Mathieu Courdesses, photographe de profession, se rend dans les endroits les plus sauvages de la planète pour y photographier les espèces en voie de disparition et comprendre les enjeux environnementaux liés à leur survie. Des voyages dont il ressort à la fois émerveillé et pessimiste quant au sort réservé à la faune par l’Homme. Par le passé, il s’est rendu à la rencontre des orangs-outangs à Sumatra, des ours au Canada, des lions et des éléphants en Namibie. Un récent voyage l’a mené au Rwanda avec la réalisatrice Charlotte Cayre Tisseyre. Il nous en livre le récit.

En me rendant au Rwanda avec Charlotte Cayre Tisseyre, nous nous apprêtions à réaliser un rêve d’enfant : photographier et filmer les derniers gorilles des montagnes. C’est une des rares espèces qu’il est impossible de voir dans les parcs ou zoos car ces sédentaires sont bien trop attachés à leurs volcans, aux montagnes et à la brume matinale d’Afrique de l’Est. Déplacez-les : ils mourront. Un formidable bras d’honneur à toutes les prisons animales que l’on retrouve un peu partout en Europe.

Mais dans un pays qui a connu un génocide en 1994 opposant des hommes et des femmes d’un même pays, difficile de construire une politique environnementale. Les priorités sont souvent ailleurs. Il est encore plus compliqué de demander à ces pays des efforts écologiques quand pendant des années, l’Europe s’est gavée sur leurs richesses. Et pourtant… J’ai été impressionné de voir tout au long de mon voyage l’engagement et la volonté du gouvernement rwandais. Ce sont d’ailleurs les femmes rwandaises qui sont aux commandes de certains postes importants du pays.

Un gorille. Photographie Mathieu Courdesses

Le parc d’Akagera

Nous avons commencé notre périple dans le Parc d’Akagera. Un parc qui a vu tous ses lions, lycaons, rhinocéros et girafes être tués pendant les guerres civiles du génocide. Un nombre impressionnant d’antilopes et d’éléphants ont aussi disparu du parc. Les villages à côté chassaient la viande de brousse pour se nourrir et revendre les peaux. Aujourd’hui, le parc a réintroduit des lions (venant d’Afrique du Sud) et des rhinocéros noirs (venant de quatre zoos européens) pour recréer un écosystème et faire venir les touristes petit à petit.

Tous les jours une équipe de 82 rangers et vétérinaires veillent à la santé des nouveaux animaux du parc. Ils sont observés, protégés et étudiés grâce à des colliers émetteurs placés autour du cou de certains lions et dans la corne des rhinocéros. Seuls les rangers ont le droit d’avoir les informations de la géolocalisation des espèces. Pour le plus grand malheur du photographe et de la réalisatrice qui, après 3 jours de traque, n’auront ni trouvé les lions, ni les rhinocéros. C’est le jeu !

Un hippopotame. Photographie Mathieu Courdesses

À l’intérieur du Parc, très peu de lodges. Une poignée d’infrastructures accueille les visiteurs en leur proposant des safaris le matin, l’après-midi et le soir. Dans ces lodges, pas de sac plastique, des panneaux solaires pour l’énergie, un nombre limité de tentes pour éviter de reproduire les erreurs du Kenya et de la Tanzanie où 25 voitures encerclent un seul pauvre lion. De plus, tous les bénéfices liés au tourisme vont aux populations des villages avoisinant le parc pour leur faire prendre conscience de l’importance du tourisme comme vecteur de développement pour la région d’Akagera. Étrange paradoxe si on prend en compte les émissions carbones du tourisme. Pourtant, la survie des populations locales comme des animaux en dépend.

Le parc des volcans

Des heures de marche dans la jungle du parc des volcans pour finalement rencontrer deux familles de gorilles en deux jours. Il est difficile d’expliquer avec des mots ce qu’on ressent en face de ces animaux. Ils sont les rois de leurs montagnes, imperturbables et fiers. Pour le commun des touristes, le prix pour observer les gorilles des montagnes pendant une heure est de 1500 dollars !

