Alors que plusieurs grèves se déploient actuellement sur le pays, l’ensemble des médias de masse s’évertue à discréditer les mouvements sociaux, assurant que les manifestants « prendraient les Français en otage ». Pour prendre le contre-pied de ces analyses de comptoir : petit point d’histoire constructif.
Dans ce contexte, il convient de rappeler à toutes celles et ceux qui seraient tentés de se laisser convaincre par de tels propos, que les mouvements de grève ont toujours permis aux travailleurs de conquérir des droits fondamentaux, et ce depuis bien avant nos sociétés contemporaines. Tour d’horizon des grèves les plus marquantes de l’Histoire.
12e siècle avant notre ère, Égypte : la première grève de l’Histoire
Si les grèves modernes telles qu’on les connaît aujourd’hui sont essentiellement postérieures à l’époque industrielle, il a quand même existé auparavant quelques exemples de révoltes des travailleurs.
La plus ancienne répertoriée remonte aux alentours de 1166 avant notre ère, dans l’actuel village de Deir El-Médineh, en Égypte antique. À cette époque, les lieux sont habités par des ouvriers spécialisés dans les temples mortuaires et les tombes des pharaons.
Ces ouvriers sont rémunérés en nature, notamment en nourriture et en vêtements qu’ils peuvent ensuite troquer contre d’autres biens. Mais des fonctionnaires corrompus et une agriculture moins fructueuse entraînent rapidement des baisses et des retards de revenus.
De fait, les travailleurs décident de cesser leur activité et d’occuper les sanctuaires. Certains menacent même de piller les tombeaux si les salaires ne sont pas versés. L’état fragmentaire du papyrus qui conte cette histoire ne permet pas de savoir précisément l’issue de cette affaire, mais il semble qu’au bout de six mois de grève la situation se soit finalement détendue.
1er mai 1886, États-Unis : lutte pour la journée de 8 heures
Cette grève, lancée aux États-Unis, reste encore de nos jours l’un des symboles les plus importants pour les luttes sociales à travers le monde. Soutenue par les anarchistes, elle rassemble plus de 340 000 personnes dans tout le pays, avec comme revendication, la journée de huit heures de travail.
Le mouvement prend une autre tournure le 4 mai à Chicago dans les usines McCormick. Les manifestants sont violemment réprimés par les forces de l’ordre faisant un mort et des dizaines de blessés. Le lendemain, une nouvelle marche de protestation se déroule lorsqu’une bombe explose parmi la foule tuant plusieurs policiers. Peu de temps après, quatre meneurs anarchistes sont jugés sommairement et pendus sur la place publique. Ils seront réhabilités quelques années plus tard.
Cet épisode restera néanmoins comme l’un des symboles de la lutte pour la journée de 8 heures. Comme emblème de ce combat, les membres de l’Internationale socialiste arboreront un triangle rouge cousu à leur veste. Chaque côté de la figure représentait une partie du jour : 8 h de travail, 8 h de sommeil et 8 h de loisirs. À l’heure actuelle, de nombreux militants de gauche à travers le monde continuent à porter le triangle rouge en commémoration. Dans l’hexagone, c’est par exemple le cas de Jean-Luc Mélenchon et certains partisans de la France Insoumise.
Il faudra cependant attendre très longtemps pour véritablement obtenir la journée de 8 h à travers le monde. En France, le Graal tombera en 1919, grâce à un vote du Sénat qui craignait la grève générale.
Le 1er mai deviendra aussi par la suite la journée internationale des travailleurs. Chômée dans de nombreux pays, elle est également l’occasion pour les syndicats et les salariés d’exposer de nouvelles revendications d’améliorations sociales ou d’en confirmer d’anciennes, menacées ou fragilisées.
1936, France : L’espoir du Front Populaire
En mai 1936, le Front Populaire, union des trois principaux partis de gauche, remporte les élections en France. Cette victoire intervient en pleine période de crise économique et en opposition à la montée de l’extrême droite en Europe.
Le gouvernement n’est encore pas formé que des grèves éclatent un peu partout dans le pays pour mettre la pression sur le patronat et le nouveau pouvoir. Plus de 2 millions de travailleurs français y prendront part.
Après un mois de lutte, plusieurs lois sociales sont votées par le Front Populaire. On y retrouve notamment des augmentations de salaire, la semaine de 40 h (qui sera cependant abandonnée dès la chute de l’alliance en 1938), et surtout les congés payés. Une révolution pour l’époque puisque, pour la première fois, de nombreuses françaises et français découvrent la joie des vacances.
Mai 68, France : la grève générale
Depuis plusieurs années, les mouvements sociaux et les révoltes grondent en France, notamment face aux conditions de travail et en opposition à l’impérialisme américain. Dès mars 1968, des grèves commencent à émerger dans le pays.
Peu après, les contestations se multiplient dans les lycées et les facultés, réclamant plus de moyens pour l’enseignement supérieur. Le 1er mai, après 14 ans d’interdiction, le défilé refait son retour. Plus le temps s’égraine et plus les manifestations s’intensifient chez les étudiants avec en point d’orgue la « nuit des barricades ».
https://www.youtube.com/watch?v=-Crps5tdBt8
Le lundi suivant, la grève générale est déclarée. Dès le premier jour, un million de protestataires marchent dans Paris. Le mouvement s’étend dans toute la France pendant plus d’un mois jusqu’à atteindre 10 millions de participants à son apogée.
