Depuis le 1er janvier 2024, le tri des déchets organiques ou « biodéchets » est devenu obligatoire dans toute l’Union Européenne, échéance fixée par une directive adoptée en 2018. Qu’implique cette nouvelle et en quoi cela vous concerne-t-il ?
C’est une bonne nouvelle pour la planète puisque les biodéchets sont extrêmement nocifs pour l’environnement s’ils sont traités avec les déchets résiduels, que cela soit par incinération ou par enfouissement. À l’inverse, les biodéchets peuvent être valorisés en compost ou en énergie renouvelable lorsqu’ils sont triés.
Dans certains pays d’Europe, les biodéchets étaient déjà collectés efficacement depuis plusieurs années mais pour d’autres, comme la France, la mise en place de cette collecte était jusque-là plus lente et laborieuse.
Dégâts environnementaux des déchets organiques
La législation européenne prévoit qu’au plus tard pour le 31 décembre 2023, les biodéchets, entendus comme tous les déchets organiques, de cuisine ou de jardin, doivent être « soit triés et recyclés à la source, soit collectés séparément et non mélangés avec d’autres types de déchets » (Directive (UE) 2018/851 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 modifiant la directive 2008/98/CE relative aux déchets).
Pour cause : les déchets organiques peuvent être extrêmement polluants s’ils ne sont pas traités à part. Or, en Europe, ceux-ci composent en moyenne un tiers des déchets résiduels, à savoir de tous les déchets ménagers non-triés.
Cette pollution est inévitable peu importe le mode de traitement en aval. Sans tri à la source, les déchets organiques sont mélangés aux déchets résiduels qui sont soit brûlés dans des incinérateurs, soit enfouis via des systèmes de décharge.
Par décomposition, par fermentation dans les décharges à ciel ouvert ou encore par incinération, les déchets organiques dégagent du « biogaz », principalement composé de méthane, qui pollue l’atmosphère s’il n’est pas capturé. Ce gaz aurait un potentiel d’effet de serre entre 25 fois à 30 fois plus élevé que le CO2.
Par enfouissement, en plus de dégager du méthane en se décomposant, les déchets organiques mélangés aux eaux de pluie produisent un jus appelé le lixiviat. Théoriquement, les décharges sont protégées par des barrières actives (bâches imperméables) et passives (couches argileuses) qui visent à assurer leur étanchéité. Pourtant, dans les faits, les risques de fuite sont très nombreux. Or, ce jus de décharge est très toxique, chargé en nitrates et métaux lourds, et vient polluer fortement les sols et les nappes phréatiques.
Le traitement des biodéchets par nos modes de traitement traditionnels est donc extrêmement nocif pour l’environnement, tant pour l’atmosphère que pour les sols.
Comment sont traités les biodéchets triés ?
En plus d’éviter des émissions de gaz à effet de serre en les triant séparément, les biodéchets peuvent être valorisés en engrais pour l’agriculture ou en énergie. Cela peut s’organiser de deux façons : le compostage et la biométhanisation.
Les déchets alimentaires sont trop souvent gaspillés en étant jetés alors qu’ils constituent une source importante d’engrais naturel. Le compostage, malheureusement délaissé depuis le 20ème siècle avec la naissance de l’agro-industrie et l’utilisation accrue d’engrais chimiques, est une manière courante de les valoriser. Les déchets organiques, en se décomposant, se transforment en fertilisant naturel pour les sols.
Le compostage peut être de proximité, à savoir domestique (directement dans les ménages) ou collectif (points de collecte par localités), ou industriel. Ce dernier se déroule dans des sites de compostage à grande échelle qui traitent des tonnes de biodéchets par an, collectés et acheminés depuis plusieurs localités. Le compostage de proximité, lui, présente l’avantage d’éviter les émissions de carbone liées au transport.
Comme expliqué plus haut, les déchets organiques émettent de grandes quantités de méthane en se décomposant. C’est pourquoi une autre manière de les valoriser consiste à capturer ce gaz afin d’en faire de l’énergie, plus précisément du gaz naturel renouvelable, par le processus de biométhanisation. Cette méthode consiste à faire dégrader les déchets organiques en l’absence d’oxygène dans des unités de biométhanisation. Cette décomposition va générer du biogaz, composé principalement de méthane et de CO2, permettant ainsi la production d’électricité et de chaleur qui vont alimenter différents réseaux.
Après fermentation, la matière organique qui n’a pas été transformée au terme du processus, appelée le « digestat », peut elle-aussi servir de fertilisant pour les sols.
L’utilisation de la méthode de valorisation après collecte des biodéchets dépend de chaque collectivité et des disponibilités d’unités de biométhanisation ou sites de compostage dans la région.
Malgré tout, derrière l’entrain que peut susciter cette solution, entre accaparement des terres, pollution des sols et des eaux, incidents explosifs et promotion de l’agro-industrie, de nombreuses zones d’ombre persistent dans le domaine. Une réalité qui n’occulte pas l’importance de faire évoluer nos comportements de société, mais qui doivent encourager à résister contre l’instrumentalisation industrielle des avancées écologiques.
Une collecte qui s’organise déjà depuis plusieurs années
La législation européenne impose donc un tri effectif de tous les biodéchets au 30 décembre 2023. Certains pays n’ont pas attendu l’échéance de l’Union Européenne pour commencer le tri.
