophie Bodin, présidente de Lilo.
Mr Mondialisation : Bonjour Sophie, et félicitations pour ce succès ! En six ans, Lilo a déjà récolté quatre millions d’euros, un chiffre impressionnant pour un projet parti de zéro. Que ressentez-vous devant ce résultat ? Comment l’équipe vit-elle ce succès ?
Sophie Bodin : Nous sommes une équipe de passionnés ! Six ans déjà ! Le « petit poucet du web » comme nous a surnommé France Inter, fait son bonhomme de chemin. Et faire son bonhomme de chemin, quand on s’appelle Lilo, ça veut dire 1-se développer pour 2-soutenir toujours plus les associations, ONG et médias indépendants. Financer et promouvoir des projets sociaux et environnementaux ce n’est pas un « supplément d’âme ». C’est le cœur de notre mission.
Que l’on vienne sur Lilo parce qu’on cherche une alternative à Google, ou parce qu’on suit une association, le point commun, c’est l’envie d’agir à son échelle. En tout cas, créer un moteur de recherche alternatif pour permettre à chacun, quels que soient ses moyens, de soutenir des associations de son choix, ça n’allait pas forcément de soi (d’ailleurs à l’époque, Mr Mondialisation aviez repéré l’initiative et contribué à la faire connaître !). Le 1er million d’euros collectés sur Lilo était un beau signal, pour tous ceux qui ont cru en Lilo dès le début. Ce nouveau cap (4 millions) est un nouvel encouragement à aller plus loin.
Mr Mondialisation : Vous avez débuté avec le handicap de vous démarquer des autres géants du moteur de recherche (Google, Yahoo, Bing) qui phagocytent tout l’espace. Un défi relevé via le bouche à oreille et des médias engagés. Comment votre courbe d’utilisateurs a-t-elle évoluée ? De façon régulière ou des événements ont-ils provoqué des pics d’affluence ?
Comme vous le soulignez, Lilo grandit par la force du bouche-à-oreille et grâce aux médias engagés qui choisissent d’en parler. Ce qu’on observe, c’est que certains événements génèrent des pics d’affluence, lorsque nous alertons notre communauté sur l’urgence à soutenir une cause par exemple.
Je vais prendre un exemple concret, qui m’a marquée : l’opération Nyamba, de Sea Shepherd France. A Mayotte (101ème département français), le lagon est en train de mourir sous nos yeux. En cause, le braconnage de l’espèce clé-de-voute du lagon : les tortues. « Espèce clé de voute », ça signifie que si l’espèce disparaît, tout l’écosystème du lagon s’effondre. Dans un contexte où les pouvoirs publics, sur place, sont inefficaces, une seule solution : organiser des patrouilles de nuit pour dissuader les braconniers. C’est ce que fait Sea Shepherd France. Et ça marche. Lilo a relayé l’appel de Lamya (Présidente de Sea Shepherd France) à financer ces patrouilles. Les internautes ont répondu présents. Leurs recherches sur Lilo pour soutenir l’opération Nyamba ont permis de financer l’équivalent d’un an de patrouilles.
Cela ne doit pas pour autant gommer le « mur » Google qui se dresse face à nous. Son hégémonie est encore plus marquée en France qu’elle ne l‘est aux États-Unis (90% des Français utilisent Google – jusque 97% sur mobile !). C’est hallucinant, et complètement à rebours des aspirations communément partagées d’un monde plus résilient, dont le local et l’humain sont les maîtres-mots. Tout le paradoxe, c’est que lorsqu’on leur présente Lilo (l’IFOP a fait le test avec une étude représentative), 8 Français sur 10 ont envie de l’essayer parce qu’ils apprécient le modèle (en particulier le fait de pouvoir financer gratuitement des projets sociaux et environnementaux – mais pas uniquement !).
Mr Mondialisation : Maintenant, comment pensez-vous continuer à élargir votre audience qui compte actuellement 700 000 utilisateurs pour arriver à la barre symbolique du million ?
Nous avons hâte de franchir le cap du 1er million d’utilisateurs. Pas tant pour le symbole, que pour l’impact positif associé, qui est notre raison d’être. Il y a 54 millions d’internautes en France. Peu de Français connaissent Lilo. J’irais même plus loin : peu de Français savent tout simplement que l’on peut choisir son moteur de recherche. Tout est fait pour les en détourner. Sur mobile par exemple (la majorité du trafic Internet), Lilo est disponible via ses applications IOS et Android. Mais imaginons que vous vouliez faire de Lilo.org le moteur de recherche par défaut de votre téléphone, c’est une autre affaire…
Jusqu’à très récemment encore, Google se faisait rémunérer par les moteurs de recherche alternatifs qui souhaitaient apparaitre dans son « menu de préférences » Android. Un comble, quand on sait que ce menu résulte justement d’une sanction de la Commission européenne pour abus de position dominante. Mais il n’y a pas que les barrières à l’entrée.