Des gorilles. Photographie Mathieu Courdesses

Une fortune ? oui c’est vrai. Mais laissez-moi vous en dire un peu plus sur ce coût. Quand nous partons dans la jungle nous sommes accompagnés d’un ranger et de pisteurs. Dans la jungle, d’autres pisteurs sont déjà sur place et ont recherché les gorilles très tôt le matin. Ces traqueurs/pisteurs, armés de kalashnikov, sont généralement d’anciens braconniers reconvertis. Aujourd’hui, ils sont les gardes du corps des gorilles et le gouvernement leur offre un salaire fixe, la possibilité d’être dans la légalité et de préserver leur patrimoine environnemental. Après l’heure passée avec les gorilles, les pisteurs restent avec la famille. Ils rôdent, surveillent les alentours, débusquent et détruisent les pièges éventuels.

L’argent du permis d’entrée de parc est aussi redistribué aux populations proches de la jungle pour qu’elles puissent elles aussi prendre conscience de la puissance économique de leurs gorilles et par conséquent ne pas détruire leur habitat. Est ce que ce système paradoxal fonctionne ? il n’y a pas eu le moindre braconnage depuis 2002 et la population des gorilles des montagnes ne cesse de croître au Rwanda, en Ouganda et au Congo. Pour mémoire, à l’époque de Dian Fossey, primatologue spécialiste des gorilles, 200 individus ont été tués en 15 ans. Et Dian Fossey refusait que les touristes s’approchent de « ses » gorilles.

Un jeune gorille. Photographie Mathieu Courdesses

Moralité, on constate sur le terrain que la disparition du braconnage doit passer par le dialogue, la compréhension des problématiques des acteurs locaux couplés à d’excellentes connaissances sur les espèces concernées.

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La forêt de Nyungwe

Les dernières colonies de chimpanzés et de colobes vivent dans la forêt impénétrable de Nyungwe. Les plantations de thé menacent l’habitat de ces primates qui, pour les chimpanzés, partagent plus de 98% d’ADN commun avec l’Humain. Après trois heures de marche, nous les avons trouvés. Ils nous ont offert un spectacle incroyable entre ombre, lumière et cris assourdissants. Les agriculteurs proches de la forêt, touchent eux aussi des revenus sur les entrées de Parc. Des éco-lodges se sont installées ça et là dans les forêts. Comme à Akagera, les infrastructures touristiques du Sud-Ouest du Rwanda s’adaptent au paysage boisé de la région, utilisent des panneaux solaires et prohibent l’utilisation du plastique.

Un colobe. Photographie Mathieu Courdesses

Résultats, plus d’une vingtaine d’oiseaux sont endémiques à Nyungwe (dont le magnifique Touraco, que je n’ai malheureusement pas trouvé… ), 14 espèces de primates y sont visibles (la plus grosse concentration d’Afrique), les populations de chimpanzés et de colobes augmentent et un nouveau parc va s’ouvrir aux touristes où une nouvelle colonie de chimpanzés a été découverte ! Alors qu’on les pensait disparus dans cette région du Rwanda.

Un chimpanzé. Photographie Mathieu Courdesses

L’école d’Ahazaza

La protection animale doit passer par l’éducation et l’école. Après nos trois expéditions, Charlotte et moi sommes allés à l’école d’Ahazaza pour parler aux enfants de ce que nous avons vu : des animaux menacés mais désormais préservés grâce au tourisme durable et à la prise de conscience des Rwandais. Je parle souvent en conférence pour sensibiliser les Français sur l’importance de préserver certaines espèces animales à travers le monde, mais à l’école d’Ahazaza j’avais vraiment l’impression de toucher directement les acteurs de l’environnement de demain. Peut-être qu’en face de moi, j’avais de futurs rangers, guides, vétérinaires, directeurs(trices) de parc, peut être même le/la futur(e) ministre de l’environnement, du tourisme et qui sait : peut être le prochain président du Rwanda…

Un troupeau de buffles. Photographie Mathieu Courdesses

Nous leur avons donc fait voir nos photos et quelques vidéos pour les amuser et leur montrer la beauté de leur pays. Car oui, au delà de sa faune exceptionnelle, le Rwanda, pays « aux mille collines », est définitivement accueillant et somptueux avec ses jungles, ses vallées, ses rizières, ses plantations de thé, et ses volcans… La haine et le sang liés au génocide ont laissé place à un amour incommensurable pour la nature, la faune et la flore. « Les Gorilles ce sont nos frères » nous disait Patience, un des guides.

Mathieu Courdesses

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