La ville de Milan est un exemple en la matière. Dès 2012, un ramassage des déchets alimentaires en porte-à-porte a été instauré dans plusieurs quartiers avant d’être déployé dans toute la ville. En parallèle, une grande campagne de sensibilisation et d’information a été mise en œuvre pour assurer la participation de tous les habitants. Les résultats ont été visibles rapidement : de 2011 à 2015, la quantité de déchets alimentaires collectée par habitant est passée de 28kg à 95kg par an.
« 87% des déchets organiques de la ville et son agglomération sont triés par an ».
Aujourd’hui, la collecte est organisée deux fois par semaine pour les ménages et presque tous les jours pour les hôtels et restaurants, pour éviter les odeurs et autres désagréments. Cette collecte régulière participe à son succès : 87% des déchets organiques de la ville et son agglomération, à savoir 140.000 tonnes de biodéchets, sont triés par an.
L’Autriche fait également figure d’exemple avec une interdiction de mettre en décharge des déchets organiques actée depuis 2009. Le pays applique un principe de proximité en encourageant au maximum le compostage domestique et le compostage agricole décentralisé – donc à la ferme même. Quant aux ménages pour lesquels cela n’est pas possible, une collecte séparée en porte-à-porte est organisée dans tout le pays, et des points de collecte ont aussi été installés. Ces efforts dans la collecte des biodéchets ont permis au pays de récolter séparément près de 80% des biodéchets produits en 2022.
En Belgique, à Bruxelles, les déchets verts sont collectés séparément depuis 2012. Les déchets alimentaires sont quant à eux récoltés via des sacs oranges depuis 2017 sur base volontaire. Cette récolte est devenue obligatoire en mai 2023. Ces déchets collectés chaque semaine permettent d’alimenter une usine de biométhanisation en Flandres, à Ypres.
Si ces cas font figure d’exemples, ils n’atteignent pas non plus encore 100% de leurs déchets organiques collectés en marge des déchets ménagers résiduels. Cela démontre le travail de sensibilisation qu’il reste encore à fournir même dans des villes déjà bien avancées dans leur tri.
Pas encore gagné partout
Malheureusement, les cas présentés ci-dessus représentent plutôt des exceptions. Selon l’Agence européenne pour l’environnement, en 2022, seuls 9 pays membres étaient en bonne voie pour remplir l’objectif d’atteindre au minimum 55 % de préparation en vue du réemploi et de recyclage de déchets ménagers, dont les biodéchets représentent un enjeu majeur.
En France, le tri à la source des biodéchets était déjà prévu depuis 2015 dans la loi de Transition Energétique pour la Croissance Verte et prévoyait sa généralisation pour 2025. Après l’adoption de la directive européenne, cette date de généralisation a été avancée à 2024. Cela faisait donc déjà 8 ans que les autorités locales étaient au courant que le tri des biodéchets devait être mis en vigueur. Et pourtant… En 2019, ce n’étaient encore que 6% des collectivités qui avaient mis en œuvre des modalités de collecte de biodéchets.
Depuis le 1er janvier 2024, malgré l’obligation pour les collectivités de proposer des solutions de collecte, le tri n’est pas encore respecté partout. Certaines municipalités ne proposent rien du tout, d’autres se contentent d’installer quelques composteurs pour toute une ville et s’estiment dès lors conformes à loi. Une problématique soulignée par l’ONG Zero Waste France, pour qui la loi n’est pas assez précise et stricte dans ses obligations.
Ces derniers militent pour que les autorités adoptent un décret d’application de la loi définissant des critères plus restrictifs, comme l’obligation de fournir suffisamment de points de collecte volontaires à maximum 100 mètres pour chaque habitant, ainsi que des sanctions en cas de non-respect de ces règles.
Enfin, l’ONG souligne avant tout l’importance de la sensibilisation des citoyens et citoyennes, pour les encourager à changer leurs habitudes et adhérer au tri des déchets organiques. À cette fin, elle encourage l’augmentation de moyens humains et financiers pour atteindre l’objectif de collecter séparément tous les déchets organiques du territoire.
Beaucoup d’efforts vont devoir être fournis dans les 18 pays membres restants qui sont encore loin des objectifs fixés par l’Union Européenne, alors que ces objectifs ne sont eux-mêmes pourtant pas encore assez restrictifs pour limiter complètement les dégâts des biodéchets sur l’environnement.
En résumé
Les conséquences environnementales causées par l’absence de traitement des biodéchets sont encore assez peu connues de l’opinion publique et pourtant si importantes. La directive obligeant les pays membres de l’Union Européenne à trier les biodéchets à la source est une avancée visant à réduire l’impact de ces déchets sur les émissions de gaz à effet de serre.
De nombreuses collectivités et citoyens doivent pourtant encore y adhérer, et cela devra passer par une sensibilisation sur l’importance de trier ses biodéchets et, surtout et avant tout, de les réduire autant que possible et d’en finir avec le gaspillage alimentaire.
– Delphine de H.
Sources :
« Milan, Francfort, Brastislava, Séoul : le tri des biodéchets a ses pionniers », RTBF, 20/11/2023https://www.rtbf.be/article/milan-francfort-brastislava-seoul-le-tri-des-biodechets-a-ses-pionniers-11289275
« Réduire et trier les biodéchets », Zéro Waste France, https://www.zerowastefrance.org/demarche-zero-waste/composter-et-trier-les-biodechets/
« Biodéchets : définir clairement les conditions de leur tri à la source », Zero Waste France, https://www.zerowastefrance.org/biodechets-definir-clairement-les-conditions-de-leur-tri-a-la-source/
Image d’entête @melGreenFR/Pixabay