Les GAFAM mettent en place des dispositifs pour essouffler l’usage de moteurs de recherche alternatifs. Par exemple, des pop-up de paramétrages qui fleurissent fortuitement et incitent l’internaute à revenir un autre moteur de recherche…
Comme si utiliser un moteur de recherche alternatif revenait à s’être perdu et qu’il était temps de rentrer à la maison ! Nous recevons régulièrement les courriels d’utilisateurs confrontés à ce cas de figure. Si je transposais cet exemple à la presse, c’est comme si une pop-up s’affichait régulièrement au beau milieu de la lecture d’articles de Mr Mondialisation, pour inviter l’internaute à privilégier d’autres canaux d’informations.
Mr Mondialisation : Parmi les projets qui ont été financés, lesquels vous ont particulièrement marqués ?
Dans l’équipe, chacun répondrait différemment à cette question. Et c’est parfaitement à l’image de notre approche du « monde de demain » – pour paraphraser une expression très employée. Chez Lilo, on est convaincu qu’il n’y a pas une mais plusieurs réponses aux enjeux sociaux environnementaux de notre époque. Le fait de pouvoir soutenir celle(s) qui nous correspond(ent) le plus, individuellement, est important. C’est un catalyseur. La force de la communauté fait le reste.
Mr Mondialisation : Quatre causes ont particulièrement été soutenues : la protection de la biodiversité, celle des animaux maltraités, l’accompagnement de personnes malades, le développement de modèles de productions locales et autonomes. Que vous inspire cette tendance ?
C’est exact. On a voulu voir ce que reflètent les dix projets les plus soutenus sur Lilo. La protection de l’environnement a toujours été un sujet majeur sur Lilo.org. De même, l’accompagnement de personnes malades et la cause animale sont des piliers. La création de modèles de productions locales et autonomes est en plein essor. On la retrouve parmi les dix projets les plus soutenus sur Lilo. Je pense par exemple à Terre de Liens qui sauve les parcelles agricoles de la prédation immobilière pour développer l’activité de paysans qui cultivent en bio.
Mais la création de modèles alternatifs touche tous les domaines. Que ce soit au travers de mouvements très étendus, ou d’initiatives locales voire micro-locales, on sent un appétit de construire, de créer de nouveaux modes de vie, de production et de partage de connaissances. Ces projets se concrétisent dans des « choix » de vie comme celui de Camille, Polytechnicienne, qui faisait 2h de RER par jour pour aller travailler, et a tout plaqué pour construire un projet d’habitat écologique et partagé avec le Mouvement Colibris.
Mr Mondialisation : A présent, comment voyez-vous le développement futur de Lilo ? Pensez-vous à développer d’autres applications qui pourraient compléter le moteur de recherche ? Ou une possibilité de toucher plus d’internautes ?
Ma préoccupation, en tant que « chef de file », c’est de continuer à faire grandir le moteur de recherche Lilo pour financer toujours plus de projets engagés, de le faire connaître et franchir le « mur du son ». Pour ça, je prends (aussi) mon bâton de pèlerin, aux côtés d’autres moteurs de recherche alternatifs, pour alerter la Commission européenne sur la situation de monopole de Google, et ses manifestations concrètes. On ne va pas se mentir : c’est David contre Goliath. Mais il ne faut pas lâcher.
Mettre l’économie numérique au service des enjeux sociaux environnementaux de notre époque (notre mission), implique de se diversifier. Alors que les achats en ligne se développent, nous nous sommes attaqués à la formule « cashback » pour en faire autre chose qu’un ticket pour consommer toujours plus. En l’occurrence : la possibilité de soutenir des associations de son choix avec ses achats courants en ligne. Les premiers utilisateurs de Lilo Achats Solidaires (accessible quel que soit son moteur de recherche) ont déjà collecté près de 300 000€.
Mr Mondialisation : Avez-vous un message particulier à faire passer à nos lecteurs ?
Choisir, c’est voter pour le monde dans lequel on vit. Choisissez votre moteur de recherche, plutôt que d’en utiliser un « par défaut ». Et si c’est Lilo.org vous ferez plus d’une heureuse !
Merci à Sophie Bodin d’avoir pris le temps de nous répondre !
S. Barret
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