Le gouvernement se résout à lâcher du lest lors des négociations de Grenelle : le SMIG augmente de 35 % et les salaires en moyenne de 10 %. Par ailleurs, la semaine de travail passe de 48 h à 40 h. Même si les syndicats et les ouvriers n’accepteront jamais de signer cet accord, les grèves finissent par s’estomper. À la fin du mois, la gauche est écrasée aux élections par un mouvement de réaction contraire.
Le mouvement de mai 68 aura néanmoins des répercussions sur le long terme, avec un changement progressif des mentalités d’inspiration libertaire. Il reste également ancré dans l’imaginaire collectif et rappelle au bon souvenir des gouvernements français que le peuple peut à tout moment se révolter, comme ce fut le cas lors de l’épisode des Gilets Jaunes.
24 octobre 1975, Islande : Grève générale féministe
Alors qu’une révolution féministe prend son envol dans toute l’Europe, l’Islande va marquer l’Histoire avec un seul petit jour de grève. Mais ce mouvement n’avait rien d’ordinaire puisqu’il concernait exclusivement les femmes.
https://www.youtube.com/watch?v=JSSnCWMV5yg&t
En ce jour d’octobre 1975, la quasi-totalité des femmes de l’île décide de se mettre en grève :
Non seulement en entreprises, mais aussi à la maison où elles délaissent toutes tâches ménagères.
Par ce moyen, elles tentent de faire comprendre aux hommes l’importance de leur place dans la société et l’inégalité des tâches dans l’espace domestique. Elles réclament par ailleurs l’égalité entre les sexes, notamment salariale. Le mouvement marquera profondément le pays, de nombreux hommes se retrouvant complètement désemparés.
Cinq ans plus tard, découlera de cet évènement l’élection à la tête de l’État de Vigdís Finnbogadóttir. Elle devient alors la première présidente élue au suffrage universel de toute l’Histoire de l’humanité. Celle qui tiendra ce poste pendant plus de seize ans reste encore à ce jour l’une des figures du féminisme islandais.
1995, France : Grève contre la réforme des retraites
À la fin du 20e siècle, alors que Jacques Chirac vient de remporter les élections présidentielles en France, son Premier ministre, Alain Juppé, lance une grande offensive antisociale. Cette purge austéritaire devait notamment s’attaquer à la sécurité sociale, mais aussi au régime des retraites.
Enième preuve, au passage, que les acquis sociaux ne sont jamais acquis et que le peuple est sans cesse tenu de rester vigilant ou de jouer le gardien de ses propres droits, souvent par prévention, ou au moindre signe d’atteinte, dans des rapports de force permanents. Autrement, les pouvoirs reviennent sans cesse sur les victoires passées, car elles desservent leurs intérêts classistes.
Très vite, les Français montrent leur hostilité à ces projets et un gigantesque mouvement de grève paralyse le pays. Pratiquement tous les services publics sont à l’arrêt et après trois semaines de contestation, le gouvernement finit par renoncer à son idée.
Ce mouvement restera pendant longtemps un traumatisme pour la droite politique qui n’osera plus lancer de grandes réformes antisociales avant plusieurs années. On peut aussi voir dans cette grève l’une des prémices de la victoire de la gauche aux législatives de 1997.
2020, Inde : La plus grande grève de l’Histoire
Alors que le monde subit la crise du covid-19 de plein fouet, le plus grand mouvement de grève de l’Histoire se déclenche en Inde en novembre 2020. Plus de 250 millions de protestataires se rassemblent ainsi dans les rues pour réclamer le retrait des réformes agricoles ultralibérales.
Principalement en cause, la quasi-suppression du prix garanti de rachat des produits agricoles, auparavant contrôlé par l’état. La réforme permet, pour ainsi dire, la totale libéralisation du marché de l’agriculture en Inde. Pendant près d’un an, les protestations se sont multipliées, jusqu’à ce que les dirigeants finissent par céder et renoncer à cette nouvelle loi.
2022 : le retour de la grève générale ?
En 2022, la crise sociale est plus que jamais omniprésente, en particulier en France où le peuple n’a pas décroché de droits nouveaux depuis les 35 h au début des années 2000. Par ailleurs, le gouvernement prépare une énième offensive contre les prolétaires avec la réforme de l’assurance chômage et des retraites.
La question reste donc de savoir si l’étincelle de la grève pourra de nouveau faire reculer Emmanuel Macron. Pour ce faire, une immense mobilisation sera sans doute nécessaire, d’autant plus que nos dirigeants n’hésiteront pas à servir régulièrement de l’article 49.3 de la constitution.
À défaut du soutien des Français, la Macronie pourra néanmoins compter sur celui des médias de grande écoute. Et pour ne pas se laisser berner, il faudra se souvenir de tout ce que les grévistes ont pu apporter aux peuples du monde entier à travers l’Histoire. Avant de grossir leurs rangs ?
– Simon Verdière