Le style est tourmenté, le format très grand et l’impact physique : l’art de Thiago Martins de Melo, nerveux et expressionniste, submerge par sa déferlante de matière, de couleurs et de figures. D’une grande vitalité, son art où dialoguent l’érotique, le politique et le mystique met en scène le revers de l’histoire brésilienne, celui des victimes du Progrès et de l’État.
Thiago Martins de Melo est natif du nord-est du Brésil, plus précisément de l’État de Maranhão. Une région à laquelle il demeure attachée et où il a fait le choix de vivre, à l’écart des grands pôles économiques brésiliens où se joue le marché de l’art. Plus près, aussi de la réalité cachée du « miracle économique » brésilien, des populations indigènes et d’ascendance africaine qui en sont plus souvent les victimes que les bénéficiaires. Plus près, également, de ces cultures indigènes et vaudou véritablement alternatives à celle, urbaine, occidentalisée, des métropoles mondialisées. L’influence de ces cultures, la conscience et la connaissance de l’histoire de ces populations victimes influence beaucoup l’art de Thiago Martins de Melo. Celui-ci combine en effet une esthétique moderne qui doit à autant à l’expressionnisme allemand ou à Jean-Michel Basquiat, avec des références mythologiques et historiques de ces populations dominées.
C’est dans ces « gisements culturels » (comme disait le philosophe Cornelius Castoriadis) et au nom d’eux que Martins de Melo proteste contre l’histoire officielle et les mythes fondateurs de la nation brésilienne, au profit de l’élite blanche. L’histoire qu’il raconte n’est pas celle des manuels scolaires : c’est le revers sanglant du colonialisme et de la christianisation assassine ; c’est la domination blanche et ses dictatures ; c’est l’esclavage ; ce sont encore les ravages du capitalisme et du prétendu Progrès. N’affirme-t-il pas que « le Développement et le Progrès sont des mensonges utilisés pour maintenir d’insoutenables modèles de terreur. On doit se demander : développement et progrès pour qui ? À quel prix ? Le simple fait de vivre dans un territoire d’exploration minière, que nous appelons ici « les frontières du capital », vous fait voir l’horreur, le génocide, la destruction, l’exploitation bestiale de l’homme par l’homme promu par de grandes compagnies et leurs partenaires économiques. La mort au service du luxe d’une minorité ».
Dans de grandes peintures, nanties de totems et sculptures dont l’effet est souvent impressionnant, il rend hommage aux Indigènes « qui ignoraient culte de la propriété, cette perversion idéologique », dont le modèle social « qui ressemblerait aux modèles anarchistes » a été écrasé. Sans doute les références sont-elles obscures pour le spectateur non-brésilien, car cet art parle beaucoup du Brésil, mais sa portée est aussi universelle, qui parle de la lutte pour leur dignité de ceux qu’ont écrasé le Progrès et le capital.
L’érotisme aussi, exhaussé à la mystique, tient aussi une belle part dans l’art de Thiago Martins de Melo, affirmation des forces de vie, du bonheur désintéressé des corps qui s’aiment, des fantasmes où naît le désir, parfaite négation des forces de destruction du capitalisme. Jugez par vous-mêmes.
Sources : Artension n°134, Galerie Mendes Wood DM / Page de l’artiste sur le site de la Biennale de Lyon 2013 / Page de l’artiste sur le site de prix Pipa (portugais).