Après 19 années d’instruction, la Cour de cassation a annulé définitivement les mises en examen dans le scandale de l’amiante, à laquelle avait été exposés des salariés de l’usine Ferodo-Valeo de Condé-sur-Noireau, dans le Calvados, dont plus de trois cents se sont vu reconnaître des maladies professionnelles. Ces mises en examen concernaient des industriels, des scientifiques, des membres du ministère du Travail et des responsables syndicaux réunis au sein du sinistre comité permanent amiante (CPA). Une décision qui a scandalisé les associations de victimes, dont 100 000 seront décédées d’ici à 2025.

La fibre tueuse

Constitué en 1982, période pendant laquelle les preuves de l’extrême toxicité de l’amiante s’accumulaient, le CPA a eu comme seul objectif de faire du lobbying afin que l’utilisation de la « fibre tueuse » dure le plus longtemps possible. Et il a été malheureusement très efficace, réussissant à faire repousser l’interdiction en France jusqu’en 1997, plusieurs années après de nombreux autres pays (comme l’Italie ou la Norvège), et surtout, des décennies après les première preuves de la cancérogénicité de l’amiante. Le CPA, véritable relai médiatique et politique des fabricants d’amiante, fut dissout en 1995 devant l’ampleur du scandale.

L’amiante fut interdite à partir des années 1980 en Europe mais continua à faire plusieurs dizaines de milliers de victimes. Selon les estimations, le matériau a fait entre 61 000 et 118 000 morts entre 1995 et 2009. La fibre se trouve toujours cachée dans de nombreux matériaux de construction, parquets, plafonds, murs… Elle pourrait provoquer d’ici à 2050 (2025 selon les plus pessimistes) entre 68 000 et 100 000 morts en France (Source Haut Conseil de la santé publique). Un tueur silencieux et difficile à détecter. Nous avions rédigé un historique plus détaillé dans un précédent article.

Un scandale sanitaire sans coupable

Ce nouvel acquittement fait suite à celui, choquant et spectaculaire, dont a bénéficié en Décembre 2014 le milliard suisse Stephan Schmidheiny, accusé de la mort de 3 000 personnes en Italie dans le plus gros scandale européen lié à l’amiante. Maigre consolation, le même jour, la Cour de cassation a cassé deux décisions d’annulation de mises en examen, dans les affaires du campus universitaire parisien de Jussieu et des chantiers navals de la Normed à Dunkerque, renvoyant ces dossiers en Cour d’appel. Deux petites raisons d’espérer que Justice soit faite…

Les accusés dans le procès de Condé-sur-Noireau étaient poursuivis pour homicide et blessures involontaires, des poursuites engagés par l’Andeva (Association nationale des victimes de l’amiante) qui représentait les travailleurs et les habitants contaminés par l’usine, ainsi que les familles. « Nous avons apporté la preuve que les connaissances scientifiques [concernant la toxicité de l’amiante] existaient à l’époque mais la Cour de cassation n’y répond pas. On se moque de nous ! », estime François Desriaux, vice-président de l’Andeva.

Les premières publications scientifiques sur la relation entre amiante et cancer datent en effet des années 1930. M. Desriaux déplore le « retard pris [par la France] pour édicter des mesures de précaution et d’interdiction de l’amiante, alors que les dangers de l’amiante étaient déjà parfaitement documentés au milieu des années 60. La responsabilité des décideurs ne sera jamais examinée. C’est un choix de société, qui est de protéger les décideurs […] Nous avons des industriels qui s’organisent pour cacher les dangers d’un matériau. Il y a tricherie, tromperie. Mais le but du jeu, ce n’est pas de tuer. Simplement de faire un maximum d’argent »

Nous posons encore une fois la question : à quand une pénalisation des crimes industriels ? la bataille semble loin d’être gagnée.

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Sources : Bastamag / Le Monde – Photo : © MAXPPP

Plus d’infos : Enquête de Bastamag sur la « vallée de la mort » en Normandie

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